Tears and Blood {Wolfgang} [NC-16 pour cause de violence]

Malgré toute sa détermination, le doute commençait à s'insinuer en elle. Et si Poséidon désapprouvait ? Elle avait la sensation de s'égarer, de s'éloigner du chemin de la justice, celle-là même qu'elle rendait au nom de son dieu. Il y avait dans la scène actuelle un détail qui la dérangeait, mais la kirin n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Elle laissa la main à Wolfgang pour s'accorder le temps de calmer son esprit... Et aussi parce qu'elle savait ce qu'il pouvait lui réserver. Elle voulait voir ce sourire s'effacer, ces traits se tordre sous la douleur. Elle voulait voir dans ses yeux la peur et le sentiment de défaite. Si le second y faisait son chemin, la première en revanche demeurait absente. Il continuait de la défier. Il voulait décupler sa rage, mais pourquoi ? À quoi cela lui servirait-il puisqu'il en mourrait ? Cette question lui taraudait l'esprit.

Soudain Nayla sentit un souffle près de son cou. Le démon frôla sa chevelure immaculée, ce qui lui déclencha un long frisson. Elle resta un instant figée, laissant ainsi Wolfgang poursuivre. Puis elle posa ses yeux sur le démon. Elle vit sur ses traits une certaine satisfaction alors qu'il lui agrippait le cuir chevelu. Forcément l'humain tint le discours habituel, ce qui commençait sérieusement à la lasser. Et ce n'était jamais bon signe. Il cracha son venin à la figure du démon, le traitant de monstre. Mais c'était lui, le monstre, dans l'histoire. Son coeur était plus noir que le corps d'un sans-coeur. "Elle possède des valeurs." Cette phrase la stupéfia. Les yeux rivés sur le démon, elle se demandait pourquoi il disait ça. C'était vrai, certes, mais lui n'en était pas dénué non plus.... Il connaissait la compassion, même réservée à peu de gens, ainsi qu'un certain sens de la loyauté... C'était des valeurs importantes aux yeux de la mythologique.

Elle ne détourna pas les yeux alors que son camarade mutilait de nouveau leur victime. Enfin c'était plutôt un criminel aux yeux de Nayla. Il ne méritait aucune pitié, aucune compassion. Elle ne broncha pas lorsque l'humain hurla sa douleur. Une partie d'elle se réjouissait de ce spectacle. Combien de fois avait-elle hurlé ? Et pourtant quelque chose s'agita au plus profond d'elle-même. Puis Wolfgang lui planta son propre couteau dans la main. Là non plus elle ne réagit pas, se contentant d'assister au spectacle, immobile telle l'une des statues décorant la scène. Mais l'acte suivant ne put cette fois-ci la laisser impassible. L'ange déchu se mit à lui couper progressivement un doigt pendant qu'il répliquait. Elle fixa longuement son visage. Les yeux écarlates de l'ancien yakuza luisaient d'une lueur qu'elle ne connaissait que trop bien.

« Wolfgang. »

Il s'égarait. Il ne l'entendait pas, il n'écoutait plus. Elle n'aurait jamais dû lui demander d'intervenir. C'était une erreur. Elle aurait dû assumer jusqu'au bout. Elle l'avait poussé sur une pente glissante qui le menait tout droit sur le chemin de la déraison. Elle devait rectifier ça.

« Wolfgang ça suffit. Arrête. »

Elle n'obtint aucune réaction. Soit. S'il fallait en arriver là pour le tirer de sa torpeur elle n'hésiterait pas. Elle tendit ses mains vers lui, et pointa les doigts dans sa direction. Sur son ordre muet, le serpent d'eau demeuré jusque-là en retrait se jeta sur le démon, s'enroulant autour de sa main pour lui faire lâcher son arme. Elle accula Wolfgang au mur, maintenant la pression de l'eau sur son buste, et en profita pour lui arroser la tête, histoire de lui rafraîchir les idées.

« J'ai dit arrête. C'est bon, tu es calmé ? »

Elle ne le libéra qu'une fois certaine de son retour à la réalité. Le torrent d'eau disparut. Puis elle baissa les yeux sur la chose sanguinolente à ses pieds. Qu'éprouvait-elle réellement entre dégoût et haine ? Elle n'arrivait plus à faire la part des choses. Le militaire leva son visage mutilé pour la regarder dans les yeux. Il se releva lentement en s'appuyant contre le mur, tel un ultime acte de défiance, malgré ses blessures dramatiques.

