{Hikaraph'} Let's music be a cure

Discuter avec Hikari de son passé, du mien, de nos traumatismes respectifs et des peurs qui nous tourmentaient, malgré ce qu'on pourrait croire, soulageait un peu mon âme. Bien sûr, ce n'était pas sans souffrance, cependant c'était comme un vase trop plein ; il devait se vider pour être à nouveau utilisable. Ce n'était pas la meilleure comparaison au monde, mais ce fut la première chose qui me vint à l'esprit. Nous avions tous deux besoin de se décharger le coeur. Je l'observais en silence. Elle était comme moi ; elle gardait tout pour elle, joie et tristesse, cauchemars et chagrins, pour n'inquiéter personne et tenter de se débrouiller seule. Mais j'étais bien placé pour savoir que souvent, nous ne pouvions pas tout supporter. Nous avions besoin des autres, de notre famille et de nos amis, ils étaient notre point d'ancrage lors des épreuves les plus dures. Ma soeur Alicia l'avait été pour moi, je l'avais été pour Sora, et donc Hikari devait bien avoir quelqu'un à qui s'accrocher. Je la vis prête à réagir à ce discours que je jugeais un peu trop poussé, sans doute, car je ne la connaissais pas après tout. Mais tel le musicien que j'étais, l'écrivain en moi aussi devait s'exprimer, et par les mots dans son cas. Je l'écoutais avec attention. J'appréciais beaucoup cet échange de nos expériences respectives. Sa dernière remarque m'arracha un rire.

- Je vois que vous avez une bonne culture terrienne. Mais vous avez raison, les Mary-sue n'existent que dans les livres. C'est un personnage auquel beaucoup veulent ressembler, que certains envient par dessus-tout, mais ils ne se rendent pas compte que les jours heureux ne vaudraient pas la peine d'être vécus s'ils étaient éternels. Tels des diamants, ils ne seraient plus d'aucune valeur s'ils étaient une multitude. Nous avons tous notre part de souffrance, et ce sont ces dures épreuves qui nous forgent. C'est notre capacité à endurer la douleur la tête haute qui fait notre force.

Je ne savais pas si je pouvais m'inclure dans ce lot, puisque je ne considérais pas que je faisais face à tous ces tourments la tête haute. Mais je pensais sincèrement mes mots. Quand n'étais-je pas sincère aussi ? Je m'intéressai soudainement à l'avenir de cette jeune personne. Qui voulait-elle devenir ? Elle satisfit ma curiosité en répondant à ma question. Je souris en regardant un point fixe à mes pieds. Je l'imaginais bien en effet se porter au secours des autres.

- C'est une noble cause. J'espère sincèrement que vous y trouverez votre passion . Et même si ce n'est pas le cas... Je suis sûr que vous trouverez votre voie tôt ou tard. Il y a une multitude de chemin à prendre, dont beaucoup s'entrecroisent. Mais excusez-moi, je dois vous ennuyer à parler en métaphore tout le temps.

Étant un maître des mots et de la langue française, je parlais souvent en énigmes et en figures de style, j'avais conscience que cela pouvait agacer parfois. Et puis Hikari en vint à s'interroger sur ma vie et mes occupations... et sur Sophie bien entendu. Elle s'excusa aussitôt, se trouvant sans doute indiscrète, mais je la comprenais. Cependant je trouvais sa question plutôt légitime. Je n’avais fait qu’évoquer son nom, sans préciser de qui il s’agissait, et toute personne curieuse de nature se verrait intrigué. Surtout que Hikari était intelligente, elle avait certainement compris que Sophie avait été très importante pour moi. Un triste sourire éclaircit mes traits.

- Ne vous en faites pas, votre question est légitime. Sophie était... ma femme.

Machinalement mon pouce et mon index vinrent enserrer l'annulaire gauche, qui avait porté pendant un temps mon alliance -et seulement lorsque j'étais seul ou avec Sophie.

- Elle était jeune quand nous nous sommes mariés en secret il y a 17 ans. Mickaël était notre seul témoin.  Malheureusement elle était une elfe, et moi à moitié fée par mon père. Son frère a voulu... venger l'honneur. Elle est décédée en même temps que mon frère, à huit mois de grossesse.

C'était rare que je parlasse autant d'un coup sur la mort de ma femme. J'étais moi-même surpris de lui avoir donné tant de détails. Je le regrettai aussitôt, car elle était jeune et n'avait pas besoin en ce moment d'entendre ces choses-là. Je reposai mes mains sur mes cuisses avant de la regarder dans les yeux.

- Ah, pardonnez-moi, je ne veux pas vous alourdir le coeur avec toute cette histoire. Donc, pour répondre à votre première question, depuis que je suis sur l’île, j’occupe mes journées avec la musique, comme vous pouvez vous en douter. Je suis violoniste indépendant, et quand je ne vogue pas à travers vents et marées pour offrir un peu de douceur aux amateurs de musique classique et baroque, j’écris. Oui, je suis aussi écrivain. C’est beaucoup d’occupation, mais c’est justement ce qui aide à avancer, garder l’esprit occupé.

Oui, sincèrement, c’était ce qui m’avait permis de remonter la pente. Ma soeur, Alicia, m’avait elle-même conseillé de bien remplir mes journées pour ne pas ressasser. ça aidait, mais ça ne faisait pas tout. Mais quand Sora s’était présenté à moi, j’avais retrouvé un nouvel objectif : l’aider lui, à son tour, à se reconstruire. A présent il travaillait Au Bonheur Sucré, et j’allais le voir de temps en temps, et j’étais heureux de l’avoir soutenu jusque là. Au final, avoir un objectif dans la vie c’était primordial. Actuellement, je ne savais pas trop quel était le mien, sinon partagé la douceur de la musique et en parallèle, permettre à mes lecteurs de s’évader grâce à mes oeuvres écrites… Je me secouai intérieurement. Il serait peut-être temps de se remuer un peu. Je me levai pour reposer le violon dans son étui et fermer ce dernier, avant de me tourner vers Hikari.

- Vous voulez peut-être marcher un peu dans le parc plutôt que de rester immobile j’imagine ? Venez, dégourdissons-nous un peu les jambes. Marcher c’est aussi bon pour le corps que pour l’esprit.

Ceci dit, je ne la forçais pas. ça restait une proposition, mais j’étais persuadé qu’après de longues journées passées assises dans une chambre de clinique, elle voudrait profiter d’une journée de liberté pour dérouiller ses jambe