Education. (Hydra & Ginger)

Maintenant qu’elle pouvait bien voir son visage, dont les détails lui avaient quelque peu échappé à l’ombre des ruelles sombre, Ginger prit le temps d’observer les traits de son nouveau compagnon de route. C’était un truc auquel avait prit goût récemment, d’observer les gens. Il y avait là peut-être un peu de déformation professionnelle puisque son job consistait à laisser traîner ses yeux et ses oreilles un peu n’importe où, mais également un réel attrait pour la chose. Quand la fée s’emmerdait sévère ou faisait la gueule, elle sortait quelques instants pour se poser sur un banc, un livre en poche, et prenait le temps de regarder les gens autour entre chaque chapitre. C’était étonnamment amusant d’observer la foule, on arrivait toujours à attraper des yeux une scène comique, comme une main baladeuse qui entraîne une grosse claque, une vieille qui perd son caniche entre les passants sans l’avoir remarqué et qui traîne derrière elle une laisse vide, ou encore un homme courant après une moumoute que le vent a fait décoller de son crâne dégarni et luisant de sueur… Parfois elle s’amusait même à imaginer une identité et une vie parfaitement ridicules aux pauvres bougres qui devaient supporter son regard inquisiteur -m’enfin, si ça les gênait, ça restait le cadet de ses soucis, ils n’avaient qu’à dégager ; aux dernières nouvelles, le contact visuel n’était pas encore un crime- et c’était la raison pour laquelle on pouvait la trouver posée sur son banc, les yeux rivés sur un tiers dont elle se foutait complètement du nom, un sourire goguenard étirant ses petites lèvres roses.

À la lumière de la brasserie, Hydra avait l’air moins menaçant que dans l’étroite ruelle où elle l’avait rencontré. Ses yeux étaient perçants, mais son regard dégageait une sorte de maigre léthargie comme la fée pouvait souvent en ressentir, ce qui lui donnait moins l’air d’un fauve à l’affût. Ginger réalisa également qu’il puait la clope, et l’odeur âcre de la cigarette lui évoqua vaguement les marques que fumait le copain de sa mère quand elle était âgée d’une dizaine d’années. Elle fronça brièvement le nez à ce souvenir pas des plus agréables à se remémorer –même si en soi, elle n’avait pas tant de bons souvenirs à se remémorer, mis à part ceux où elle se vengeait de sa vie de merde sur cette pauvre petite Marie-Émilie à l’école.
Ginger porta sa pinte à ses lèvres en même temps qu’Hydra, mais fit plus de bruit que lui en reposant le verre sur la table en bois, le poids du récipient étant un poil lourd pour son petit bras frêle.

▬ Elle est insupportable, elle est le cliché de la femme qui a ses règles à temps complet. Si chieuse était un cursus scolaire, je pense qu'elle l'aurait réussi haut la main.

La brunette laissa échapper un ricanement.

▬ Ah ben on est dans la même merde alors, j’ai le même modèle à la maison ! En version mec. Gay. Et un peu sexiste sur les bords, aussi, histoire d’arranger le tableau.

Elle reprit une gorgée et essuya du pouce la moustache de mousse qui s’était déposée sur sa lèvre supérieure.

▬ Et toi ? Quelle est la raison pour laquelle tu ne peux pas te rebeller ? Il est juste plus grand que toi ou il y a autre chose ?

▬ Déjà il est pas si grand que ça hein, grommela la jeune fille. Le problème c’est que techniquement, c’est son appart et que je contribue pas vraiment aux charges, on a fait un deal un peu à l’arrache donc euh… ben si je me rebelle j’ai plus de maison quoi.

Le regard de la fée se perdit quelques secondes dans la contemplation des bulles de sa boisson. Puis elle renifla, de façon légèrement dédaigneuse.

▬ C’est la lose, putain, maronna-t-elle plus pour elle-même que pour les oreilles qui pouvaient l’écouter.

La voix grave d’Hydra la sortit de son absence passagère et elle leva le nez vers lui, les mains posées autour de sa pinte.

▬ Il s'appelle comment, au juste, si ça n'est pas trop indiscret ?

▬ C’est Elliot, l’informateur de la ville. Si t’es flic j’imagine que tu vois de qui je parle, il collabore souvent avec la police, répondit-elle sans trop filtrer ses paroles -à quoi bon après tout, ce n’était pas comme si elle cachait des infos top secrètes, ni qu’elle les révélaient au big boss d’un clan mafieux comme le fameux clan Barrow. Enfin, je sais pas si tous les poulets le connaissent, mais les hauts-gradés ouais, et t’as pas vraiment l’air d’être de ceux qui font la circulation devant les écoles, continua la fée en se grattant le cou, un sourire amusé aux lèvres.

Ce serait un coup à effrayer les petits qui sortent des cours, se garda-t-elle d’ajouter.

▬ Dit…J’peux te poser une question ? –c’était stupide comme expression puisqu’elle en posait justement une de question. Ceci dit, Ginger était bien trop flemmarde pour se rebeller contre toutes les expressions stupides du dictionnaires, alors elle enchaîna sans relever.– Comment faut faire pour se débarrasser des mecs chelous comme l’autre tout à l’heure là ? C’pas mes petits poings qui vont leur faire peur, et parfois ils sont trop grands pour moi du coup j’peux même pas leur filer de coup de pied entre les jambes, et c’est vraiment super relou. Tu ferais comment toi ?

Il faut dire que Ginger ne s’intéressant pas des masses aux gens d’ordinaire, elle n’en comprenait que moins bien leur comportement, et en grande partie celui des hommes –quoique les femmes aussi, elle y pigeait pas toujours tout. Et il été vrai qu’avoir les conseil d’un d’entre eux –qui ne soit pas homosexuel au passage puisqu’apparemment ça changeait vachement la donne parfois– pouvait être relativement enrichissant.
Et puis si ça pouvait lui permettre d’avoir l’impression de ne pas avoir perdu sa journée…