« Vas-y, monstre, finis-en ! »
« Ce n'est pas moi le monstre ici. Ce n'est pas moi qui traque et tue d'innocentes créatures. Ce n'est pas moi qui torture pour le plaisir et me repais de la souffrance des autres ! Le seul monstre ici c'est toi. »

Il laissa échapper un rire guttural, ponctué d'une toux sanglante.

« Parce que tu n'y as pas trouvé ton compte peut-être ? Ne mens pas, j'ai vu la satisfaction que tu en as tiré. Tu as apprécié de me voir souffrir. Nous ne sommes pas si différents en fin de compte, tu es comme moi, un bourreau... »

Le cri de rage de Nayla coupa court à ses élucubrations. Avant même qu'il n'eut le temps de comprendre, elle lui avait lacéré l'abdomen. Son cri de douleur se crispa dans sa gorge. La kirin profita de l'élan de son coup pour pivoter sur elle-même et lui donner un second coup de griffes, cette fois-ci à la gorge. Il tenta de parler mais il ne put rien articuler. Un flot de sang jaillissait en continu de la plaie béante qui avait sectionné presque à moitié son cou. Elle vit son la vie quitter ses yeux juste avant que son corps ne s'affaissât au sol. Et c'était fini. Justice était faite. Son geôlier avait finalement rejoint les enfers. Et pourtant elle n'avait pas l'impression d'avoir vaincu. Son dernier discours avait visé en plein dans le mile. Il avait trouvé la faille. Il avait dévoilé ce qui la dérangeait depuis un moment. Il n'avait pas eu totalement tort. Elle s'était laissée entraîner sur pente glissante de la vengeance. Elle avait ressenti de la satisfaction de le voir souffrir. Exactement comme lui lorsqu'il maltraitait ses victimes. Elle fixa longuement le cadavre sanguinolant, immobile et silencieuse telle une cariatide. Elle se sentait... souillée. Elle n'avait jamais été jusque là. Si elle tuait c'était par nécessité -ou par rage- mais jamais parce qu'elle aimait voir souffrir les autres. Elle avait beau haïr les humains, elle n'avait jamais franchi cette ligne. Jusqu'à aujourd'hui...

Avant son emprisonnement elle n'était pourtant pas aussi radicale. En lui volant dix ans de sa vie, il l'avait transformée. Au final, c'était plutôt lui qui avait gagné. Elle ressentit soudain le besoin vital de nettoyer tout ce sang qui la maculait. De l'eu surgit de part et d'autre de la kirin pour glisser sur sa robe, ses mains, ses joues, partout où le rouge tranchait sur le blanc. Et pourtant, une fois le processus terminé, elle ne se sentait pas tellement plus sereine. Une larme solitaire roula sur sa joue. Tel un ultime adieu à celle qu'elle avait été des décennies auparavant, et que son geôlier avait détruite. Elle se sentait étrangement vide de l'intérieur, comme si dans l'exécution de son bourreau elle avait déversé toute sa haine, son mépris et son dégoût de l'humanité. Mais un cœur ne pouvait rester vide, n'est-ce pas ? Comme dans l'autre base, où elle avait déversé son chagrin, son coeur s'était gorgé de haine. Il ne pouvait pas rester vide, sans quoi elle deviendrait une âme errante qui, telle une coquille vide, chercherait en vain sa voie, laissant mort et désolation derrière elle. En tant que mythologique au service de Poséidon cette voie ne devait jamais s'offrir à elle. Elle devait donc tourner la page, tirer un trait pour empêcher cette décennie de la ronger jusqu'à la moelle. Et quant à combler le gouffre créé dans son coeur suite à cet événement... Elle avait tout le temps pour trouver comment. Se consacrer au devoir lui paraissait être la meilleure solution actuellement... Elle prit une profonde inspiration et d'un geste discret essuya sa joue. C'est alors qu'elle remarqua le regard du démon.

« Ne te blâme pas. Je n'aurais jamais dû te demander de faire ça. J'aurais dû me douter que tu risquerais de te perdre avec tes antécédents. C'était une erreur. Je suis... désolée de t'avoir poussé dans la confusion. »

Le silence reprit ses droits. Elle resta encore un instant figée comme une statue, avant de se tourner vers le démon. Lui aussi était couvert de sang. Elle invoqua alors de l'eau pour le débarrasser au maximum de ce liquide encombrant.

