[Event#3] La belle et la bête

La lumière dans la pièce lui piquait un peu les yeux. La lumière en question provenait d’un grand lustre qui se trouvait au milieu de la pièce. Tandis qu’elle se cachait un peu les yeux pour ne plus devoir supporter une si forte luminosité, elle se demanda qui s’était donné la peine d’allumer tous ces cierges, mais en y réfléchissant encore et encore, elle se dit qu’un mage avait du passer par là. Tout était magique ici, et elle trouvait qu’il y avait pas mal de bons côtés à vivre dans un endroit pareil. En y repensant, l’île en elle-même n’était pas plus magique que ça… Si on ne prenait pas en compte le fait qu’elle se trouve dans les airs, sans quoique ce soit pour la raccrocher au sol. D’ailleurs, les avions pouvaient-ils passer près de l’île, faisant ainsi découvrir à ses passagers l’endroit merveilleux ? Leur tête devrait être marrante à voir, dans ce cas-là ! Ils auraient des yeux ronds comme des pastèques, et dès qu’ils se poseraient, ils iraient raconter à tout le monde qu’ils avaient vu une terre qui flottait au milieu des nuages, et on les prendrait pour des fous. Ce serait alors dommage pour eux, mais cela éviterait des peines aux sanctuariens. Mais, ce n’avait pas l’air d’être arrivé jusque là, alors peut-être que ce lieu était caché aux gens trop… normaux ? Peut-être était-il comme invisible à leurs yeux, inexistant pour les êtres sans pouvoirs ? Tout ce qui était sûr, c’est qu’il ratait quelque chose de vraiment génial ! Enfin, ce ne serait peut-être pas génial, pour eux. Après tout, si elle est ici, et si tous les autres sont ici, c’est car ils n’étaient pas pareils que les autres. Les humains, eux, ne sont pas différents les uns des autres, logiquement.

Elle regarda un peu autour d’elle, remarquant par ce fait que la pièce était encore assez vide. Elle devait être arrivée un peu trop tôt. Pourtant, elle était sûre d’être entrée dans le théâtre à 19 heures pile. Mina n’était pas du genre à se pointer quelque part en retard… Ce n’était qu’une mauvaise habitude. Ou une bonne habitude, au choix. Malgré ce trop peu de monde, elle se doutait bien que de plus en plus de monde allaient entrer dans la salle, les gens se pressaient derrière elle. Mais pourquoi était-elle ici, elle ? Il était bien connu que Mina n’était pas trop de ces gens qui se mêlaient facilement aux autres. Sûrement avait-elle eu besoin d’air, depuis bien quelques semaines, et c’était d’ailleurs à ce moment-là que la fête avait été annoncée, ainsi, qu’on le veuille ou non, on était forcément au courant de ce qu’il se passait aujourd’hui dans le théâtre de Chloris, car les nouvelles allaient vraiment vite sur l’île céleste.

Vous étiez au courant que c’était la première fois que Mina venait dans la ville de la plaine ? En même temps, la cité était toujours trop plein de monde à son goût, et on ne pouvait jamais être tranquille ici. Elle préférait largement la capitale à la ville des fêtes. En plus de cela, tous les gens qui y passaient leurs soirées semblaient être des excités, des cinglés, des fous furieux… Et puis, ce n’était pas une coincée comme elle, qui allait y aller pour faire la fête toute la nuit… Elle s’étonnait toujours d’être venue ici, d’ailleurs, mais elle ne pensait pas y rester une éternité non plus. C’était juste le temps de croiser quelques connaissances, de montrer sa jolie nouvelle merveilleuse robe à tout le monde, peut-être même de faire la connaissance d’une ou deux personnes, mais rien de plus. Après, elle repartirait chez elle comme si de rien n’était, elle rangerait sa tenue pour ne plus jamais la reporter, et elle ferait à manger pour sa boule de poils.

Pourtant, cela lui déchirait le cœur de se dire qu’il faudrait se séparer de son nouvel achat aussi vite. Si vous la voyiez, vous comprendriez bien pourquoi ! Elle portait pour cet évènement une robe rose – pas le rose qui fait moche, le noir qui fait beau – avec des longs gants blancs presque transparents, qui rendait le tout sublime. En plus, elle avait économisé depuis qu’on l’avait prévenu – ou plutôt, qu’elle avait entendu lors d’une discussion – qu’une fête était prévue pour l’anniversaire du lieu céleste, mais elle était bien contente maintenant d’avoir trouvé ces habits qui, selon elle, lui allaient vraiment bien. Malheureusement, ils étaient un peu trop grands, alors la jeune fille devait tenir sa robe en permanence pour ne pas qu’elle ne se salisse trop, et pour ne pas marcher dessus. Elle se maudit mentalement une nouvelle fois, car elle détestait le fait d’être aussi petite. Pourquoi est-ce qu’elle ne grandissait pas ?! Elle ne mangeait pas énormément, c’est vrai, mais elle buvait beaucoup de soupe ! Enfin… Elle ne mangeait presque que ça, espérant gagner quelques centimètres chaque jour, en vain. Elle resterait petite toute sa vie, c’était certain, et commençait déjà à se morfondre à cette idée.

