run away with me. ❞ (steliemma) ♡

Emma allait sur ses vingt-trois ans, possédait un appartement dans le centre de la plus belle ville du monde, avait un emploi stable, une bonne santé, un équilibre social et professionnel correct et suffisamment de temps libre pour affirmer qu'elle s'épanouissait dans sa vie. Sa vie avait pris un tournant qui avait requis de nombreux sacrifices, qui portaient un peu plus de leurs fruits chaque jour.

Pourtant elle ne pouvait ressembler plus à une adolescente qu'en cet instant, à trépigner d'impatience à l'idée la matinée ne se termine pour profiter de son week-end. Emma, qui s'épanouissait dans son travail, attendait rarement ce moment de la semaine.
Mais celui-ci était spécial.

Elle frappa à la porte après s'être annoncée. Son coéquipier leva les yeux vers elle, et Emma réalisa en croisant son regard qu'elle avait fini par s'habituer à sa ressemblance avec l'homme avec qui elle partageait trop de nuits par semaine pour prétendre n'y avoir rien de plus qu'une attirance mutuelle. « J'ai posé mon après-midi, on se voit lundi. » Il la salua d'un geste de la main, sans quitter des yeux la paperasse qu'ils s'étaient distribués la veille et qu'Emma avait efficacement bouclé avant de ranger ses affaires, puis la jeune recrue quitta le bureau, un sourire presque espiègle sur le visage. Elle passa devant les vitres de l'entrée, en se demandait qui es-tu, et qu'as-tu fait à Emma Hottenberg ?

Ses affaires étaient prêtes depuis qu'elle avait reçu le bouquet de roses accompagné d'une note de Mr Phoenix lui invitant à lui céder le temps d'un précieux week-end pour une virée dans un lieu qu'il n'avait pas encore voulu lui révéler. Et les étoiles dans ses yeux n'avaient pas disparu depuis.

La voiture était en bas de chez elle à l'heure prévue, mais contrairement à la dernière fois, où le chauffeur était venu seul, Stelian l'attendait en bas de chez elle, encore plus séduisant que dans son souvenir. Emma réduisit en quelques enjambées la distance qui les séparait, pour aller naturellement chercher le contact de ses lèvres contre les siennes. Elle ne put retenir le sourire qui commençait déjà à fleurir sur ses lèvres avant même qu'elles ne se touchent, tandis que les papillons dans son ventre se mettaient en mouvement.
C'est juste l'excitation du moment, se rassura-t-elle, mais elle ne trompait personne.

« Où va-t-ton, Monsieur Phoenix ? »

Emma passa la première partie du trajet à lister tout ce qu'il était possible de faire à Chloris. Elle ne s'y rendait que très rarement, et jamais plus d'une journée -une soirée, parfois. Elle passa en revue toutes les spécificités de la ville, tous les événements qui auraient lieu au cours des jours qui allaient suivre. Elle s'arrêtait de parler cinq, dix minutes ; puis se remettait à parler sans s'arrêter, cinq, dix minutes. Ses yeux s'arrêtèrent un instant sur le plan de la ville, essayant de se rappeler pourquoi il lui était si familier. « Mon père a acheté un appartement à sa copine à Chloris, il y a deux ans. » conclut-elle. Et elle s'arrêta de parler un bon quart d'heure.

C'était uniquement pour cette raison qu'elle ne mettait plus les pieds dans cette ville. Elle lui rappelait autant de bons que de mauvais souvenirs, ceux qui avaient un rapport avec sa vie d'avant -celle de sa famille parfaite- qui semblait aujourd'hui si loin qu'elle avait le sentiment qu'elle l'avait rêvée. « Il m'emmenait au théâtre voir toutes les représentations de ballet, quand j'étais petite. » Emma avait fait de la danse dès son plus jeune âge, encouragée par son cher papa qui débordait de fierté de voir sa petite princesse s'épanouir dans ce qu'elle faisait ; mais dès qu'il avait arrêté de venir à ses représentations, après sa séparation avec sa mère, Emma avait tout bonnement abandonné.

Les yeux rivés sur le paysage qui défilait devant elle, la fée se perdit dans ses pensées à la fois douces et amères, incapable d'arrêter de songer à ce que pouvait bien faire son père à qui elle n'adressait plus la parole depuis qu'il avait annoncé son imminent mariage avec la femme qui avait brisé sa famille. L'invitation gisait toujours dans le tiroir de sa table de chevet, et elle n'avait toujours pas décidé si oui ou non elle se montrerait à cet heureux événement qui aurait lieu dans moins d'un mois.