« Quittons cet endroit » proposa-t-elle lorsqu'elle eut terminé. « J'ai cru comprendre que les humains sont très friands de systèmes d'autodestruction dans leurs bases militaires et gouvernementales en tout genre. Il serait intéressant de détruire cette base avec ça. Mais avant de partir, j'aimerais être sûre que ne nous ne laissons personne derrière.»

Par "personne", elle faisait bien sûr référence à d'éventuels prisonniers, des victimes de ces militaires sans scrupules qui pourraient avoir échappé à la mort. Elle ne prendrait pas le risque de condamner des créatures qui pouvaient être sauvées, et surtout, qui méritaient tant leur liberté que leur droit de vivre.

Nayla s'en voulait un peu à présent d'avoir poussé Wolfgang jusque dans ses retranchements. Ce n'était pas ce qu'elle avait voulu. Elle avait juste souhaité voir ce monstre souffrir, alors pourquoi avait-elle délégué la tâche au démon ? Certainement parce qu'une part d'elle même désapprouvait cet acte odieux. Elle était une protectrice des Océans, elle était censée protéger et soigner, tuer devait être en cas d'extrême nécessité, et faire souffrir ne devait pas être. Et pourtant elle avait fait tout le contraire aujourd'hui. Et elle n'avait pas assumé totalement, voilà pourquoi elle avait demandé à Wolfgang de prendre la relève. Comme si lui n'avait plus rien à perdre, mais qui était-elle pour agir comme ça ? Elle le fixa. Non, elle ne voulait plus le voir comme ça. Elle ne commettrait plus jamais une telle erreur. Malgré les paroles de Nayla, le démon plaida coupable. Elle rejeta ses arguments d'un hochement de tête.

« J'accepte tes excuses, mais ce ne serait pas arrivé si j'avais assumé mes actes jusqu'au bout. Ce devait être une exécution... Mais il est mort à présent et seul Hadès peut décider de son sort. »

C'est ainsi qu'elle clôt le sujet. Et elle demanda ensuite au démon de faire le tour de la base pour rechercher d'éventuelles geôles occupées. Elle devait se recentrer sur sa première tâche : protéger et soigner. Elle voulait effacer cette noirceur dans son âme, contaminée par le coeur ténébreux de cet homme qui l'avait privé de liberté pendant dix ans et avait failli la rendre folle. Elle ne voulait plus penser à tout ça. Pourtant ça ne la quittait plus. Avait-elle vraiment gagné cette bataille ? Son bourreau avait réussi à assombrir son coeur. Pour cela elle ne l'en détesta que plus. Elle savait pourtant que la haine n'engendrait que plus de haine et emportait quiconque dans ce maëlstrom infernal. Mais il avait détruit sa vie... Était-elle en train de ressasser sans cesse ? Elle secoua la tête.  Non ! Elle n'allait pas le laisser lui pourrir l'existence jusque dans la mort. D'un pas ferme elle enjamba le pas à Wolfgang. Celui-ci attrapa le premier soldat qu'ils croisèrent pour le faire tomber sous son emprise. Nayla approuva l'ordre, mais aussitôt après son camarade fut pris de vertige.

« Wolfgang, que se passe-t-il ? »

Elle s'approcha de lui et le regarda dans les yeux. Puis elle prit sur elle et posa une main sur son front. Il avait simplement trop usé de son don. Non elle n'était pas devin, juste observatrice et connaisseuse. Elle invoqua une petite langue d'eau pour rafraîchir son visage et soulager au mieux sa migraine. Puis elle la transforma en petite boule d'eau pour lui permettre de la boire.

« Tiens, abreuve-toi un peu. Fais attention, j'ai déjà vu des êtres magiques mourir parce qu'ils avaient abusé de leur pouvoir. »

Elle attendit que son malaise passât avant de reprendre leur recherche. Elle suivit leur marionnette jusqu'à une grande salle qui contenait quelques cages habitées. Nayla contempla le triste spectacle avec effroi. Il y avait deux prisonniers dans chacune, la majorité mal en point. Ils s'alarmèrent les voyant. La kirin sentit son coeur se faire broyer comme dans un étau. Elle fit un pas à la suite du démon, mais des cris la stoppèrent, suivis du bruit d'une cavalcade. Les humains approchaient. Elle n'eut pas le temps de se retourner : elle se sentit entraînée vers le sol. Elle laissa échapper un hoquet de surprise. Une paire de bras l'avait prise par la taille pour la tirer hors de portée des tirs. Réalisant ce qu'il s'était passé, elle se redressa et fixa le démon. Celui-ci lui fournit l'excuse la plus absurde qu'elle put imaginer. Glissé ? Elle continua de le fixer, impassible, de son son masque indéchiffrable.