Alors qu’elle s’avançait au milieu de la pièce, elle faillit s’étaler de tout son long, en se prenant les pieds dans sa robe une nouvelle fois. Heureusement, elle parvint à se rattraper à… quelqu’un. Un jeune homme blond, apparemment. Elle s’excusa rapidement, et sans même attendre de réponse, partit s’isoler dans un coin de la pièce, rouge de honte. Il fallait vraiment qu’elle se calme, qu’elle reprenne pied… Mais Mina, comme à son habitude, angoissait pour un rien. Elle ouvrit de grands yeux en remarquant que la salle était de plus en plus remplie. Tout cela allait très mal se terminer, elle en était certaine. Pourtant, elle refusait de parler de ça. Elle ne voulait en aucun cas gâcher sa soirée, qui venait à peine de débuter. De loin, elle apercevait quelques personnes qui entraient en grands groupes dans la salle de bal. C’était malheureux d’être venue ici seule… Alors qu’elle scrutait l’entrée, elle vit apparaître par toutes ces personnes Naomiie, une elfe avec laquelle elle s’était liée d’amitié il y a peu. D’ailleurs, ne voyait-elle pas qu’un garçon non loin d’elle, qui semblait bel et bien l’accompagner ? Etait-il son… amoureux ? Oh, on en apprenait toujours dans ce genre de fête…

Elle parcourut la pièce en direction du couple, et lui fit un grand signe de la main lorsqu’elle regarda vers elle. Après avoir slalomé entre plusieurs femmes, qui étaient pour la plupart habillées de manière élégante, elle se retrouva devant l’elfe, à laquelle elle sourit. Elle lui demanda comme elle allait depuis la dernière fois, après les avoir salué tous les deux. A un moment, un démon – elle sut que c’en était un, car son aura empestait – lui rentra à moitié dedans, et elle faillit lui crier dessus, mais il n’en valait même pas la peine. Elle attendit quelque peu que Naomiie lui réponde pour dire elle aussi comment elle allait.

« Je vais bien. Par contre, je n’aime pas trop tout ce monde, mais la fête risque d’être amusante tout de même, alors… »

Elle lui adressa un sourire à nouveau, puis lui souhaita une bonne fête en compagnie de son cavalier avec un clin d’œil, avant de leur faire la révérence – bien que ce ne soit vraiment pas dans ses habitudes – et de repartir un peu plus loin après avoir prétendu qu’elle devait rejoindre quelqu’un. Heureusement, elle ne passerait sa soirée avec personne. Ou plutôt, elle ne pourrirait la fête de personne. Alors, oui, c’était malheureux pour elle, mais elle voulait rendre les gens heureux, et ne pas les déranger serait déjà quelque chose de sympathique. Alors, elle évitait sa présence gênante aux gens qu’elle aimait. Même si personne ne le saurait jamais… Mais à quoi bon ? Est-ce qu’il faut faire savoir aux personnes qu’on est gentil avec eux pour l’être vraiment ? Les actes faits en cachette prouvent ce qu’on est, contrairement à ce qu’on dit aux autres. Alors autant être une bonne fille en cachette, peut-être même un monstre en face à face, le tout était de savoir en nous-mêmes que nous sommes quelqu’un de bien, malgré tout ce les gens autour de nous peuvent dire. C’était sa façon de penser. Peut-être que c’était faux, mais… Elle ne changerait pas d’avis à ce sujet.

Elle secoua la tête. Elle devait sourire, au moins ce soir-là. Elle se rappela sa mère, qui réussissait toujours à la faire aller mieux. Aujourd’hui, elle était seule. Demain aussi, d’ailleurs. Mais, pour remercier cette femme merveilleuse qui l’avait mise au monde, elle ne devait pas oublier de se rendre heureuse et de rendre heureux ses amis. Et la jeune fille réfléchissait beaucoup trop aux conséquences. Elle voulait juste s’amuser, noms de dieux ! Elle noua ses cheveux en une queue-de-cheval haute, expira un bon coup, et releva la tête. Juste le temps de voir une… ombre se dessiner autour d’elle. Qu’est-ce que c’était que ça ? Un rideau qui était passé devant le lustre ? Etonnant, vraiment. Peut-être que la lumière avait été éteinte ? Ah non, elle voyait encore de la lumière autour de la zone d’ombre. Les gens qui croisaient son regard semblaient effrayés. Certains lui criaient de se pousser. Qu’est-ce qu’ils avaient tous ? Enfin, on lui cria de se retourner. Bien, bien, elle se retournerait ! Mais ils avaient intérêt à avoir une bonne raison de lui hurler toutes ces choses !

