coco v chanel ; act II. ❞ (judyemma) ♡

— Es-tu sûre que ça ira, Emma ? C'était ton partenaire et... »
— Je sais, Maman. Et oui ça ira, ce n'était que mon partenaire. Pas la peine d'en faire toute une histoire. »

La limousine s'arrête, et Emma est la première à en sortir, sans prendre la peine d'attendre l'arrivée du portier pour le faire. Les premiers flashs l'éblouissent, mais elle s'en accomode bien vite et ignore les photographes qui l'apostrophent. Elle n'a pas de temps à perdre, et à peine a-t-elle passé le sas d'entrée que le vacarme s'arrête.

— Bonsoir Emma, c'est un plaisir de vous voir ici ce s- »
— Bonsoir Dr. Jones. Puis-je savoir ce que vous faites ici ? Ne devriez-vous pas être à l'hôpital, et vous occuper de vos patients ? »

Sa femme s'exclame, mais la fée ne lui accorde pas un regard. Malgré la musique de fond et les discussions murmurées qui grouillent autour d'elle, Emma peut presque entendre le coeur du chirurgien battre à vive allure, tandis que ses joues prennent une couleur écarlate derrière sa moustache.

— Je-Je vous demande pardon ? »
— Vos patients ont besoin de vous, il me semble. Vous n'avez rien à faire à une soirée mondaine. »

Elle sent une main saisir son bras, et la sensation lui est tellement familière qu'elle ne daigne même pas se tourner vers la personne qui se permet une telle familiarité avec elle.

— Puis-je savoir à quel jeu tu es en train de jouer, Emma-Serah ? »

Est-ce que c'est de la honte, qu'elle entend dans la voix de sa mère ? Et surtout, est-ce qu'elle en a quelque chose à faire ? La fille s'écarte de l'emprise, et la mère comprend. Si elle a accepté de quitter le chevet de James pour l'accompagner à un gala auquel elle refusait catégoriquement de participer depuis des mois, c'était uniquement pour servir ses propres intérêts.
Tiens donc, Eleanor. Serait-ce de la peur que l'on voit dans tes yeux ? Celle que ta fille ait finit par choisir de suivre tes pas ?

— Eleanor... » Les Hottenberg se tournent -l'une quand elle entend son nom, l'autre quand elle entend sa voix- et font face à une figure qui vient de si loin qu'elle semble irréelle. « ... et Emma. Quelle surprise de te voir ici. On raconte que tu n'es plus invitée nulle-part depuis que tu as traîné en justice les patrons de Vixen Corporation. »

Eleanor ne se fait pas prier pour prendre l'aîné Harrington dans ses bras, ne laissant pas le temps à Emma de répondre à la pique qu'il venait de lui lancer.
Le docteur Jones a profité de cet instant d'inattention pour filer, ce qu'Emma ne manque pas de remarquer. Elle s'apprête à partir à sa recherche quand Matthew l'interpelle, et elle est forcée de constater que sa mère a également disparu.

— Ils n'avaient qu'à y réfléchir à deux fois avant de se frotter à la pègre. Et ceux qui n'ont rien à se reprocher n'ont aucune raison de me craindre, et fort heureusement il en reste encore. »

Ils se regardent longuement, avant que Matthew ne se mette à rire. Emma s'autorise un sourire, chose qui n'était pas envisageable il n'y a pas si longtemps.
Mais les temps ont changé.

— Ça m'étonne de te voir seul. Ta copine a enfin eu un éclair de lucidité, et a fini par te quitter ? »

Elle les regarde s'éloigner, et doit admettre qu'ils dégagent ensemble une aura presque intimidante. Presque, parce qu'il en fallait plus pour intimider Emma. Mais elle comprenait pourquoi, malgré leur jeune âge -un critère essentiel pour se faire respecter au sein des richards et des mondaines- les autres couples s'écartaient sur leur passage, avec un hochement de tête respectueux en guise de salut.
Et elle se demande, Emma, si elle trouvera un jour quelqu'un à la hauteur de sa prestance.
Elle prend une coupe de champagne au passage et s'éloigne en apercevant sa mère au bout de la salle, qui avance dans sa direction avec cette agaçante expression sur le visage, qui dit « nous n'en avons pas fini, toi et moi. »

Elle prend le temps de saluer ceux qui l'arrêtent, mais il est terminé le temps où Emma-Serah Hottenberg faisait bonne figure. Elle n'a plus aucun filtre, elle crache le venin sur un ton mielleux et ses menaces sont à peine dissimulées. Elle avait fini d'épargner ce monde de politiciens et chef d'entreprises corrompus par un argent aussi sale que les mains qu'elle refusait de serrer. Et si l'exercice s'avérait libérateur, il n'en demeurait pas moins exténuant. Au bout d'une heure, elle avait le sang bouillant et avait tellement d'énergie et de rage à revendre qu'elle se sentait prête à conduire un procès au milieu de la salle.

