Purée, encore une journée qui commence bien...

Tu vois bien le regard en biais qu’elle te jette. Tu vois bien son visage dénué d’expression. Et pourtant tu te doutes que tu l’agaces un peu. Tu as tellement l’habitude de ressentir ça ! C’est tellement agréable, d’ailleurs. Tu la regardes prendre une cigarette, l’air de rien. Elle te tend ton paquet pour que tu le récupères, ce que tu fais d’ailleurs, un sourire en coin, l’air espiègle et mesquin. Tu imagines bien qu’elle n’a pas apprécié tes paroles. Qui les apprécierait ? Mais c’est bien pour ça que tu les as prononcées. Elle te donne son prénom en même temps qu’elle attrape ton briquet. Lilith… un prénom qui lui va bien, tu trouves.

∞ Eh bien, voilà, ça c’est ce que j’appelle un échange. On est bien partie ma foi, commentes-tu avec sarcasme.

Pousser les gens à bout. Les assommer de sarcasme. Les enfoncer avec cruauté. Voilà ce que tu aimes par-dessus tout. Encore plus lorsque Lyvion est avec toi. Vous n’êtes pas meilleurs amis pour rien. D’ailleurs, tu es sûr qu’il serait très amusé de la situation actuelle. Lui aussi, il aime bien quand les gens sont énervés. C’est si facile de les énerver. Parfois même trop, alors quand tu rencontres des gens plus calmes voire pacifiques, tu vois cela comme un défi. On y gagne toujours plus lorsqu’on obtient ce qu’on désire après de bons efforts. On y gagne plus de satisfaction. Ombre ronronne toujours sur tes cuisses quand Lilith accepte le jeu que tu lui a proposé. Ou plutôt, quand elle hausse les épaules, ce que tu prends pour un oui. De toute façon tu la vois bien s’en aller sans cérémonie si elle s’ennuie. Tu serais un peu déçu –plus de jouet- mais sans plus. Le haussement d’épaule semble être son langage de communication favori car elle y a encore recours juste avant de répondre à ta question qui a lancé le jeu.

∞ J'ai un caractère de merde, une humeur massacrante à tous les jours. Je ne suis pas sociable et je déteste les crétins qui viennent me voir pour faire chier. En gros, j'ai le tempérament des démons, une pure laine : ce n'est pas rien, n'empêche.

Comme tu t’en doutais un peu plus tôt. Tu acquiesces, un sourire agaçant sur les lèvres. Le genre de sourire qu’on a envie de t’arracher avec un couteau. Ombre pose une grosse patte sur toi. Elle est en train de s’endormir. C’est bien le genre à pioncer aussi facilement. Elle ne met pas les griffes, mais tu les sens à travers le tissu de ton pantalon. Lilith se lève et déploie ses ailes plumeuses dans son dos. Tu te contentes de hausser un sourcil. Chacun son truc, elle les épaules, toi les sourcils. Tu observes la racine de ses membres aériens en aspirant une bouffée de fumée sur ta cigarette, silencieux, sans un mot. Il en faut bien plus pour t’impressionner. Si c’est possible.

∞ Sympa les ailes, dis-tu quand elle se rassoit. J’aurais jamais deviné que t’es une démone.

Cette dernière phrase est bien sûre purement ironique. Tu passes une main dans ta chevelure rousse, un air provocateur peint sur le visage. Tu trouves que cette journée s’embellit de minutes en minutes. Autant pour la vue que pour le divertissement, soit dit en passant.

∞ Normalement, c'est donc à mon tour de poser une question. Je demanderais alors : Qu'est-ce que tu fais au cirque, tes occupations, ton travail, quoi.

Cette question n’est pas stupide, quoi qu’un peu banal. Elle pourrait avoir plus d’imagination tout de même. Enfin… Tu soupires avant de glisser une main dans la fourrure noire de ton affiliée.

∞ Je suis acrobate. Anneaux, cerceaux, tissus, tout ça c’est dans mes cordes. Je subjugue la foule par mes acrobaties. Je participe à la vie du cirque, rends parfois quelques services, moyennant paiement. Quant à mes occupations… ça varie entre la bonne compagnie et les discussions… animées.

Tout ceci est la vérité. C’est juste implicite. Une autre formulation pour dire que tu passes ton temps libre dans le lit de tes fans ou à faire chier les autres. Elle a le choix comme ça ; elle peut comprendre ce qu’elle veut, comme elle le souhaite. Tu ne cherches pas à te cacher, que neni, tu aimes être subtile, voilà tout. Au moins en ce qui concerne les révélations. Tu réfléchis un instant à la question que tu pourrais bien lui poser. Tu ne vas certainement pas lui retourner la sienne, non, c’est trop facile.

∞ A mon tour… Depuis combien de temps es-tu sur l’île, si tu n’y es pas née, et dans quelles circonstances ?