En tournant la tête vers l’origine de l’ombre, elle eut juste le temps d’apercevoir une sorte de… de botte géante qui était sur le point de l’écraser ! Elle fut prise de panique, et faillit rester là, quitte à se faire écrabouiller. Elle réussit tout de même à bouger, et à éviter la chaussure de justesse. Elle posa sa main sur son cœur, toujours un peu… surprise ? Non, ce n’est pas le mot. Elle était totalement déboussolée ! Depuis quand on marchait sur les anges ?! Ou sur quiconque, en fait. Elle appuya sa deuxième main sur son front, sans faire attention à ce qui l’entourait. Oui, je le sais bien, elle faisait un de ces théâtres pour rien. Mais avouez que ça vous aurait bien fait peur ! Et puis, le lieu où ils se trouvaient poussait à faire semblant. Elle se retourna, les mains sur les hanches. Ca allait barder, parole d’ange-vampire !

Bien sûr, ça ne pouvait arriver qu’à elle, ce genre de choses. Bah oui, qui d’autre, lors d’un bal, manque de se faire écraser par un géant ? Elle, elle arrivait parfaitement à se mettre dans ce genre de situation, par contre. Après tout, c’est pas parce qu’on était un ange qu’on pouvait pas tomber dans ce genre de choses, je vous promets… Elle en était la preuve, d’ailleurs. Bien qu’elle soit encore sous le choc, elle entendait autour d’elle des gens qui critiquaient le ‘monstre’ qui lui faisait face. C’est vrai qu’il ne fallait pas faire très attention pour manquer d’écraser quelqu’un, mais… Après tout, ça pouvait arriver à tout le monde d’avoir la tête en l’air quelques secondes… Bien sûr, là, c’était particulier. Pourtant, malgré qu’elle aurait pu mourir, ou avoir quelques os cassés, elle ne lui en voulait pas particulièrement. Un peu, bien sûr, mais en le regardant bien, il semblait… désolé, et ses paroles confirma ce qu’elle en pensait.

« Pas blessure? Je pas voir ou etre vous, pas habitude, beaucoup personnes ici. Invité pas savoir pourquoi. Je venir mais pas penser autant petits personnes ici. Je vous demande d'excuser moi. »

Mina baissa la tête quelques secondes, le temps de réfléchir à la phrase afin de la comprendre… Ca y est. Elle était maintenant sûre et certaine qu’il n’avait pas cherché à la tuer. Heureusement, d’ailleurs, sinon ça aurait chauffé pour lui. Après s’être relevée grâce à l’aide d’autres personnes qui lançaient des regards à la fois apeurés et réprobateurs à l’homme… si c’était bel et bien un homme. Enfin, il y avait très peu de vrais hommes sur l’île, mais ce n’était pas vraiment le sens qu’elle accordait à ce mot. Disons que c’était un peu… compliqué à expliquer.

Petit à petit, elle remarqua qu’elle n’avait pas dit un mot depuis qu’il avait parlé, et que c’était affreusement malpoli. Elle s’en voulait même un peu. Peut-être que c’était un monstre, comme le disaient les gens autour d’eux, mais pour l’instant, c’était elle qui ne respectait pas les règles de la bonne conduite. Sa mère aurait été furieuse… Sa mère… Elle avala sa salive, comme si cela allait chasser cette idée de son cerveau, puis commença à préparer ses phrases, avant de les formuler en faisant attention à hausser légèrement la voix afin qu’il l’entende, sans pour autant crier dans la grande salle.

« Je ne pense pas m’être fait mal… Elle regarda ses bras et ses jambes comme pour se convaincre elle-même, et je… je ne t’en veux pas… »

Mina n’était pas très causante. En fait, à force de vivre toute seule dans la forêt – Fureur ne comptait pas, vu qu’elle ne discutait pas avec elle : elles se disputaient seulement –, elle avait fini par prendre l’habitude de ne pas trop dialoguer avec les gens qu’elle croisait. Et puis elle disait toujours des bêtises alors elle ne voyait vraiment pas l’intérêt d’entamer une conversation avec des gens, d’autant plus si elle voulait se faire bien voir pour eux. Et oui, pour elle, rester muette était beaucoup plus envisageable que faire la pipelette. C’était peut-être étrange pour certains…