C'est le moment qu'elle choisit pour sortir. Pas la peine d'embarrasser sa mère d'avantage, elle était déjà parvenue à renvoyer le Dr. Jones à l'hôpital, cette soirée n'allait donc rien lui apporter de plus. Elle prend appui sur le garde-corps en marbre, et observe la rue, une dizaine de marches plus bas. Les voitures grouillent, mais les invités sont déjà tous arrivés, alors aucune ne s'arrête. Malgré la vie qui se déroule à ses pieds, tout a l'air mort.

Une voix se fait entendre derrière elle, arrachant un sourire à la Hottenberg. Ce n'est pas un sourire amical ni sympathique ; il est juste ironique, et il s'adresse aux Parques.
Elles sont d'humeur joueuse, ce soir.

— Je vais finir par croire que tu fais exprès. »

Elle se tourne à son tour vers Judith, qui n'a pas perdu de temps et a déjà allumé sa cigarette. Elle se rappelle quand elle a appris que Matthew s'était trouvé quelqu'un, et que leurs connaissances en commun commençaient tout juste à parler de cette fille venue de nulle-part -comme si leurs noms était un pedigree- et qui avait totalement changé Matthew Harrington.
Elle avait été comme eux -jalouse, un peu- mais maintenant elle avait compris que Matthew n'avait jamais été plus lui-même que depuis qu'il était avec Judith. Aussi parvenue puisse-t-elle être.

Et aujourd'hui, Emma était presque heureuse pour lui.
Presque.

— Je ne sais pas si j'ai déjà aimé ce genre de réceptions. » Elle marque une pause, et son regard se perd dans le vide. « Au lycée, peut-être. Quand je jouais les grandes dames. »

Elle était bien naïve, à cette époque-là. Epoque qui était loin d'être révolue ; la preuve, trois mois auparavant, elle aurait adoré se pavaner dans sa toilette de luxe, passer de groupes en groupes pour étaler sa culture et sa réussite. Maintenant qu'elle avait réalisé que la reconnaissance de ces gens ne valait plus rien à ses yeux, rien de tout ça n'avait plus aucun sens.
Et elle en avait vu, dans la salle, des filles qui étaient comme elle, autrefois.

— Pourquoi est-ce que tu suis Matt à ces soirées ? Ça n'a pas l'air d'être ton genre. »

Avant, elle l'aurait dit sur un ton méprisant.
Maintenant, elle était juste curieuse de savoir.

Au moment où elle aborde le sujet, Emma le regrette. Il était encore un peu trop tôt pour en parler -d'ailleurs, pourquoi s'était-elle laissée aller au point de l'appeler familièrement, comme s'ils l'étaient encore ? Elle n'avait jamais appelé Matthew par son prénom, et encore maintenant elle avait du mal.
Elle aurait mieux fait de ne pas l'appeler, tout simplement.
Et il était hors de question de dire à sa nouvelle petite-amie que c'était juste une question d'habitude, et non pas une tentative de marquage de territoire. Non, elle n'allait pas s'embarasser en essayant de justifier quelque chose qui ne nécessitait aucune explication.

Elle hausse les épaules. L'habitude, c'était sans doute ce qui les maintenait tous ici l'espace d'une soirée. C'est pour ça que malgré sa réticence, malgré son manque d'enthousiasme à l'idée d'être parmi eux, Emma avait quand même passé en revue la liste des invités.

— On a tous pris l'habitude, peu importe ce qu'il te diront là-haut. » Elle désigne d'un geste distrait le château où se déroulait la réception. « Ils sont persuadés que tout le monde n'a pas sa place, mais il suffit d'avoir de l'argent et d'apprendre une liste de noms, et tu fais partie de leur famille. »  

Emma n'était pas bien différente de ces gens-là, il n'y a pas si longtemps. Seulement, avoir la main sur leurs agissements lui a permis de prendre du recul, et réaliser à quel point ce beau monde était ridicule.

— Est-ce que tu as vraiment envie de faire partie ce monde ? »

La question était sérieuse, et l'espace d'un moment elle se la posa elle-même. Est-ce qu'elle avait vraiment envie de rester ?
La réponse était simple.

La réputation de Judith est le fruit de murmures, de chuchotements et de rumeurs hypocrites. Personne ne sait d'où elle vient car personne n'a réellement cherché, préférant monter des théories de toutes pièces, toutes plus dramatiques que les autres. Mais aucune d'entre elle n'est compatissante, aucune ne parle d'une enfant orpheline qui s'est élevée toute seule pour devenir une femme puissante. Non, les gens préfèrent croire en une parvenue opportuniste qui a frappé à un moment où le riche héritier connaissait un moment de faiblesse.
Personne ne détient la vérité à ce jour mais ils se complaisent tous dans l'idée de l'avoir.

