Le désir de tentation [PV Phillis Seirenn]

Si l’on m’avait dit quelques minutes plus tôt que cette fille allait me sourire et presque « m’inviter » à rester avec elle, je n’aurais très certainement pas cru la personne qui me l’aurait soufflé. Partis comme c’était parti, c’était vraiment étonnant. De plus, j’écarquillai de grands yeux lorsque je la vis sourire, elle semblait pétillante, étincelante, alors qu’avant, elle était la proie de l’alcool, vie de débauche, tristesse décolorée, redondante dans la couleur grise. Là, elle semblait beaucoup plus claire, épanouie telle une rose. C’était si étrange de voir des gens changer comme cela d’humeur, changeant très vite de chemise comme l’expression le veut si bien. En fait, j’avais l’impression qu’elle me remerciait de nouveau, mais à ma façon, c’est-à-dire dans le monde du silence. Si cela avait été en mon pouvoir, j’en aurais fait de même, mon visage restait donc de marbre face à cela, dissimulant dans une partie de cache-cache toutes mes pensées les plus intimes soit-elle. Mais alors que je pensais avoir gagné à ce jeu, elle glissa des paroles qui m’allèrent droit au cœur. Laissant apparaître une trace de rougeur, déviant alors moi aussi mon regard. Il était vrai que je n’avais pas vraiment l’habitude de ce genre de parole. La dernière personne qui m’en avait offert de semblables n’était autre que Roxel. Étonnant comme la vie pouvait se montrer bien généreuse parfois. Depuis tant de temps, ce n’était que maintenant que ma vie commençait ? Non, je ne devais pas parler trop vite, les malheurs arrivaient bien trop vite. Je devais simplement profiter de ces moments où je me sentais apaiser afin de pouvoir mes les remémorer plus tard, lorsque ténèbres auront de nouveau envahi mon cœur.

J’acquiesçai simplement lorsqu’elle proposa son aide. Je pris sa main que je tendis vers ma personne et à l’intérieur de celle-ci, je fis apparaître un beau bouton de rose dorée, pas encore épanoui. Puis, je finis par m’accouder au vieil arbre pas loin de la pierre, le nez de nouveau en l’air, « avoir la tête dans les étoiles », c’était ce que l’on devait ressentir lorsque l’on restait à mes côtés. Mais parfois, je me demandai si ma présence était agréable ou désagréable, moi qui n’étais point du tout bavard. De toute façon, rien ne l’empêchait de repartir comme elle était venue à présent. J’espérai seulement qu’elle fasse attention à elle, car son état était encore instable. Pas dangereux, cela était sur, mais suffisamment pour qu’elle perde un peu connaissance après un gros effort. En particulier avec son taux d’alcool qui n’était pas tout à fait évaporé par ses reins. Un soupir s’échappa de ma bouche et virevolta avec le vent avant de se perdre on ne sait où sur cette plaine.

Si seulement le temps pouvait s’arrêter maintenant. J’aurais temps aimé qu’il s’arrête sur ce moment de nouveau paisible, le calme plat, seulement le bruit des animaux nocturnes, du vent emportant les douces odeurs du printemps. Les fleurs commençaient à peine à éclore, certaines, comme la rose que je lui avais offerte -que du coin de l’œil, je l’avais observé la porter dans ses cheveux-, attendaient simplement d’épanouir librement, de montrer leurs belles pétales au monde entier, laisser leur doux parfum planer dans ce lieu vaste avant de mourir et non pas faner. Car dans la poésie des roses, les fleurs crèvent, mais les roses meurent. Façon poétique de voir les choses, qu’est-ce qu’une rose ? Une fleur magnifique, mais pourtant si fragile … Sans leurs épines, que sont les roses ? Rien, moi je me voyais ainsi, je me voyais sans épines, en proie aux multiples dangers sans jamais tenter de me défendre. Mais à présent, mon épine la plus belle était Roxel, c’était le rayon lunaire que j’attendais, mon rayon de soleil qui ne pouvait pas me blesser plutôt.

