❝ The fuck are we doing here, again ? ✢ Spencer & Ginger

E h Gin? J'ai un rendez-vous important là, mais y a un gros truc au parc aujourd’hui, alors tu vas aller voir ce qu’il en est hein ?

J'ai bien sentit qu’Elliot ne m’a pas vraiment laissé le choix ce matin en me demandant d’aller au parc pour faire ce pourquoi je n’étais pas payée. J’aurait bien râlé pour la forme, mais ce petit vicieux a réussit à m’appâter en me promettant un grand plat de pâtes à la carbonara comme je les aime, alors j’ai fermé ma gueule. À bien y réfléchir, j’ai la vague impression d’être un peu comme un clebs qu’on envoie chercher la balle et qu’on récompense avec les restes du poulet rôti d’hier midi une fois que c’est fait. C’est vrai que ça pique un peu l’amour propre. Mais comme le dit le grand Marcellus Wallace dans ce chef-d’oeuvre du septième art qu’est Pulp fiction, « l’amour propre, tu l’emmerdes ! » alors j’ai envoyé chier mon amour propre et je me suis bougé le cul jusqu’au parc, avec la perspective de mon super dîner en tête.

Il fait plutôt beau pour un mois d’automne, et l’ambiance halloweenesque des feuilles jaunes et rouges me rappellent que c’est bientôt mon anniversaire. Encore une fois, je vais probablement le passer en solo comme toute bonne asociale qui se respecte. Non ça me pose aucun problème, pourquoi ce regard plein de pitié ?
J’ai aucun problème avec ça, merde !
Bref.

J’arrive devant l’entrée du parc, et tout de suite je remarque qu’effectivement, quelque chose d’inhabituel doit se dérouler en ce moment vu la file d’attente et les employés postés aux différentes entrées. J’attends mon tour patiemment, bien emmitouflée dans mon pull et mon écharpe remontée jusqu’au nez, tout en remuant mes jambes couvertes d’un collant de laine noire histoire de ne pas geler sur place. En générale, j’ai rien contre le fait de faire la queue -en soi je suis pas pressée, et si jamais j’ai mal aux pieds, il se trouve que j’ai deux jolies ailes dans le dos qui sont bien pratiques. Mon seul problème avec les files d’attentes, c’est quand j’ai la malchance de me retrouver coincée entre plusieurs couples de bouffons qui se lèchent la pomme sans pudeur devant tout le monde. Qu’est ce que ça peut me saouler bon sang ! Je vous jure, il me faut fournir un sacré effort pour ne pas me retourner et demander au dégoûtant derrière moi de tripoter sa copine ailleurs et d’arrêter de la pousser contre moi. Ils se sont cru tous seuls ou bien ?
Finalement, mon tour arrive enfin. L’employée m’offre son plus beau sourire commerciale en m’accueillant chaleureusement au parc de Séléné, et blablabla. Il est joli comme tout son discours, mais ça se voit dans ses cernes, elle doit en avoir autant ras-le-bol que moi d’être ici depuis l’ouverture de l’événement. Si j’avais un coeur, je l’aurais probablement plains, tiens. Sans trop faire attention à ce qu’elle me dit -c’est bon hein, des parcs d’attractions j’ne ai vu plusieurs dans ma vie, pas la peine de me retaper tout leur speech- je sens soudainement qu’elle m’attrape le bras et me passe une espèce de bracelet MEGA-MOCHE au poignet. Sérieux, je prie pour qu’Aelicya ne me voie jamais avec cette horreur, ou je risque de devoir subir à nouveau la terrible épreuve des essayages vestimentaires.

▬ Voilà, à présent vous aller pouvoir entrer en chercher le binôme qui vous accompagnera toute la journée ! Rappelez-vous que vous ne pouvez plus quitter le parc jusqu’à dix-neuf heures, passez un bon moment !

…
DE QUOI ?
Ah non mais c’est mort j’ai pas signé pour me faire coller aux basques par un bouffon non mais oh ! C’est quoi ce bin sérieux ?
Malheureusement pour moi -je te hais, ma bonne étoile inexistante- son air aussi désolé qu’amusé -connasse va- me fait comprendre qu’en fait si, j’ai carrément signé pour ça vu que j’ai signé la charte. T’es vraiment trop conne, Ginger.