« On va dire ça.» Finit-elle par déclarer.

Elle n'avait pas apprécié, car après tout, elle n'aimait pas le contact. Cependant elle savait qu'il avait fait ça pour la protéger -même si elle n'en avait pas besoin- et il lui avait sauvé la vie à deux reprises. Elle passa donc l'éponge sur cet événement. Et décida de passer ses nerfs sur les responsables. Plus qu'agacée par ces rafales de tirs, elle pointa les mains vers la sortie et l'instant d'après une énorme vague s'engagea furieusement par l'ouverture et, on pouvait l'imaginer sans visuel, balaya leurs ennemis, enrayant au passage leurs armes. Puis elle se tourna vers les captifs. Ils étaient terrorisés, mais cette démonstration les avait soulagés quant à l'objectif des deux nouveaux venus. Ils ne leur feraient pas de mal, c'était une certitude. Ils étaient de leur côté. Ils venaient certainement les aider ! Elle lisait tout cela dans leurs regards effrayés. Ces pauvres âmes avaient dû souffrir le martyr elles aussi à cause des humains. Elle s’approcha lentement des cages pour ne pas les alerter davantage.

« N’ayez crainte, nous sommes là pour vous. Nous allons vous faire sortir de là, je vous le promets. Vous pouvez tous marcher ?»

Seuls deux hochèrent négativement la tête. Ils devraient donc se faire porter par les moins amochés. En attendant, elle devait d’abord trouver un moyen de les faire sortir de là… Elle examina la structure de la cage. Elle était faite d’une grande vitre de plexiglas transparent, qui laissait passer le son mais pas la matière, et qui était sans nul doute pare-balles et hyper résistante. La serrure ne faisait pas parti de son répertoire, il s’agissait d’une technologie humaine dont elle n’avait absolument aucune idée de comment la forcer. D’ailleurs il n’y avait pas de “serrure” à proprement parler. L’électricité devait aider au fonctionnement, ainsi que ce qu’ils appelaient “le numérique”. Puisqu’elle ne pouvait pas s’en occuper, elle tourna son attention sur le soldat, resté bien sage jusque-là, conscient que sa vie ne tenait qu’à un fil. L’avantage des jeunots, c’était qu’ils tenaient beaucoup plus à leur misérable existence. Il se sentit scruté et commença sérieusement à flipper. Notamment parce qu’elle avait toujours sa forme hybride et donc, deux yeux reptiliens qui brillaient d’une lueur à vous glacer le sang. Elle s’avança vers lui, il recula contre le mur, bégayant, suppliant de ne pas lui faire de mal. Indifférente, elle le saisit à la gorge avec ses griffes.

« Si tu tiens tant à la vie, ouvre les cages.»

Elle serra davantage, histoire de le dissuader de toute protestation ou entourloupe, puis elle le libéra, mais resta près de lui pour lui trancher la gorge au moindre écart de conduite. Il le sentit et, pas fou, décida de collaborer. De toute façon ces gens étaient fou, il ne savait même pas pourquoi on l’avait affecté à cette unité “spéciale”. Dommage pour lui qu’il ne se fût pas poser la question plus tôt… Car il ne serait pas épargné non plus. Mais peut-être lui accorderait-elle une mort rapide et sans douleur. il s’écarta de la console de commande lorsqu’il eut terminé. En même temps, un étrange son indéfinissable retentit, et les portes s’ouvrirent. D’abord hébétés, les êtres aquatiques sortir alors précipitamment, les derniers portés par les plus vigoureux, et se rassemblèrent autour de Nayla pour la remercier et l’acclamer. L’espace d’un instant on put distinguer la pâle esquisse d’un sourire sur son visage. La vision fut si éphémère que c’était à se demander s’il ne s’agissait pas d’un simple rêve, et pourtant… son regard en disait long. Voilà ce pour quoi elle était faite. Ces pauvres âmes qui nécessitaient ses soins et son attention, elle s’occuperait d’elles une fois sortis d’ici. Ce qui ne serait pas une mince affaire, les soldats s’attroupaient. Une bonne douche devrait les rafraîchir… Elle fit signe au démon d’ouvrir la lourde porte blindée puis elle renvoya une nouvelle vague pour empêcher leurs ennemis de se défendre. Quelle poisse d’être enfermés sous un plafond si bas… Sans quoi elle aurait fait un carnage depuis longtemps en kirin. Elle devrait faire avec en attendant.