J’espérai seulement de ne pas l’emporter dans mes ténèbres. Ce qu’avait dit la jeune demoiselle me hantait encore l’esprit. Résonnant au fond de mon être, au même rythme de mon cœur. À chaque battement, j’entendais sa voix me répéter inlassablement « buveur de sang », « sang pur », en fait, je n’étais qu’un monstre, je le savais, mais j’avais tenté de l’enfermer au fond, dans l’un de mes tiroirs, pour ne plus y penser aux côtés de mon hybride, mais ma nature, je ne pouvais pas la cacher, cela m’était impossible. N’importe où j’allais, on savait qu’il ne fallait pas m’approcher, on m’évitait telle la peste, je m’y étais habitué … À présent que j’avais trouvé le bonheur, cela me faisait mal …

Je n’eus pas le temps de réfléchir à autre chose que je fus pris d’une toux qui m’irrita la gorge. J’apportai ma main à celle-ci qui me piquait à présent et je vins me décaler jusqu’à un buisson pour cracher un peu de mon sang légèrement empoisonné. Dans mon élan de gentillesse, j’avais du en aspirer par mégarde … Décidément, je n’arrivais à rien faire de bien. Je vins taper du poing l’arbre d’où j’étais appuyé quelque temps plus tôt, dos à la demoiselle. Je ne devais pas rester là, pas devant elle. Ma vie solitaire reprenait le dessus, mais je devais me soigner où je risquais d’être malade pendant un certain temps et pour tout dire, je n’avais pas envie de devoir quelque chose à quelqu’un. Je commençai donc à partir lorsque l’un de mes battements de cœur se fit bien douloureux, j’écarquillai grand les yeux face à cette douleur avant de m’effondrer en chemin …

Cette sensation de ne pouvoir pas bouger, c’était vraiment désagréable. Devenir qu’une simple marionnette, si fragile, si impuissante, si la jeune fille voulait me tuer, c’était maintenant ou jamais. Mais non, elle se contenta de m’humidifier le visage et de me masser le torse. Le poison avait du temps à s’infiltrer. La piqûre de serpent s’effectuait les trois quarts du temps en présence d’une veine, d’où le poison se répandait plus rapidement. Moi, j’avais du en aspirer une petite quantité –car je ne devais pas la mordre et avec mes canines, ce n’était pas si facile- et cette petite quantité c’était très facilement engouffrait jusqu’à mon estomac. La bile qui se trouvait dans le pancréas c’était contenté de faire son travail, réduisant le poison en de minuscules particules qui pouvait alors passer à travers les tissus du colon et enfin atterrir dans le sens qui avait le droit à un allé simple vers le cœur. Tout cela avait pris un peu de temps, le chemin se trouvant beaucoup plus long. En tout cas, le résultat était là, je me trouvai dans un état second, quelques sueurs au front.

Je la regardai s’activer un peu, mon regard bloqué sur la rose qu’elle avait placé dans ses cheveux. L’une des pétales s’était détachée, je la fis disparaître avant qu’elle ne la remarque. J’espérai de tout cœur que Roxel ne soit pas en ce moment même scotché sur la fleur que je lui avais offerte ; cela pourrait le faire paniquer et je n’avais pas envie qu’il se fasse tant de soucis pour une si petite chose. Ensuite, elle me prit la main, chacune de ses « caresses » m’était agréable, mon cœur me faisait beaucoup moins mal.

J’enlevai ma main de la sienne, me mettant donc en position assise, essayant de respirer convenablement, mon nez se releva vers le ciel avant que je le rabaisse pour me concentrer sur chacun de mes mouvements. En effet, je tentai de me relever, mais à chaque fois, je retombai lourdement sur mes fesses. Mon regard n'avait rien de bien particulier, toujours aussi "taciturne". Au bout d’un moment, je réussis à me relever sous le regard de Phillis, je tremblai de tous mes membres, je tenais vraiment à partir d’ici. Un « merci » s’échappa de mes lèvres et, tremblotant, je fis plusieurs pas flous en avant. On aurait pu me comparer à un spectre, je savais que je ne devais faire aucun mouvement, ce n’était vraiment pas sage que je fasse cela … Une autre des pétales dorées se détacha de la rose.

