a new hope. ❞ (artemalice) ♡

Du jour au lendemain, le manoir Relyse était passé d'un foyer débordant de vie à une demeure vide. Vide de gens, de vie, d'amour, et tout ce que l'on pouvait à une époque trouver à l'intérieur.
Le départ de ses résidants avait été soudain, et par la suite sujet de tant de rumeurs que le quartier jamais ne sut déceler laquelle était vérifiée. On racontait que Mademoiselle était décédée, et que son héritage se trouvait quelque part sur l'île, et que c'était pour cela que ses amis s'en étaient allés. On disait également que la perte de Mademoiselle avait tué de chagrin ceux qui vivaient encore chez elle, et que si l'on s'approchait de l'énorme bâtisse, il était encore possible de les entendre pleurer sa mort.
Mais la vérité ne pouvait pas être plus éloignée.

La vérité, c'était que plus rien n'attachait personne à cette demeure devenue trop grande. Mademoiselle Hikari était décédée. Son fiancé Roxas l'avait rejointe dans les Champs d'Asphodèle. Son majordome ayant terminé son travail, s'en était allé terminer ses jours dans une campagne lointaine. Et alors que tout le monde pensait qu'il ne restait plus que les deux enfants de la maison, il s'est avéré que tous deux avaient déjà quitté le manoir depuis longtemps, en laissant tout derrière eux. Leurs meubles. Leurs affaires. Leur passé.

Sur la promesse de se retrouver dans une autre vie, Alice et William s'en étaient allés.

On n'avait pas revu Alice Liddell à Sanctuary of Heart depuis un an.
Trois cent soixante sept jours, plus exactement.
Mais peu importe, parce que de toute manière il ne restait plus personne là-bas pour se demander où elle avait bien pu aller. Plus personne pour se demander où était passée la petite fille pleine de vie qui avait grandi, celle dont les larmes provoquaient la pluie, celle dont la colère attirait la foudre. Plus personne pour reconnaître celle qui avait troqué les robes à fleurs contre l'armure en platine.

Elle était réapparue un soir, aux alentours du Castle of Heart, bouclier dans le dos et épée à la ceinture. Seule sa lance manquait à l'appel, et c'était la seule arme qu'elle gardait sous sa forme contractée -un anneau serti d'une pierre précieuse qui brillait sur son annulaire droit. Les longs cheveux blonds qui dépassaient de la cape avaient une coupe informe, dans laquelle on devinait aisément le coup d'épée qu'elle leur avait assené pour leur éviter de descendre sous ses hanches. Mais la longueur était hybride, comme si elle n'avait pu se résoudre à les couper au-dessus de la poitrine.

Lorsqu'elle retira sa capuche pour se présenter à l'entrée, on fut forcé d'admettre qu'il ne restait plus grand chose de la petite fille qu'elle avait pu être à une époque pas si lointaine. Elle avait les traits marqués par quelque chose qui n'était pas le temps mais qui faisait tout autant de dégâts, un quelque chose qui était un ensemble de facteurs -la fatigue, la lassitude, le désespoir et peut-être un peu de la mort, aussi. Son regard bleu électrique brillait toujours du même éclat, mais la peur avait laissé place à la détermination. Et elle se vit dans sa démarche, lorsqu'elle gravit les marches pour atteindre le dernier lieu qu'elle avait fréquenté avant de partir en croisade.

Croisade qui avait duré une année complète, et qui n'avait servi qu'à parfaire son entraînement déjà très avancé. Sur l'exemple de son frère aîné, elle s'était rendue sur Terre avec rien d'autre que ses armes et son aigle, et s'était rendue dans chaque grande ville -où les Sans Coeurs étaient les plus présents- pour, égoïstement, trouver de quoi affûter ses dons. Puis elle avait parcouru la planète, vaincu sa peur du vide en escaladant l'Olympe et plongé dans les forges de l'Atlantide pour améliorer ses armes. La réplique d'Aegis qu'elle possédait déjà n'avait jamais paru aussi intimidante, si bien qu'elle-même ne pouvait la regarder. Pendant un an, elle avait eu le temps de s'habituer à sa nouvelle puissance, à ses nouveaux dons, et puis elle était revenue, parce que c'était le marché qu'elle avait conclu avec celle qui était à l'origine de son départ.