Certes ce n’est pas beaucoup plus original que la sienne, mais tu construits le jeu petit à petit. Les questions vont devenir de plus en plus ciblées. Pour l’instant tu la jauges. Ensuite tu pourras passer aux choses sérieuses. Tu prends ta cigarette entre le majeur et l’index pour en tirer une dernière bouffée avant de l’écraser sur le rebord de la fontaine. Déjà terminée, dommage…

Le regard en biais qu’elle te jette, après ta pique ironique, ne t’échappe pas et ça te satisfait au plus haut point. Elle est agacée par ton attitude. Tu ADORES énerver les gens. Troubler leurs instants éphémères de paix et de tranquillité. Ce qui fatigue parfois Ombre qui elle, e rêve que de ça. Et comme elle te suit quasiment partout –t’as l’impression d’avoir une nounou c’est pénible – elle est souvent embarquée dans tes histoires. Tu réponds à sa première question embellissant fortement la réalité. Ce serait presque poétique, de ta part. Elle ne réagit pas, sinon en souriant. Hum, elle aussi sourit souvent, comme toi. Sourire mesquin, espiègle, mauvais… Beaucoup de choses passent par le sourire, accompagné du regard bien sûr. Tu lui poses alors ta question suivante, somme toute assez banale, mais tu ne pensais pas obtenir une telle réaction. Serait-ce… de la souffrance sur son visage ? Hoho ! Comme c’est intéressant. Tu écoutes sa réponse, les yeux rivés sur le ciel, mais très attentif.

∞ C’est… moche. Ce serait bête qu’il ne s’en soit pas sorti après tous ces efforts.

Toi, compatir ? Non, ce n’est pas possible. Pas alors que tu ne la connais pas. Et même tes connaissances n’en bénéficient pas toutes. Mais par contre, c’est vrai que tu trouves ça moche. Elle a l’air jeune, environ 18 ans. Devoir crever dans quelques années, toi franchement tu n’aurais vraiment pas aimé. Mais… soyons clair, aurais-tu fait une chose pareille ? Non. En fait, c’est même le contraire. Tu aurais négocié avec Hadès pour que ton frère et ton « père » ne ressuscitent pas. Tu les détestes. Peut-être pas au point de souhaiter leur mort –quoique – mais s’ils étaient en danger, tu ne bougerais pas le petit doigt pour eux. En fait, ton existence serait même soulagée de leur absence. De savoir qu’ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Alors, non, tu n’aurais jamais vendu ton âme pour quelqu’un. A part Lyvion, certainement. Mais il était trop intelligent et entraîné pour se laisser tuer comme ça donc encore une fois, ça n’a pas lieu d’être.

∞ Mais c’est très louable de ta part. Je dirais même héroïque. Stupide, mais héroïque. Tu dois vraiment tenir à ton frère, et lui à toi, pour avoir fait ça. Il aurait fait la même chose à ta place, sans doute.

Serait-ce une once de jalousie qu’on sent poindre dans ta voix ? Possible, car tu es quelqu’un de jaloux. Jaloux de ce monde, jaloux de chaque être qui profite des joies de la vie, de chaque personne qui a eu une enfance heureuse, car ce n'est pas juste. Mais, là… de la jalousie… qui sait. Tu as toujours cherché l’attention d’un père qui n’en était pas un, l’affection d’un frère et d’une sœur qui t’ont toujours méprisé. L’amour d’une mère qui au final, ne t’aimais pas assez. Bien moins que son cher mari. Ta main glisse dans la fourrure de ta panthère, tes yeux l’observe elle, féline, paisible. Heureusement que tu l’as rencontrée, sinon… eh bien, sinon tu ne serais pas là aujourd’hui. Crevé depuis longtemps certainement.

∞ J'ai une question, mais sincèrement, sans moquerie. Est-ce que c'est vrai, cette histoire de malédiction sur les employés du cirque ? J'en ai entendu parlé quelque part, je pense que tu es l'un des mieux placés pour y répondre.

Ton regard glisse vers son visage. Oh, mais voilà qui est bien précis. Le jeu se construit, petit à petit. Et chaque nouvelle pièce qui se déplace vous conduit vers une fin des plus spectaculaires. Tu fais mine de réfléchir, avant de couler ton regard de glacier sur ton affiliée, qui se trouve bien enfoncée dans les bras de Morphée.

∞ Hum, c’est une bonne question. Une très bonne question. Oui, il y a vraiment une malédiction qui pèse sur le cirque. Quiconque y pénètre hors des horaires de visite est condamné d’y rester toute sa vie. Même si on peut sortir pour quelques temps, l’appel du cirque est inévitable et on finira toujours par revenir. C’est le précédent directeur du cirque qui l’a lancé juste avant de mourir. Va savoir pourquoi. En tout cas, il n’y a que les demi-dieux qui échappent à la règle, grâce à leur sang divin. Je dois avouer que c’est assez… contraignant.

Oui, toi qui tiens plus que tout à ta liberté, au début tu as eu sérieusement du mal à te faire à l’idée que tu devras y passer toute ta vie sans pouvoir choisir. Mais avec le temps, tu t’es lié d’amitié avec Lyvion et d’autres forains, alors ce n’est plus qu’un détail. C’est comme de l’urticaire ; chiant, mais supportable. Tu aurais très bien pu répondre à Lilith « pourquoi ne pas y aller toi-même pour vérifier ? » Mais voilà, déjà tu as fixé les règles, il serait bête de te décrédibiliser, et puis elle a répondu à ta précédente question de façon bien plus fournie que tu ne l’espérais donc… ce n’est qu’un juste retour des choses. Même si, évidemment, tu ne le ferais pas à tous les coups.

∞ Mais tu peux toujours aller vérifier par toi-même, ajoutes-tu quand même avec un sourire en coin.

Il te faut trouver maintenant une autre question. Une qui soit plus précise que la précédente, plus stratégique. Voyons… et si tu allais dans la continuité ? C’est une bonne idée ça. Tu passes une main dans ta chevelure rousse avant de poser tes yeux bleus sur elle. Elle sait où tu habites, où tu travailles, donc…

∞ Et alors, tu as fait quoi, après être arrivée ici ? Tu t’es retrouvée à la rue, ou bien t’as trouvé une bonne âme ?