Alors que je continuai de marcher, quelque chose de chaud attrapa mon bras pour ne plus le lâcher ensuite. Sans dire un mot, je me laissai emporter à la case départ. Je n’avais pas beaucoup réagi depuis, j’avais seulement suivi le mouvement de la jeune fille, telle une pauvre marionnette. Attaché à des files, la pauvre marionnette semblait bien bête. D’un seul coup, elle dégaina de nouveau son épée qui caressa tendrement mon cou. Elle semblait bien sérieuse, mon regard doré restant plongé dans le sien, je ne réagissais même pas à cette douce provocation. L’espace d’un instant, j’avais même oublié le regard tendre de mon cher Roxel. Cependant, elle fit une brève réapparition pour de nouveau disparaître dans le fond de mon cœur. Je plissai des yeux, et une toute petite larme glissa le long de ma joue pâle pour venir mourir dans le coin de mes lèvres. Je réfléchis encore et encore, et cela pendant plusieurs minutes d’affilée. Je n’avais pas bougé d’un centimètre à ce moment-ci. Toujours mon regard dans le sien, la petite substance d’eau avait enfin complètement disparu entre mes crocs, désormais, il ne restait plus que la trace de son passage sur ma joue. Je pouvais me douter que mon attitude pouvait paraître étrange –visage stoïque et pourtant une larme- mais j’avais toujours été ainsi, ou presque …

J’observai une dernière fois le ciel avant de faire un pas en avant. La lame bien tranchante pénétra un peu dans ma chaire, laissant alors mon sang dégouliner le long de mon torse toujours dépourvu de tissu. Ma bouche s’étira et obligea mes crocs à sortir d’un millimètre, révélant leur blancheur aberrante. Je refermai alors mes yeux qui étaient devenus rouge étincelant, pénétrant. Le sang, mon sang coulait et mon côté vampirique réagissait presque automatiquement face à cette douce senteur. Mais cela s’en arrêtait là, je n’avais pas soif, je n’en avais plus le goût depuis bien longtemps. Depuis que j’avais goûté au sang de Roxel, le plus merveilleux que j’avais pu avoir. Et c’était bien cela mon problème. Il suffisait que j’attende encore un peu pour perdre de nouveau la boule, et le voir mort dans mes bras … J’avais si peur de ce futur. J’en avais des frissons.

Ma main se posa sur l’arme, oubliant complètement le côté tranchant que je pris de pleins fouets, mais que je continuai de serrer sans modération. Mes yeux toujours dans les siens, je ne pouvais me détacher de son regard, je ne savais pas pourquoi. Un puis deux pétales dorés croisèrent notre regard.

Aurais-je jugé cette demoiselle trop vite ? Moi qui aurais pensé que son arme allait pénétrer dans mon cou à l’approche du sang, à son odeur, à son goût, après tout, c’était une épée peu commune pour être aussi tranchante … Je sentais plusieurs picotements aux endroits touchés. J’aurais tant aimé qu’elle mette fin à tout ceci, que je ne sois plus de ce monde. Que je ne puisse blesser personne, en particulier le seul être que j’aimais. J’arrêtai de fixer ses yeux afin de la voir desserrer mon point qui partait en miette sur cette lame. Aussitôt que j’arrêtai de la serrer pour m’avouer vaincu, j’apportai –sans écouter un mot- ma main sanglante jusqu’à ma bouche et je vins lécher ce délicieux liquide rougeâtre. Une action qui pouvait fortement déplaire à la jeune fille, mais c’était bien elle qui avait dit que je n’étais qu’un pauvre vampire assoiffé de sang. Assoiffé de sang, certes, mais pas de n’importe lesquels. Le mien, en particulier. Me faisant que plus souffrir à chaque coup que j’offre à mon corps pour soustraire ma source de vie afin de me calmer un minimum. Je n’avais pas décidé d’être ainsi, et si j’avais pu, je ne serais qu’un simple paysan sans pouvoir en particulier, vivant une vie simple, face aux maladies et à la mort.

Mes yeux d’un rouge étincelants se posèrent sur ma blessure qui cicatrisait rapidement, tout comme celle de mon cou qui m’obligeait à respirer plus bruyamment que d’habitude. Ce n’étaient que souffrance inutile. J’avais beau me martyriser, rien ne me tuait. L’autre main de libre vint se poser à l’endroit où se trouvait mon petit cœur de cendres. Il battait. Pas régulièrement, mais il semblait bien présent. J’avais une apparence normale, mais j’étais un monstre. Cette idée me répugnait. Je resserrai mes points et mes ongles pénétrèrent dans ma peau. Aucune expression sur le visage, et mes yeux rouges ne disaient plus rien. Le vide … Un trou sans fond, sombre, obscur, sans vie. Un endroit dont personne n’aimerait y tomber. Je me détestai …

- Pourquoi ne m’as tu pas tué ?

Elle semblait bien partie tout à l’heure alors pourquoi faisait-elle demi-tour maintenant ? Si elle cherchait le combat épée contre épée, ce n’était très certainement pas avec moi qu’elle allait pouvoir être servie. Je ne m’en servais que très rarement.