Alice arriva sous le frontispice, et ne daigna pas regarder derrière elle la vue sur la ville. Elle s'avança dans le Panthéon, et ses pas tracèrent une ligne droite, en direction du seul autel qui valait la peine d'être visité. Une fois arrivée devant la statue, la demi-déesse marqua une pause. Puis elle vida le contenu de sa sacoche sur la table des offrandes, dévoilant les tributs qu'elle avait amassé tout le long de son année -des Coeurs à n'en plus finir, des crocs, des griffes, des cornes, de la fourrure, des armes- et qui témoignaient chacun d'une étape qu'elle avait franchie. Une fois la sacoche vide, Alice la repassa dans son dos et souffla une prière, qu'elle termina avec un nom.

— Artémis. »

Au premier rayon de lumière, Alice ferma les yeux. Personne n'était jamais à l'abri avec les olympiens, et il suffisait qu'ils oublient par mégarde qu'ils étaient sous leur forme divine pour que les simples mortels soient réduits en cendre. Quand la lumière s'atténua et que l'afflux de puissance causé par le déplacement instantané de la déesse retomba, Alice s'autorisa à ouvrir les yeux, et plongea son regard dans celui de celle qui était logiquement sa demi-soeur.

— Alice. » la corrigea-t-elle.

Fille de Zeus était un titre dont elle ne voulait pas. Comme beaucoup d'enfants dans sa condition, Alice avait appris à se construire en détestant son père qui l'avait abandonnée et qui avait certainement entraîné la perte de son deuxième parent. La fatalité, Alice la mettait sur le compte à la moitié divine de son ADN ; c'était plus facile de se dire que c'était sa faute.

— Nécessaire, je suppose. »

Elle n'avait pas compris, il y a un an, pourquoi Artémis avait refusé sa requête de se joindre à la Chasse. En terme de puissance, elle avait bien sûr pris du grade mais ce n'était pas comme si elle démarrait de zéro. Elle était consciente que ce n'était pas ce qui lui manquait. C'était peut-être de la maturité. de la confiance, du courage, de la patience... sans doute un peu de tout à la fois.

— Comment as-tu trouvé mon entraînement... dame Artémis ? »

Il y avait quelque chose chez elle qui lui inspirait la confiance, si bien qu'elle trouva cela presque naturel de la tutoyer. Et à côté, elle ne pouvait pas manquer de respect à une divinité olympienne, et encore moins dans leur lieu sacré.
Un an plus tôt, elle aurait enchaîné en demandant si elle était maintenant apte à rejoindre la Chasse.
Mais elle n'était plus cette enfant en quête d'approbation. Plus maintenant.

Alice appuya le regard de la déesse, dans l'attente d'une réponse qu'une petite partie d'elle-même redoutait encore -après tout elle l'avait recalée une fois déjà, rien ne pouvait l'empêcher de réitérer. Instinctivement, la demi-déesse posa une main sur le pommeau de son épée, geste qui la rassurait lorsqu'elle était sous pression, et attendit que le verdict ne tombe.

Elle ne s'attendit pas à une question, toutefois. Et lorsqu'elle tomba, elle sentit ses doigts se resserrer sur son arme. Alice avait mille réponses à cette question, pourtant aucune ne lui semblait satisfaisante, car la dernière fois qu'elle se l'était posée, c'était il y a un an. À la place exacte qu'elle occupait.
Mais la jeune femme qui se tenait devant la déesse de la lune était bien différente de l'enfant qu'elle était autrefois.