Emma se tourne vers Judith, et dans l'ombre des lumières de la ville on croirait voir presque apparaître un sourire.

— Disons que ça ne me surprend pas. Ils n'ont pas l'habitude des femmes qui ne sont pas impressionnées par eux. »

Elle regarde les véhicules circuler en contrebas, en se demandant si c'est correct de descendre les marches, héler un taxi et s'en aller loin des diamants et du champagne.
Non ça ne l'est pas.

— Et puis si on en croit les rumeurs qui courent sur toi, ils auraient tort de ne pas avoir peur. »

Ce n'est pas encore une plaisanterie, mais le ton est moins sérieux. Les gens payés pour lancer des rumeurs sont les plus imaginatifs, et l'histoire montée autour de Judith a la dose de mystère et de danger qu'il manque cruellement dans le monde dans lequel elle est mise en scène.

— Tu dois déjà les avoir entendues. Pour faire court ils croient tous que tu es une criminelle recherchée et que Matthew t'a payé un si bon avocat que tu restes avec lui pour ne pas aller en prison. »

Il y en avait d'autres, des histoires, mais Emma avait appris à ne plus les écouter. Depuis qu'elle était entrée dans la police, c'était comme si elle voyait l'univers d'un autre oeil, comme si le peu de confiance qu'elle accordait à ses pairs s'était tout d'un coup envolé, et que la seule personne qu'elle devait désormais croire était elle-même.

— Quoiqu'il en soit, c'est toujours mieux que d'être la gamine pourri-gâtée d'Edward Hottenberg qui a la mauvaise habitude de mettre son nez dans les affaires qui ne la regardent pas. »

Elle se rend compte, au fil de la conversation, qu'elles ne sont finalement pas aussi opposées qu'elle avait pu le croire à une époque. Cette époque où elle voyait le monde en noir et en blanc, jamais en nuances de gris.

— Ils te craignent et ils me détestent. On devrait songer à une collaboration. »

La brise fraîche lui arrache un frisson -ou alors est-ce seulement la spontanéité de l'invitation, et ses promesses pour un soir ? Les deux femmes s'observent longuement, le regard à hauteur de l'autre, sans aucun rapport de domination. Et cela permet à Emma de souffler, de lâcher prise le temps d'un instant, d'arrêter de forcer sur chaque muscle pour qu'il reste en place, pour qu'il ne trahisse pas un geste qui pourrait être considéré comme une faiblesse.

— Tu veux dire, maintenant ? »

Oh Emma, ton innocence finira par jouer en ta défaveur.
Sa veste était restée au vestiaire, de même que sa pochette avec tous ses effets personnels -papiers d'identité, carte bancaire et télephone portable. Si elle souhaitait disparaître, le moment était opportun. Si elle voulait ne pas être reconnue, même le temps d'une soirée, il fallait qu'elle saisisse l'occasion.

— Je ne suis pas sûre qu'il y ait un lieu qui puisse te plaire dans un rayon d'un kilomètre. »

Emma-Serah regarde par dessus la rambarde les voitures qui passent, et les rues vides de gens. Elle savait où sortir dans cette partie de la ville, mais n'était pas certaine de vouloir quitter un endroit pour retrouver le même, avec pour seule différence l'écart d'âge avec les autres consommateurs.

— Mais on peut s'éloigner, si tu tiens vraiment à quitter cet endroit. »

Elle se mord les lèvres, plus excitée qu'elle ne le pensait à l'idée de troquer l'étouffante soirée contre l'inconnu.

— Je vais appeler un taxi. »

Il n'est pas difficile pour Emma de trouver ce qu'elle cherche. Les voitures attendent en file indienne, en contrebas de la rue, et lorsque Judith la rejoint en bas des marches, les deux jeunes femmes montent dans l'une d'elles et c'est l'ange déchue qui souffle une adresse au chauffeur.

Le trajet se déroule en silence, et Emma regarde les lumières de la ville défiler à travers la fenêtre. Elle ne sait pas combien de temps s'écoule, mais c'est suffisant pour que le regret commence à se faire sentir -même si c'est infime, que ça n'a pas le temps de l'envahir car la voiture s'arrête. Elle ouvre la portière, met la course sur son compte et se retrouve au milieu d'une rue sombre, dont l'asphalte n'a rien à voir avec les rues pavées et le marbre auxquels elle a été habituée.

— Quel est cet endroit ? »