Juste une petite histoire [Raphaël I. M. Elosiam]

L’écriture était une passion chez moi depuis de nombreuses années. Mais c’était aussi un travail qui nécessitait parfois de longues heures de recherches, pour être en cohérence avec l’Histoire. Car la plupart de mes romans renouaient avec des époques reculées, soit sur Terre, soit sur l’île, et dans le deuxième cas, je n’étais pas un expert. J’avais donc besoin d’une documentation poussée sur l’historique des grands événements de l’île. Et pour cela, quoi de mieux que la bibliothèque du château ? Féru de livres, j’adorais m’y promener, tant et si bien qu’il m’arrivait même d’y aller juste pour le plaisir des yeux. Mais aujourd’hui j’y allais bien pour effectuer quelques recherches. En quinze ans de vie ici, je commençais à bien connaître les bibliothécaires. J’avais même une carte d’abonnement. J’empruntais rarement des livres, préférant les consulter sur place pour la journée, et les reposer dans leurs rayons avant la fermeture.

Aujourd’hui, donc, je me rendais dans ce noble établissement, refuge des œuvres littéraires des plus anciennes aux plus contemporaines, des classiques terriens et sancturiens jusqu’aux romans de fantaisie, en passant par la science-fiction et le suspens. Pour ma part, ce qu’il m’intéressait, c’était les livres relatant divers faits divers qui se seraient déroulés deux siècles auparavant un peu partout sur l’île. La lecture était également une passion chez moi, et ça ne me dérangeait aucunement de passer des heures à dévorer des lignes entières juste pour récupérer quelques informations de-ci de-là. Armé de mon stylo et de mon carnet, j’arrivai devant les portes de la bibliothèque. Les membres du personnel qui me connaissaient répondirent à mon salut, tandis que je présentais ma carte de membre. Je n’avais aucunement besoin des services des chefs de rayons pour m’orienter, puisque je savais déjà exactement où je souhaitais aller.

Je m’installai sur une table, déposant ma sacoche pour me rendre dans quelques rayons et récupérer les ouvrages qui m’intéressaient. Bientôt, une pile conséquente se forma sur le meuble de travail. Lorsque je jugeai le tas suffisant, je m’assis et sortis stylo et calepin pour prendre des notes. Et ainsi commença une longue recherche sur l’Histoire de l’île. Il y a tant de choses à apprendre dans les livres, tant que même à mon âge, je savais n’en avoir découvert qu’un petit dixième, en lisant beaucoup sur mon temps libre. Comme lorsque j’écrivais, j’étais comme enfermé dans une bulle, peu attentif à ce qu’il se passait autour de moi. J’entendis néanmoins quelques éclats de rire, indiquant la présence d’enfants, certainement en sortie scolaire. Plongé dans mes recherches, je ne vis l’enfant arriver que lorsqu’elle se positionna sur la chaise devant moi et me salua, tout sourire. Je levai les yeux vers elle, quelque peu surpris, avant de lui sourire à mon tour.

- Bonjour, princesse aux cheveux d’ébène ! répondis-je sur le même style. Je sais les écrire, donc je suppose que je dois savoir les raconter aussi.

Je rebouchai mon stylo avant de le poser devant moi, puis, après avoir positionné mon marque-page, je fermai le livre, sentant toute l’attention de la petite fille sur moi. Elle était assez jeune, probablement dans la dizaine. Ses yeux clairs brillants de vie contrastaient avec ses cheveux sombres. Elle avait le visage joufflu des enfants de son âge, et l’air avec lequel elle me fixait lui donnait une mine adorable. Elle faisait probablement partie des enfants en sortie scolaire. Je croisai les mains devant moi avant de poursuivre.

- Après, je ne sais pas ce que tu aimes comme histoire. Pour une petite princesse comme toi, j’imagine que tu veux écouter une histoire de prince et de princesse ?

Je jetai un œil aux alentours, cherchant quel genre d’histoire pourrait lui convenir. Car oui, demandé avec tant de sentiments, je ne saurais lui refuser une demande aussi légitime ! J’avais toujours adoré les enfants, et ils leur suffisaient d’un peu de charme pour me faire craquer. Mes yeux revinrent sur l’enfant. Elle avait l’air dégourdie. Si elle me demandait ça, c’était qu’elle n’avait rien trouvé à son goût.

- J’imagine que tu n’as pas trouvé ce que tu voulais. C’est étonnant tout de même, que cette bibliothèque n’ait pas de livre pour toi ! Il va falloir y remédier. Dommage que je n’écrive pas d’histoire pour enfant, sinon je t’aurais offert un livre.

Je fis mine de réfléchir en la regardant, jouant le jeu. Ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé à une si jeune personne. Pourquoi n’avais-je pas d’enfant ? Parce que je n’avais jamais pu tourner la page suite à la mort de ma femme et de l’enfant qu’elle portait. Je me penchai légèrement vers elle pour lui parler à voix basse.