Puis la main de Stelian qui frôlait sa cuisse -par inadvertance ou de façon totalement volontaire- la ramena à la réalité. Elle se tourna vers lui, qui portait une attention particulière à la route sur laquelle il conduisait, et fut encore une fois frappée par la perfection de ses traits. Elle réprima un sourire, tout à coup consciente que l'emprise qu'il avait sur elle était telle qu'elle en avait, pendant près d'une heure, complètement oublié le fait que Chloris réveillait en elle de mauvais souvenirs. « Tu ne m'avais pas dit que tu avais un frère. » déclara-t-elle en scrutant la moindre de ses réactions. Elle ne lui en voulait pas de ne pas lui avoir dit, car après tout ils n'avaient jamais eu l'occasion de parler de leurs familles respectives -ce qui était injuste, car celle d'Emma était connue à cause des scandales causés par ses parents. « On travaille ensemble depuis un peu plus d'une semaine. » Stelian et Emma s'étaient vus à plusieurs reprises depuis, mais pas suffisamment longtemps pour avoir une conversation. « Je comptais t'en parler plus tôt, mais tu ne m'en as pas laissé l'occasion. » Elle ne put réprimer le sourire qui fleurit sur ses lèvres tandis qu'elle repensait à toutes les fois où ils auraient pu parler, mais qu'ils avaient préféré s'adonner à des activités moins prise de tête et sur lesquelles ils tombaient toujours d'accord.

Parfois, Emma se haïssait pour ce qu'elle était. Elle se détestait de trop de projeter, de trop s'impliquer et de trop ressentir. Elle regardait Stelian focalisé sur sa conduite et elle sentait ces maudits papillons lui chatouiller le ventre, pour la première fois depuis une éternité.

Elle avait été celle qui aimait le plus et elle avait fini par en souffrir -et il le lui avait reproché. Maintenant qu'elle avait appris de ses erreurs, elle s'efforçait de garder une certaine distance, quand il s'agissait d'exprimer son attachement grandissant pour cet homme. Pourtant ce n'était pas l'envie qui lui manquait.

À chaque marque d'affection spontanée qu'il lui accordait, Emma ressentait un mélange de surprise et de joie qui, l'espace de quelques secondes, suffisait à lui faire oublier les préoccupations qui lui tiraillaient l'esprit. Elle prit la main de Stelian qui lui caressait le visage et entremêla ses doigts aux siens. Emma resta silencieuse, pesant le pour et le contre, savoir si il fallait être honnête -avec lui mais aussi avec elle-même- ou s'il fallait prétendre, comme elle le faisait si bien jusque maintenant. « Pas vraiment, mais je le serai quand le jour viendra. Comme toujours. » Et si elle ne l'était pas, alors ses frères seraient là pour l'aider à se relever. Ils avaient tout affronté ensemble, et ils le feraient toujours.

Ils laissèrent au voiturier les clés du véhicule et furent conduits directement jusqu'à leur suite. L'hôtel était placé stratégiquement au coeur de la ville, à égale distance de tous les monuments historiques qui valaient le coup d'être visités -elle put le voir à travers la baie vitrée qui couvrait toute la longueur du mur extérieur. Emma fit le tour de la suite avant de se retirer dans la salle de bain pour un rafraîchissement nécessaire.

Lorsqu'elle regagna la suite, Stelian se trouvait sur le balcon, face à la vue et dos à elle. Emma saisit le verre de vin qui trônait sur la table -qu'il avait certainement laissé pour elle- et vint se placer à ses côtés pour faire tinter le cristal et annoncer sa présence. Elle ne but qu'une gorgée avant de résister à la tentation d'enrouler un bras sur la nuque de l'ange déchu pour l'attirer vers elle et lui offrir un baiser qui valait bien plus que des mots. « Qu'est-ce que c'est, tout ça ? Un test pour savoir si tu es prêt à entamer une relation exclusive avec cette folle à lier d'Emma Hottenberg ? » Elle connaissait sa réputation, ses défauts et tout ce qu'on lui reprochait. « Il n'est pas encore trop tard pour reculer. »

La fée haussa un sourcil, comme chaque fois qu'un détail, même infime, attirait son attention. « Ah. Je suis chérie, maintenant. » Elle se redressa, consciente qu'il ne viendrait pas la rejoindre sur le lit tant qu'il n'aurait pas fini son verre -elle commençait à connaître sa façon de faire, maintenant- et attendit presque sagement sur le lit, la tête levée vers lui comme si elle attendait quelque chose de sa part.

Forcée de constater qu'il ne ferait aucun mouvement dans sa direction, elle se contenta de soupirer. « Elles ne le seront pas tant que tu ne les auras pas énoncées explicitement. » Elle se leva, ajusta les pans de sa robe blanche et résista à la tentation de tirer sur le col de la chemise de Stelian pour l'attirer vers elle -bien qu'elle en mourait d'envie, elle devait apprendre à se tenir et ne pas s'emballer sous prétexte que ce week-end l'excitait bien plus qu'elle ne pouvait le montrer.

Elle se contenta de rester près de lui, en observant chacun des traits de son visage derrière ses longs cils, sans amorcer le moindre contact physique susceptible de trahir ses envies. « On pourrait aller au théâtre, ce soir ? L'orchestre philharmonique est en ville cette semaine. » Au court du trajet, elle avait eu le temps d'étudier le programme et éplucher chaque activité qu'il était possible de faire à Chloris.