Vu qu’elle le fixait depuis un moment déjà, mauvaise habitude qu’elle avait prise de regarder les gens de loin – et sa tête n’était d’ailleurs pas si près que ça, cela lui donnait alors une bonne raison... Plus ou moins –, elle eut l’occasion de faire un peu plus attention à ce qu’elle n’avait même pas pris la peine d’observer. Etrangement, sa tenue était tout à fait normale pour une fête. Il portait une grande tenue – du moins tout aussi grande que lui – aux couleurs blanches et or. Peut-être était-ce même du vrai or, mais cela semblait un peu étrange. Il portait aussi un masque qui cachait entièrement son visage. Ce n’est pas que cela la gênait, il faisait ce qu’il voulait, après tout, mais… Une question subsistait :
« Pourquoi ? » Est-ce qu’il en avait un pour faire comme les autres ? Elle, elle ne comprendrait jamais l’intérêt de ne pas montrer sa différence, mais peut-être qu’il voulait participer au mieux à la fête. Ou peut-être avait-il une autre raison.

Soudain, alors qu’elle s’était à nouveau plongée dans ses pensées, elle entendit quelqu’un crier à son attention.

« Hey, Mar- MINA ! »

Même si elle connaissait de plus en plus de personnes, il n’y en avait qu’une qui l’avait jamais appelé Marie. Elle soupira malgré elle. Au moins, cette fois, il avait fini par donner son vrai prénom. C’était un début… Elle tourna le visage vers lui et remarqua qu’il était plus près qu’elle ne l’aurait cru, et cela la fit reculer d’un pas, par réflexe. Il avait toujours l’air aussi bienheureux, peut-être même aussi… enfantin. Ce n’était pas mauvais, mais ce n’était pas vraiment ce que Mina aimait le plus. C’était un peu idiot, vu qu’elle était une vraie gamine, quand elle voulait. Parfois même quand elle ne voulait pas…

Il commença par me demander si je me rappelais de lui, et je répondais par un « Moui… » voulant plus ou moins dire que ce n’était peut-être pas une si bonne nouvelle pour elle. Elle se rendit soudain compte qu’elle n’était pas gentille du tout avec lui, qui venait même prendre des nouvelles d’une enfant antipathique. Elle se mordit la lèvre légèrement, puis releva la tête pour croiser son regard. Comme par automatisme, elle sourit et répondit à sa toute dernière question.

« Je vais bien, merci. Et toi ? Tu n’es plus poursuivi par des binoclards, au moins ? Elle lui adressa un petit clin d’œil, puis continua. Je n’espérais pas non plus te voir aussi tôt, mais il fallait s’en douter. Cette fête a pris beaucoup d’envergure en à peine quelques jours… »

Elle ne précisait pas que cela l’embêtait, mais… Bien sûr que c’était le cas. Elle n’aimait pas quand il y avait trop de gens, alors là pas du tout. Mais, pour une fois, elle ne se sentait pas trop mal. Peut-être que, lorsqu’on manque de se faire écraser, on pense un peu moins au monde qui nous entoure. Ca semble logique. Alors que le blond se retournait, elle remarqua qu’il regardait la personne avec qui elle causait l’instant d’avant, et lui dit qu’il ne l’avait pas vu. Elle faillit s’étrangler en riant. Comment avait-il fait pour ne pas l’apercevoir, alors qu’il faisait plusieurs mètres de hauteur ? Alors qu’elle continuait à rire intérieurement à ce sujet, son ami partit sans qu’elle y fasse attention. Elle comprit juste qu’il n’était plus là quand elle rebaissa les yeux.

Là, elle s’aperçut que son départ avait définitivement coulé la conversation. Non pas que ça la gênait : Elle aurait très bien vécu en repartant chez elle… Dans la forêt, mais elle savait que ça ne se faisait pas. Pourtant, elle n’avait rien à dire. Ainsi, les mots se bousculèrent dans sa tête. De temps à autre, elle relevait les yeux vers le géant, puis regardait à nouveau ses mains. Tant pis, il fallait tenter le coup, même si ça tombait à plat.

« Je m’appelle Mina, et… et toi ? »

Soudain, elle se sentit un peu bête. Tout à l’heure, ses phrases étaient incompréhensibles pour elle. La jeune fille se doutait maintenant que les siennes devaient l’être tout autant pour lui… Et mince. Elle oubliait toujours de faire attention aux détails. Elle demanda tout de même, pour être sûre :

« Tu comprends quand je parle ? Quand je… dis des mots ? »

Elle espérait que ça suffirait… En même temps, comme ça, on aurait peut-être dit qu’elle le prenait pour un idiot, mais ce n’était pas sa faute s’il ne comprenait pas la manière dont elle parlait. D’ailleurs… Comment se faisait-il que tout le monde utilisait la même langue sur l’île ? La Terre, pour ce qu’elle en savait, était un grand pays où personne ne se comprenait, et beaucoup de sanctuariens en venaient, comme elle. Bien que c’était un peu particulier pour l’ange-vampire.