- Dis-moi, quel genre d’histoires aimes-tu entendre, princesse… ?

Ma question en suspens suggérait que je n’avais pas de prénom à ajouter derrière ce dénominatif. Mais, si elle ne voulait pas me donner le sien, je comprendrais, et continuerais à l’appeler princesse. Ça lui allait bien de toute façon, avec ses yeux de biche.

Cette petite fille était absolument charmante. Ses grands yeux sombres pétillaient de vie, et je ne doutais pas un instant qu'elle regorgeait d'imagination. Et qui plus est, sa façon de s'exprimer m'amusait. On ne m'avait jamais appelé "monsieur aux cheveux dorés", c'était surprenant, mais cette expression était rigolotte et au final m'avait fait sourire de bon coeur. Ses prunelles si vivantes s'illuminaient à la moindre occasion, mais ses sourcils se fronçaient légèrement quand quelque chose n'allait pas. Du moins je le supposai après avoir posé ma question. Elle ne devait pas se contenter d'une histoire toute simple de princes et de princesses, mais ne sachant ce qu'elle préférait j'étais assez limité. Je lui posai donc la question pour ne pas faire souffrir sa patience. Aussitôt sa langue se délia et elle m'emporta dans un déluge de mots et de gestes. Debout sur sa chaise, elle vivait pleinement l'histoire... qu'elle racontait au final. Mon sourire s'agrandit pour se transformer en un léger rire devant son enthousiasme. Elle se figea, réalisant que les rôles s'étaient inversés. Je n'avais pas osé l'interrompre, fasciné par cette énergie inépuisable qu'elle dégageait. Pendant tout son discours, j'étais resté immobile, les bras croisés sur la table, à la fixer sans rien dire, avec toutefois un sourire amusé sur les lèvres.

- Je ne sais pas où est-ce qu’elles trouvent le sucre. Et je ne sais pas la suite non plus.
Elle marqua une pose avant d'enchaîner.
- Et ce n’est pas grave si tu n’es pas doué pour écrire les livres pour enfants. Moi j’en veux bien un quand même ! S’il te plait, s’il te plait !

Je laissai échapper un rire. C'était tout à fait la vivacité que j'aurais souhaité chez mon enfant, si ma femme avait pu le mettre au monde... Je marquai un instant le silence, pour faire durer le suspense mais sans l'impatienter.

- Et bien, ma foi, comment te refuser cette faveur princesse Wendy ? C'est d'ailleurs le prénom de l'héroïne dans Peter Pan. Quelle chance tu as de porter un prénom beau et héroïque !

Peut-être n'aimait-elle pas l'histoire de Peter Pan et de son pays imaginaire. Toutefois, je la voyais bien tous les soirs guetter la fenêtre en espérant voir une fée. Mais elle m'avait l'air épanouie, et ne me semblait pas du genre à vouloir s'échapper de sa maisonnée. Mais mes suppositions intérieures ne répondaient pas à la présente question.

- Je n'ai encore jamais écrit ni raconté d' histoire avec des licornes et du churros au goût d'arc-en-ciel... Mais comme on dit, il faut une première fois à tout !

Je lui souris à nouveau avant de saisir mon stylo. J'ouvris mon carnet de note à une nouvelle page et écrivis le prénom de la petite fille de ma calligraphie fine et soignée. Je notai les quelques idées qu'elle m'avait transmises un peu plus tôt. Puis je relevai la tête pour la regarder dans les yeux.

- C'est cette histoire que tu veux que je t'écrive ? Je peux aussi te la raconter tout de suite. C'est toi qui choisis princesse Wendy.

Je me penchai à nouveau sur le carnet pour y retranscrire d'autres idées. Je n'avais jamais fait d'oeuvre pour les enfants, toutefois l'exercice était intéressant. Contrairement à ce que l'on peut croire, ce n'était pas si facile d'adapter son langage, et pour moi en particulier car je ressortais parfois le vocabulaire de mon époque. Je ne vivais pas hors du temps contemporain mais parfois les vieilles habitudes d'expression revenaient à la charge. Comme on le dit si bien "Chassez le naturel, il revient au galop." Je suspendis ma main au-dessus du papier.

- Dans le livre, tu voudrais aussi des images, ou uniquement du texte ?

La question essentielle. Car je n'arrivais pas à savoir si elle lisait déjà des livres "de grands" ou si elle tenait encore aux illustrations. Ce ne serait pas un problème, je connaissais une illustratrice pour livres d'enfants justement, une fée qui adorait les enfants et, tout comme moi, se pliait en quatre pour leur faire plaisir. Quelque soient les préférences de Wendy, je saurai répondre à ses attentes. Du moins je j'espérais, car comme je le disais, j'écrivais d'habitude pour un public plus âgé.