Elle nourrit continûment le flux aquatique pendant plusieurs minutes, inondant à moitié les couloirs adjacents, jusqu’à sentir ses forces faiblir. Elle cessa aussitôt, connaissant ses limites, et glissa prudemment la tête. Elle découvrit avec satisfaction que les humains étaient toujours impuissants face aux fureurs des eaux. Elle fit signe à ses protéger de les suivre et de rester derrière eux. C’est ainsi qu’ils traversèrent la base en direction du sous-marin, Nayla désarmant les soldats, Wolfgang les neutralisant définitivement. Quelques hybrides les aidaient parfois, lorsqu’ils pouvaient. Ils capturèrent un officier et Nayla autorisa -ouioui- Wolfgang à le soumettre à sa volonté pour le faire enclencher le système d’auto-destruction. Ils suivirent leur pantin pour l’éliminer une fois sa besogne terminée. Il ne fallait pas risquer une annulation. Puis ils retrouvèrent leur chemin jusqu’au sous-marin. Là, Nayla demanda à fermer les portes pour permettre aux anciens prisonniers d’entrer dans le sous-marin sans encombre. Elle monta en premier pour surveiller les soldats encore sous l’emprise du démon, puisque leur ordre n’était pas totalement exécuté. Ce ne fut qu’une fois à l’intérieur que Nayla put enfin souffler. Ses muscles se décrispèrent et elle sentit un poids quitter ses épaules. Elle regarda ses protégés se trouver un coin pour se reposer pendant le trajet du retour. Elle avait au moins réussi à les sauver. Son regard se porta alors sur Wolfgang tandis que le sous-marin quittait son point d’amarrage. Tout ceci n'aurait pas été possible sans lui. Son visage quitta un instant son impassibilité naturelle pour afficher une sincère reconnaissance.

« Merci.»

Elle ne fit que murmurer ce simple mot, mais son regard exprimait toute l’importance et l’intensité de sa gratitude. Puis elle alla s'asseoir en compagnie des hybrides.  Elle resta silencieuse pour le reste du trajet. Au loin, de nombreuses minutes plus tard, elle sentit une onde de choc agiter les flots, au même instant où un grondement sourd déchirait le silence du monde marin, pour ne plus laisser au final qu’un calme souverain.

Tout était fini. Elle avait du mal à le réaliser. Depuis sa libération, elle ne pensait qu’à ça, tous les jours. Et même… depuis sa capture. Son désir de vengeance et de justice s’était amplifié avec le temps et les mauvais traitements. Elle avait tenu pendant dix ans en pensant au sort qu’elle lui réservait dès qu’elle serait libre. Elle n’avait pas pu, car le lâche s’était enfui et le portail l’avait conduit ici. Mais maintenant, avec l’aide du démon, elle avait enfin ce qu’elle souhaitait depuis dix ans. Elle se sentait à la fois plus légère, mais aussi morne… Elle n’avait pas la sensation d’une victoire absolue. Elle avait l’impression d’avoir laissé quelque chose derrière elle dans cette quête. Elle soupira. Qu’allait-elle faire pour l’avenir à présent ? Continuer à travailler pour Poséidon, sans aucun doute… Mais c’était son devoir. Qu’avait-elle maintenant à désirer ? Elle ne savait pas. Une page se tournait, pour la première fois depuis lontemps. Comme c’était étrange la façon dont elle ressentait tout ça. Elle sentait comme un vide en elle, mais de quoi ? Et comment le remplir ? Tout ceci la dépassait.

Elle avait senti un peu plus tôt l’isolement du démon, lorsqu’elle libérait les prisonniers. Et elle savait pourquoi ; son apparence peu engageante ne les rassurait pas vraiment et ils préféraient donc se tourner vers elle. Néanmoins, elle éprouva comme un pincement au coeur. Elle ne trouvait pas qu’il détonnait dans le paysage. Il était différent certes, un grand ténébreux, mais il faisait parti de cette expédition. Enfin… Elle chassa ces pensées pêle-mêle dans sa tête. Elle devait les conduire en sécurité. Elle hocha la tête aux paroles de Wolfgang. Elle non plus ne regrettait pas de partir d’ici. Cet endroit lui donnait la chaire de poule, et surtout la plongeait dans une profonde colère. Et elle étouffait aussi, conséquence de ses dix ans de captivités. Elle était devenue claustrophobe. Elle surveilla le démon du coin de l’oeil quand il donna un ultime ordre. Juste pour s’assurer qu’il ne tomberait pas dans les pommes. Rien de plus. Elle ne s’inquiétait pas… Elle voulait juste le ramener dans un état correct. Il lui avait sauvé la vie à deux reprises déjà, et venait de lui rendre un énorme service. Si grand qu’elle se demanda si elle pourrait jamais trouver comment l’en remercier… Peut-être même qu’elle lui en serait éternellement reconnaissante. Oui, voilà, elle lui serait loyale. Si un jour il avait besoin d’elle, pour quoi que ce fût, elle répondrait présente.