La mort dans l’âme, je traîne donc les pieds jusqu’à un banc situé non loin du centre du parc -mais dans un coin un peu plus tranquille tout de même- et je m’y affale sans trop faire attention aux gens qui m’entourent. Si nos bracelets nous aident à trouver nos binômes, comme ils disent, alors le John Doe qu’on m’a attribué n’aura aucun problème à me retrouver même si j’en fous pas une, voilà, na.

Du coup, bien installée, je sors le bouquin que j’avais commencé la semaine dernière et commence à le feuilleter en jetant de temps en temps un regard en direction des passants, des fois qu’ils aient le même bracelet que moi. Franchement je me dis que y’a vraiment des gens chelous dans ce parc, comme cette grosse dame là-bas qui a cinq chihuahuas dans ses bras, ce vieux qui vient de passer sur une trottinette rose sûrement volée à une gamine à la sortie de l’école, ou encore ce type bizarre en train de s’approcher, qu’on croirait sortit tout droit d’une machine à laver et qui semble avoir oublié que les ombrelles quand il pleut pas, c’est réservé aux loli-goths de douze ans…

…
P’tain pourquoi mon bracelet se met à chauffer tout d’un coup ?

Mon bracelet chauffe de plus en plus. C’est pas chaud genre, comme si j’avais mangé un pot de piments, mais plutôt chaud genre j’ai collé ma main contre un radiateur. En soi, c’est pas si désagréable que ça, le seul bémol, c’est que du coup, je sens encore plus le froid dans le reste de mon corps. J’espère vraiment que ça va pas durer sinon je risque d’attraper le rhume de tout-mon-corps-sauf-le-poignet-gauche.
En plus de chauffer, le bracelet se met à luire de plus en plus fort. Comme s’il était pas déjà moche, maintenant faut qu’il se mette à faire son intéressant. Sérieusement, si j’avais pas la honte de mon pouvoir de phosphorescence, je me serais pas gêner pour lui montrer qui est le boss du game question luminescence. Mais voilà, jouer les lucioles, c’est grave nul, et déjà que je suis pas crédible au naturel, c’est pas le moment de faire un flash clash avec un bracelet pourri. Putain comment j’en suis arrivée à cette réflexion déjà ?
Ah oui. Ça chauffe, et ça brille. J’en déduis donc que mon super binôme n’est pas loin -j’ai rien écouté de ce que la bonne femme de l’accueil m’a dit, mais faudrait être con pour pas comprendre. Et en effet, je vois que le bracelet du type à l’ombrelle s’agite comme le mien -et à mieux y regarder, les bijoux semblent être identiques. J’ai donc hérité d’un gothique albinos à me trimballer toute la journée. Vous me direz, lui aussi va sûrement être ravi de tomber sur une naine aussi haute en couleurs que moi -et encore, j’ai fait plutôt sobre aujourd’hui avec mon écharpe grenat, mon pull XXL couleur crème, et mes collants noirs, pas de motif bizarre et bigarré !
Bizarrement, je sens que ça va être marrant -Ô ironie, quand tu me tiens…

Il s’approche, j’imagine que lui aussi a capté qu’on avait tout les deux tiré le ticket gagnant, c’est plutôt bon signe, ça veut dire qu’il n’est pas trop con c’est déjà ça. Silencieusement, je l’observe arriver à ma hauteur -et je remarque au passage la chauve-souris sur son épaule. Si ça se trouve, je suis tombée sur un putain de vampire ! J’ai pas la frousse hein, Orion fait partie de ces sangsues et il est cool. Mais bon, avouons-le, je suis pas à l’aise avec les vampires que je connais pas. La faute à ce bâtard d’Heylin.
Etant donné que c’est lui qui a fait la démarche de s’approcher, je considère que c’est à lui d’engager les politesses et se présenter en premier. Et c’est ce qu’il fait, sauf que la politesse, je peux me la mettre ou il faut pas apparemment.

▬ T'es prête, la minus ? J'ai pas que ça à faire.

J’ai la tête et les yeux levé vers lui -je suis assise et il est debout, forcément- et je me contente de le regarder de la façon la plus ingénue qu’il m’est donné de faire. C’est-à-dire sans une expression particulière. Et puis je ferme brutalement mon livre en lui adressant un large sourire.

▬ Waouh, t’as le sens des présentations toi, bravo ! Tocard, je lui sors sans me départir de mon sourire bien sarcastique.

