still awake. still alive. ─ Alice

still awake, still alive.

Plongée dans ta confusion, tu t'apprêtais à la laisser te glisser entre les doigts lorsqu'elle se retourne finalement vers toi. Surprise et pourtant stoïque, ton regard se déplace en même temps qu'elle. Sa fébrilité et ses hésitations t'arrachent un maigre sourire pendant que tu l'écoutais te questionner, sans jamais obtenir de réponse. Tu aurais juré qu'elle aurait été soulagée de se séparer de ta compagnie. Après tout, n'avait-elle pas eu peur, lorsque tu t'étais approchée d'elle ? Peut-être s'est-elle rendue compte de l'importance qu'elle avait pris à tes yeux, en si peu de temps. Mais quelle était-elle ? Tu ne le savais même pas toi-même.

Au fond, tu ne comprenais pas bien pourquoi elle s'était retournée, mais ça te plaisait. Tu avais l'habitude de toujours tout savoir et pourtant, à côté d'elle, tu ne savais rien. Regardant ses yeux qui te perçaient ton ennui, écoutant sa voix qui réchauffait ton cœur gelé, tu perdais chacune de tes certitudes. Dans ce monde plein de brouillard, tu ne voyais qu'elle. Dans la foule bruyante et hurlante, tu n'entendais que sa voix.

Eva. C'est sans doute le nom que tu aurais donné à n'importe qui d'autre. C'était comme ça que tu avais décidé de t'appeler, car c'était comme ça qu'elle s'était appelée, avant. Pourtant, perdue dans ses iris bleus, tu en avais oublié tes peines et tes souvenirs, comme si plus rien n'avait d'importance. La belle s'était envolée lorsque ton cœur se mit à dégeler. Fondue au vague décor de ta vie, sans relief, plus qu'un bref songe resté trop longtemps ancré dans ta chair. Il n'y avait plus qu'elle.

─  Roxanne.

Même si Madame aurait été tout aussi bien, finalement. Elle aurait pu t'appeler Henriette, Sarah, Charles ou Edouard, si elle l'avait voulu. Tout aurait été beau, si c'était elle qui l'avait choisi.

Tes doigts, doucement, se rapprochent des siens et lui attrapent la main, délicatement. Fantomatique, tu semblais transparente, comme si sa main aurait pu te passer au travers. Pourtant, tu la levas, doucement, tandis que ton autre main attrapait au fond de ta poche un ruban décoré d'un grelot et d'un fin sifflet d'argent. Tu attaches le ruban autour de son poignet, doucement, attentive à ne pas le serrer trop fort. Tu lâches sa main et lui souris.

─  Tu n'auras qu'à m'appeler, si tu ne veux pas te donner la peine de te défendre une nouvelle fois.

Un maigre sourire se dessine sur tes lèvres alors que tu fais un pas en arrière. Tu la contemples, quelques secondes encore, te disant que c'était peut-être la dernière fois. Tu fermes les yeux, l'espace de quelques secondes, respirant un coup avant de disparaître tel le spectre que tu étais. Les ruelles sombres étaient ton domaine, tu n'allais pas l'obliger à y demeurer. Ou alors pas aujourd'hui.

Great Thief pour Eva ♥

still awake. still alive.

Alice attendait en tachant de rester immobile, comme si le moindre mouvement, le moindre battement de cils allait faire disparaître son interlocutrice. Alors elle gardait cette capuche qui pesait lourd sur ses épaules, ces flacons entre ses mains devenues moites. L'atmosphère était étouffante sous terre, et cette force qui l'attirait vers la surface tentait de gagner ses jambes, malgré sa volonté de rester encore un peu. Pour savoir. Pour connaître.
« Roxanne. »
Ce n'était pas grand chose, et pourtant elle avait son importance. Alice elle-même ne voyait qu'un nom à mettre sur ce visage fantomatique, mais c'était un nom qu'elle n'oubliait pas, car Alice n'oubliait jamais les noms.

Elle lui attrapa les mains. Mais à peine, juste de quoi sentir qu'elle les avait entre les siennes, pas plus. La fille de Zeus baissa les yeux, observant les gestes délicats de Roxanne qui, délicatement, nouait un ruban autour de son poignet qui semblait alors si frêle qu'Alice ne put s'empêcher de frissonner. Roxanne leva les yeux vers elle, incitant silencieusement Alice à faire de même. Le sourire qu'elle croisa eut l'effet de la réchauffer, avec la même chaleur que celle que dégageait sa mère. Pourtant il y avait quelque chose de différent, sur lequel elle ne parvenait pas à mettre la main.

Puis elle disparut, en ne laissant derrière elle que ce bracelet, et ces paroles concernées qui avaient l'air si douces à l'oreille. Alice regarda autour d'elle, et réalisa qu'elle retenait son souffle. Elle baissa les yeux vers son poignet, qu'elle fit bouger légèrement ; le grelot chanta, deux petites notes cristallines qui sonnaient à la fois tristesse et joie. La fille de Zeus baissa ses manches et, après avoir jeté un dernier coup d'œil dans pénombre, gravit les escaliers jusqu'à atteindre la surface, et ce sans se retourner.
L'air frais de la nuit emplit ses poumons, redonna des couleurs à ses joues et lui procura un sentiment de sécurité qui lui avait été enlevé à la minute où Roxanne avait disparu. Elle regarda encore une fois l'une des nombreuses entrées du marché noir et attendit quelques instants, avant de disparaître à son tour.

alice liddell & roxanne voltchenkov