may i help you ? ✿ (ginger & chrysanthe)

❥ MAY I HELP YOU ?

L’appartement est vide aujourd’hui, et à part le son du clavier sur lequel je tapote, c’est le calme absolu autour de moi ; et je ne vais pas m’en plaindre pour une fois.
Elliot est sorti faire je ne sais quoi –je ne suis pas sa mère, je ne lui demande pas où il va chaque fois qu’il met un pied hors de la maison– et j’en profite pour squatter son bureau, me mettre un peu à jour et avancer le travail que j’ai pu laisser un peu de côté ces derniers temps.
Niveau boulot, j’ai l’impression d’avoir monté un peu en grade, officieusement. On n’en n’a pas trop discuté avec Elliot, ça s’est fait plutôt naturellement, et j’avoue que curieusement, ça me plaît. Être au courant de tout et de rien, et pouvoir se faire du blé sur son savoir, c’est vachement stylé quand même –dans le même genre, y’a enseignant, mais là en plus je ne suis même pas obligée de me coltiner une classe d’élèves moches et bruyants, si c’est pas du luxe franchement !

Je bois une gorgée de la tasse de café posée à côté de mon ordinateur tout neuf et continue de scruter ce qu’il peut se passer sur les réseaux sociaux –on pourra dire ce que l’on veut, c’est une vraie mine d’informations ces sites là. Le téléphone sonne et je le décroche par habitude, quand bien même il s’agit de celui de mon ‘patron’.

« Ouais ? –j’entends à l’autre bout du fil qu’on demande s’il s’agit bien du bureau de M. Sky-Meltemson– ouais c’est bien ça, vous voulez quoi ? »

Comme je viens de le dire, ma promotion s’est faite un peu officieusement donc ce cher Elliot ne m’a jamais appris les modalités de base du standard téléphonique.

« Aujourd’hui ? Euh –je réfléchit une seconde ; Elliot n’est pas là, mais dans l’absolu, je peux bien tenter de prendre ce dossier non ? Au pire si c’est trop pour moi je lui rapporte tous les détails et il s’en occupe non ? J’aimerais bien tester de m’occuper d’un dossier par moi-même pour une fois…– ouais vous pouvez passer aujourd’hui mais pas après 16h30, ok ? –c’est l’heure de ma série préférée et pas question que je rate un épisode– très bien à tout à l’heure ! »

Je raccroche et puis j’avise ma tenue avant de me décider que le minimum pour accueillir un client c’est de prendre une douche et porter un peu plus qu’un tee-shirt trop large par-dessus ses sous-vêtements donc je file me préparer avant d’attendre que mon futur salaire ne franchisse le seuil du bureau.

acidbrain

Je raccroche, puis j’avise ma tenue dans un miroir de pied qui semble m’accuser — à moins que ce ne soit mon propre regard. Cette situation. Un parfum léger d’humiliation trotte dans la pièce. Je plisse les yeux. Ce que je vois ne m’enchante pas. Putain, je suis bien barrée. En un sens, ma condition actuelle ne me surprend pas.

Mais elle est transitoire.

Je passe le seuil de l’auberge de jeunesse miteuse où je crèche, et je pars à ta rencontre. J’erre dans les rues, pour te donner un peu de répit. Je prends le temps, là où d'autres ne semblent jamais l’avoir. L’air estival, aussi léger que joyeux. Il m’est étouffant.

Je tire sur mon col roulé, affaire de me laisser souffler, et une passante me regarde avec un air mi-curieux, mi-apitoyé. La tenue n’est pas de saison. Et ce manque de conventions vestimentaires ne me fait ni chaud, ni froid.
Au sens métaphorique ; car à la vérité le Soleil s’est prit d’un élan passionné aujourd’hui, et il vient me taper sur les nerfs sans s'arrêter. Il me taquine. Il va, tout guilleret — illumine les jardinières, fait rougir les épaules et le nez des badauds — et je tente de le fuir au possible.

La façade de ton immeuble est à l’ombre. Salvatrice. Un immense building qui projette sa forme sur ses voisins misérables et laisse les courants d’air le séparer de ces indigents. Je me dis que celui qui m’a renseignée a voulu se payer ma tête. J’aurais dû trouver un moyen de vérifier. Obtenir plus d'informations. Ce que j’ai à demander n’a rien de si notable qu’il me faille contacter quelqu’un ayant les moyens de se payer le luxe de ce toit. Je crois.
— Qui es-tu ? Tu avais la voix d’une gamine. Sûrement pas le « Elliot » dont on a voulu me vendre les mérites. Quoiqu’il en soit, je t’ai dit venir. Alors je ne peux rebrousser chemin.

Le type qui s’occupe de la réception dégage la monotonie d’un homme que le quotidien accable. Je sens l’ennui qui s’échappe de tout son être. Il lève les yeux sur moi, et je vois son expression changer rapidement. Il tente de cacher une mine interloquée — interrogatrice ? — par un sourire professionnel. Il me demande si je suis attendue. Instinctivement, je ramène la main droite à mon visage. Ah. J'ai oublié le masque. Ce doit être ça. Ces cicatrices font toujours leur effet.
Monsieur Sky-Meltemson est de sortie, me dit-il. « Une jeune femme m’a pourtant donné rendez-vous. » Il a l’air de voir qui tu pourrais être. Tu ne passes pas inaperçue. Il te préviens que je suis en bas, puis il me laisse te rejoindre.

Dernier étage. Ton employeur a le sens de la démesure.

J’attends à ta porte.