Un des rares avantages de vivre avec Elliot : apprendre à manier l’art du cynisme et de l’ironie à la perfection.
Je me lève, range avec soin mon livre dans le petit sac que j’ai apporté avec moi -on n’abîme pas un Fred Vargas. Jamais- et coince une mèche folle derrière mon oreille avant de relever la tête vers lui.

▬ Alors, on va direct aux auto-tamponneuses pour se foutre sur la gueule ou on attends un peu de faire connaissance avant ?

Perso, je serais pas spécialement contre, j’avais déjà pété les dents de Marie-Emilie à la fête foraine qui s’était installée dans mon petit patelin quand j’étais en primaire. Elle m’avait fait punir pendant une semaine, mais putain ce que j’avais ris.

Je jette mon sac sur l’une de mes épaules.

▬ Sinon t’as un nom ou je dois te trouver un surnom ridicule pour m'adresser à toi ?

J’aurais bien dit « Batman » à cause de la chauve-souris, mais depuis peu, ce super-héros est immédiatement associé aux Firewinds par mon cerveau, donc faudra trouver autre chose.
Face d’aspirine, ça peut le faire par exemple…

Spencer. Appelles-moi Spencer. Et je m'en cogne d'attendre ou d'aller aux autos tamponneuses tout de suite. Et sinon, t'as aussi un nom ?

Je le fixe quelques secondes la mine boudeuse avant de renifler un peu dédaigneusement et de répondre sur le même genre de ton.

▬ Ginger. Enchantée, je rajoute, la voix suintante de sarcasme.

Rappelez-moi pourquoi faut toujours que je démarre du mauvais pied avec presque toutes les personnes que je rencontre ? Sérieusement, les gens avec qui j’ai sympathisé quasi-immédiatement se comptes sur les doigts de la main ! Orion, Coban, Hydra, Aelicya, et p’têt même Lyrnaël tiens, mais lui c’t’encore un peu différent. Sur les doigts de la main j’vous dis !
Sans prévenir, Spencer commence à avancer vers le stand des auto tamponneuses non loin, et je suis forcée de le suivre en trottinant derrière lui si je ne veux pas que mon poignet se mette à me brûler –j’ai l’impression d’être un p’tit chien qui suit son maître partout, c’est pas franchement le sentiment le plus agréable qui m’ai été donné de ressentir aujourd’hui ; j’veux bien avoir un amour-propre très limité mais y’a des limites quand même putain !

▬ Eeeeeh, t’es gentil, ralenti un peu, tout le monde est pas né avec des jambes de cinq mètre comme toi !

C’est que je devais avoir l’air sacrément ridicule à courir derrière lui pour ne serait-ce que marcher à sa vitesse ; il parcourait en un pas ce que je fais en cinq cet enfoiré.
Nous arrivons au stand, mais il semblerait que se fracasser les dents de devant sur ce genre de petits bolides est une activité assez populaire dans le coin car la file d’attente est assez longue –vous me direz, vu que j’suis petite, tout me paraît toujours trop grand. Je lâche un soupir désabusé avant de me tourner vers mon acolyte du jour, les bras croisé et l’air toujours aussi blasé qu’à l’accoutumée. J’attends quelques minutes sans rien dire, mais y’a rien à faire, le silence est pesant, et je me sens pas d’assumer ça toute la journée. Alors tant pis pour mon éternelle réputation d’asociale, je tente de lancer un peu le dialogue histoire de rendre éventuellement cette journée un peu plus palpitante que prévu.

▬ Bon écoute, honnêtement j’suis fatiguée j’ai pas envie de m’battre avec toi aujourd’hui, j’ai mon coloc’ pour ça, et si on doit passer toute la journée ensemble j’préfèrerait que ça se fasse pas dans un silence tout naze.

Merci Ginger pour cet élan de sociabilité, on dit bravo !

▬ Du coup eeeuh, j’sais pas, ça t’dit un jeu en attendant que la file se réduise ? Genre un j’ai-jamais ? Bon c’est toujours plus drôle avec de l’alcool, mais c’mieux que rien j’imagine… Tu commences ? J’commence ?

C’était le jeu le plus sympa que je connaisse quand il s’agissait d’en apprendre un peu plus sur les autres sans avoir besoin d’être dans leurs petits papiers.
C’est que j’en ai vraiment ras-le-bol de toujours m’embrouiller avec les autres en vérité. Mais bon, vrai qu'il l'avait un peu cherché hein.