Ils avaient profité de l'après-midi pour visiter une galerie d'art, un temple et profiter du soleil qui brillait pour flâner dans les rues colorées qui faisaient la réputation de la ville des fleurs. Leur promenade s'était finalement terminée à la terrasse d'un café  « Tu te rappelles de la soirée où on s'est rencontrés ? » Depuis, ils avaient fait un tel chemin qu'elle se demandait même s'ils n'étaient pas des étrangers par rapport à ce qu'ils avaient été à l'époque où leurs chemins s'étaient croisés pour la première fois. « Notre hôte -Arthur Mills- t'en a voulu toute la soirée pour avoir monopolisé ma compagnie alors que j'étais son invitée d'honneur. » Elle eut un sourire amusé, et se pencha sur la table pour murmurer. « Ma mère m'a fait la morale pendant tout le trajet du retour, et je crois que je ne t'ai jamais détesté plus que ce soir là. » Si on en oubliait la fois où elle s'était invitée dans son bureau, mais celle-là était déjà pardonnée.

Elle hésita à lui dire que cette fascination s'était muée en obsession, puis se ravisa. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à trouver, Emma choisit de ne pas lui faire part de ce détail. Alors pour une fois, elle ravala son sarcasme et sa répartie de juriste, quand bien même l'envie ne manquait pas, et se contenta de profiter de la présence de Stelian pour se laisser conforter par la chaleur de ses bras.

Et comme un moment de répit ne durait jamais bien longtemps, il finit par la relâcher et quitter les lieux, sans même un regard dans sa direction. Emma resta en retrait, incapable de savoir si c'était simplement dans sa tête, ou s'il lui demandait tacitement de lui laisser de l'espace. Elle le regarda partir devant elle, et repassa en boucle les mises en garde de sa mère.

« Je n'ai pas élevé ma fille pour la voir devenir un trophée de plus sur un tableau de chasse, Serah. »

Emma passa une main anxieuse dans ses cheveux, avant d'accélérer le pas pour rejoindre Stelian qui s'était arrêté en voyant qu'elle ne suivait pas. Elle enroula son bras autour du sien et lui adressa un sourire qui se voulait rassurant -pour elle, ou pour lui ? « Je ne regrette rien, moi non plus. » finit-elle par déclarer.


Les places dans les loges étant plus petites que celles du parterre et des balcons, le théâtre était équipé d'un salon privé, dont l'accès était réservé aux privilégiés. Ils y servaient boissons et amuse-bouches, sur fond de conversation sérieuse ou plus privée. Emma ne reconnut qu'une poignée de visages, à qui elle adressa à peine un signe de la tête, déjà frustrée à l'idée de retrouver du gratin aussi loin de chez elle. Le reste devaient être des particuliers, propriétaires de terres qui avaient choisi la province à la capitale, raison pour laquelle elle put se fondre dans la masse sans risquer d'être reconnue, sans que l'on vienne lui adresser la parole.

Stelian venait de la quitter un instant pour leur chercher de quoi se désaltérer quand un son familier parvint à ses oreilles. Un rire, sonore et qui semblait envahir tout l'espace du salon qui sembla alors devenir beaucoup trop petit. Elle tourna la tête en direction de son origine, et croisa immédiatement le regard de son propriétaire -vert, la couleur exacte des siens- qui s'arrêta sur-le-champ. « Serah ? »  Pétrifiée, Emma n'esquissa aucun mouvement quand il parcourut la pièce en trois enjambée, laissant ses interlocuteurs derrière lui pour venir l'envelopper de ses bras.

« Papa. » souffla-t-elle, sans qu'un son ne sorte de sa bouche. Elle voulut le repousser, lui hurler de la laisser, mais son parfum et la chaleur de ses bras était aussi intacte de son souvenir, et elle fut forcée de constater que malgré tout le ressentiment qu'elle portait à son égard, les bras de Papa resteraient à jamais l'endroit le plus sécurisant. Il finit par la relâcher, et tout en gardant une main possessive sur son épaule, s'arrêta pour la regarder. « Par les dieux, j'ai failli ne pas te reconnaître. » Tu m'étonnes, ça fait un an que tu n'es pas venu me voir.

Elle voulut lui dire, tout ce qu'elle avait dans la tête, mais elle n'y parvint pas. Elle chercha à se dégager de son emprise -il avait un tel pouvoir d'attraction, Edward Hottenberg- mais ne put s'y résoudre. D'habitude, c'était toujours elle qui parlait en premier, elle qui menait la conversation. Mais pas avec lui, jamais avec lui. « Que fais-tu ici ? Tu aurais dû me dire que tu étais en ville. » Elle le regarda dans les yeux, pendant que derrière lui ses précédents interlocuteurs s'approchaient pour comprendre ce qui avait pu distraire Edward -et parmi eux, cette salope de Marilyn. Il fallait qu'elle reprenne ses esprits ou bientôt, elle serait complètement cernée. « Tu es magnifique, Serah. »

Elle se rappela alors, que sa mère lui avait dit autre chose à propos de Stelian. Du moins c'était ce qu'elle croyait, jusqu'à maintenant.

« Je veux que tu gardes tes distances. Les hommes comme lui ne sont bons qu'à une chose : briser les coeurs de femmes comme toi. »