Your brain's manual » Ginger

« Bah, j’propose qu’on rentre vu que la petite va pas tarder à s’écrouler  » 

Je fais un signe de tête afin d'approuver ses dires et prit Wendy sur mes épaules. Elle avait 10 ans mais était toujours aussi légère, son caractère cependant commençait à s'affirmer violemment et je craignais au fond de moi la crise d'adolescence qui arrivait à grands pas. La plus rude avait été celle de Vénus qui avait touché à un peu tous les excès possible, puis avait fini par se calmer avec le temps. Heureusement, avec ce qui suivait je n'aurais pas tenu le coup. Celle de Rhéa n'avait pas été aussi dangereuse, mais les questions et  réflexions auxquelles j'avais eu droit dépassaient en nombre et en originalité toutes les choses que j'avais pu me demander moi même. Lorsqu'une fille normale se contente de poser des questions style « ça fait mal la première fois ? » ou « T'as pas de règles toi ? », Rhéa misait sur l’originalité et nous demandait « Dis là tu le vois mon vagin ou il est caché ? » et « C'est vrai qu'on peut faire l'amour PARTOUT ? Style dans un placard ou dans une poussette à bébé ? ». Je ne sais pas du tout à quoi m'attendre avec numéro trois, je suis intimement convaincu que j'ai tout vécu en matière de crise d'ado bizarre, et j'ai vraiment peur que Wendy me prouve le contraire. Je ne veux pas. Je ne suis pas prêt pour ça et ne le serais jamais. Tout ça pour dire que je préfère Wendy enfant, même si la sensation de sa tête cognant sur la mienne à chaque pas est désagréable.
Néanmoins, le fardeau est de courte durée puisque Rhéa a, au bout de quelques pas, l'idée formidable de faire de l'ours de Ginger un destrier à la jeune princesse. Je remercie la bête, conscient que même s'il ne peut pas me répondre, il comprend l'intégralité de mes mots, et avance en tenant la main à numéro deux afin qu'elle évite de se perdre on ne sait où. Elle a un don pour se retrouver dans des endroits invraisemblables, et des situations grotesques. En pensant à ça, il faut que je fasse attention, on m'a dit que la déesse messagère avait le chic pour emmener les mortels à l'autre bout du monde. Si ça pouvait ne pas être mes sœurs ça m'arrangerait. Je sais que Wendy accepterait uniquement d'aller au Mexique (Les tacos sont son seul moyen de pression) mais Rhéa ou Vénus, je n'ai aucune idée de où elles pourraient se retrouver. Si je pouvais éviter de recevoir une carte postale avec en motif numéro deux qui danse avec une femme et en commentaire « je te présente Roger, c'est une bonne amie, une travestie brésilienne ! On s'éclate, je t'attends, tu verras le jus d'ananas c'est bizarre mais super bon ! ».

Nous arrivons après une vingtaine de minutes devant chez nous et la fée virile me rend ma sœur. Je la garde dans mes bras -elle est adorable, dommage qu'elle ne dorme pas comme ça plus souvent.

« Bon écoute, j’sais pas si t’étais vraiment sérieux sur cette histoire de baby-sitting, et je sais pas non plus si j’ai passé le test, mais si jamais t’as besoin que je garde Wendy, c’est pas un problème pour moi. En vrai je l’aime bien cette gosse, et tant que j’ai pas à m’occuper de Rhéa en plus, ça me va. » 

Un sourire étire mes lèvres et je retiens un livre. Je vois la seconde s'indigner et répliquer un J'ai pas besoin de toi d'abord, j'ai pas besoin d'une fille qui a les seins qui sont pas là et des couilles sur la tête !  et adresse un un sourire à Ginger qui veut simplement dire que Rhéa ne lui en veut pas, qu'elle est gentille en vrai et que surtout je comprends qu'elle ne veuille pas l'avoir sur les bras.
La demoiselle m'écrit son numéro sur la main, me sourit, je lui souris car je suis poli et qu'elle mérite ma gentillesse quand même, et avant qu'elle ne parte je lui réponds :

«  Je t'appellerais ou t'enverrais un sms quand j'aurais besoin de toi, tu me sauves la vie !  » 

Je ferme la porte, monte les escaliers doucement et viens déposer Wendy dans son lit, la borde et redescends. Je prends un post-it pas encore utilisé par Rhéa (son trip du moment c'est d'écrire des choses stupides dessus style « cherche relation d'un soir » ou « frappe moi avec une tarte » et le coller dans le dos des passants) et y recopie soigneusement le numéro de ma nouvelle (et seule) baby-sitter avant de le coller sur le tableau en liège sur lequel j'accroche aussi la liste de course et le papier indiquant le jour des poubelles (riche invention).

Totalement crevé, je m'assieds ensuite sans aucune grâce sur le canapé et ferme les yeux. Je n'ai jamais employé personne, par peur qu'ils fassent n'importe quoi à ma fratrie. Mais cette fée est quand même une personne formidable et c'est donnant donnant. Puis je vais me faire violence et le dire : je crois que je la considère en amie.