Une fois dans le sous-marin, la tension se relâcha subitement. Wolfgang s’affaissa dans un coin tandis que Nayla s’asseyait non loin. Elle lui exprima sa profonde reconnaissance, plus par le regard et, fait exceptionnel, avec un léger sourire, que par des mots. Nayla était plutôt taciturne, elle ne parlait pas beaucoup, ainsi c’était par les yeux que passaient la grande majorité de ses sentiments. Ses rescapés se regroupèrent autour d’elle et commencèrent à lui parler, doucement, à voix basse. Certains souffraient de leur blessure, alors elle les rassura.

«  Ne vous en fait pas, dès que nous serons en présence d’eau je vous soignerai. Vous n’avez plus rien à craindre.

C’est alors que Wolfgang s’approcha. Elle le sentit plus qu’elle ne l’entendit. Elle leva ses profonds yeux bleus sur lui pour croiser son regard. Il n’avait pas l’air très sûr de ce qu’il avançait, il voulait rentrer ou non ? Enfin, elle commençait à s’habituer à ce que le démon changeât constamment d’avis ou qu’il hésitât régulièrement. Curieusement, et certainement pour la première fois de sa vie, elle aurait bien aimé le savoir plus longtemps à ses côtés, cependant c’était idiot, puisqu’il n’avait plus rien à faire ici, et… elle ne voyait pas comment lui démontrer encore sa reconnaissance. Aussi elle se contenta de hocher la tête.

« Non, je te remercie. Je vais les emmener sur Atlantide, ils y seront en sécurité et pourront s’y reposer sans inquiétude. Tu ne pourrais pas m’y suivre de toute façon. Donc oui, tu es libre de partir. Tu as besoin de te reposer après tous les efforts que tu as fournis pour moi… »

Pourrait-elle un jour écumer sa dette ? Était-ce réellement une dette ? Elle devait vraiment arrêter de se questionner à ce sujet. Elle avait encore des choses à faire, comme accompagner ses protégés en sécurité, et faire son rapport à ses souverains. Elle secoua la tête. Le démon ouvrit alors un portail, et juste avant de passer à travers, il se tourna une dernière fois vers elle pour lui adresser quelques mots. Étrangement, la perspective de le croiser à nouveau ne lui déplaisait pas. Si on restait modeste et réservé comme elle.

« Oui, sans doute. » répondit-elle spontanément.  « Porte-toi bien…»

Elle avait presque murmuré les derniers mots, aussi elle ne sut pas s’il l’avait entendu, puisqu’il avait aussitôt franchi le portail lumineux. Ils avaient été ensembles pendant plusieurs heures, et elle avait commencé à s’habituer à sa présence, aussi elle sentit un curieux vide, comme si la présence de Wolfgang avait rendu l’espace plus vivant. Enfin… Elle devait s’occuper d’eux. L’ordre de Wolfgang touchait à sa fin. Elle se leva donc elle chercha les derniers humains à bord, pour les exécuter proprement. L’appareil était toujours immergé, et il le resterait probablement pour toujours. Elle revint ensuite à ses protégés et fit apparaître un portail lumineux, à destination d’Atlantide. Elle les encouragea à le traverser avec un léger sourire rassurant. Elle le traversa en dernière. Ensuite, elle les présenta à Poséidon, lui faisant en même temps son rapport sur la situation. Elle demanda à envoyer une équipe pour récupérer le corps du pauvre kirin, qu’Amphitrite pourrait ainsi pleurer. Puis elle soigna les hybrides et les installa dans la cité, pour leur permettre de récupérer. Ils pourraient rester autant de temps qu’ils le souhaitaient. Sa journée se terminait ainsi. Elle avait l’étrange pressentiment qu’elle n’en était pas à sa dernière rencontre avec le démon. Et d’ailleurs, sa dernière pensée fut qu’elle avait encore sali une robe, celle-là même qu’il lui avait acheté…