— Tout le monde... ils m'ont tous promis qu'ils seraient là pour toujours, mais personne n'a tenu parole. »

Alice voulait beaucoup de chose, à une époque. Elle recherchait l'approbation et la reconnaissance de ses pairs, elle voulait faire partie d'un monde dans lequel elle ne serait jamais seule, et avait cherché toute sa vie des gens à qui se rattacher, des êtres dont elle pouvait être dépendante pour ne plus avoir à porter le fardeau de ses erreurs -celles qu'elle avait faites, mais aussi celles qu'elle ferait- toute seule.

— Tout ce dont j'ai besoin c'est de faire partie d'un groupe qui saura tenir cette promesse. »

Elle était prête à tout donner pour une constante dans sa vie. Et le sacrifice serait toujours moindre en comparaison avec la peine qu'elle n'aurait plus à ressentir.

— Et puisque plus rien ne me retiens ici -ni nulle-part ailleurs, permets-moi de rejoindre la Chasse, dame Artémis. »

Étrangement, ça ne faisait presque plus mal de le dire.

À l'ouverture des portes, Alice esquissa un sursaut. Elle avait été avertie de l'arrivée d'invitées, mais la fille de Zeus gardait cette attitude sauvage au fond d'elle, qui se manifestait une fois de temps en temps, quand il était nécessaire. Sa main quitta le pommeau de son épée lorsqu'elle reconnut les figures qu'elle avait aperçu une, deux fois dans ses rêves.

Elle n'avait jamais fait attention à la diversité qu'il pouvait y avoir dans la troupe des Chasseresses. Elles n'étaient qu'une dizaine, et chacune avait quelque chose de différent, sans pour autant qu'il y en ait une qui ressorte vis-à-vis des autres. Elles venaient toutes de pays, d'époques, de mondes différents -et pourtant, il y avait dans leur regard quelque chose qui pourrait faire croire qu'elles étaient sœurs.

Puis Alice leva les yeux vers la déesse, qui s'était approchée d'elle. Elle soutint son regard, même lorsqu'elle leva la main pour venir effleurer sa joue.

— Alice Liddell, fille de Zeus, fais-tu serment d’entrer dans la Chasse et de respecter ses règles à tout jamais ? »

Alice prit une grande inspiration. Elle avait attendu ce moment depuis si longtemps maintenant que l'unique once d'hésitation qui demeurait au fond de son esprit fit surface. Mais elle la balaya d'un geste imaginaire, et prononça les mots qu'elle avait appris par coeur, dans l'attente de ce jour fatidique où elle allait sceller son destin pour la dernière fois.

— Je te prête allégeance, Ô déesse Artémis. »

Sa voix était beaucoup moins assurée que lorsqu'elle était seule dans le temple. Elle respira à nouveau, et poursuivit.

— Je jure sur le Styx que je renonce au désir charnel, à la compagnie des hommes... »

Un frisson lui parcourut le dos. Jusqu'alors, Alice n'avait jamais prêté serment sur le Styx, et d'une façon ou d'une autre, elle sentit qu'il n'y avait maintenant plus moyen de faire demi-tour.

— ...  et je m'engage dans la Chasse. »

Ce fut un sentiment soulagement qui la submergea une fois les mots prononcés.
Et enfin, ses yeux se fermèrent.

Si Alice devait décrire ce qui lui arriva ce jour-là, sans doute n'y arriverait-elle jamais. C'était comme si son esprit s'était désolidarisé de son corps pendant les secondes -les minutes, les heures ?- que prirent sa transition. Et quand ce fut fini, elle le sut pas non plus ce qui avait changé, seulement que c'était arrivé, et qu'il n'y avait plus de retour en arrière possible. Mais c'était peu cher payé en comparaison avec ce qui l'attendait à compter de ce jour.

Après avoir reçu l'autorisation de la déesse, toutes les chasseresses se ruèrent vers Alice en la bombardant de questions -comment elle avait trouvé telle corne ou tel croc qu'elle avait offert à Artémis ? comment son séjour sur Terre s'était passé ? est-ce qu'il était vrai qu'elle avait du se battre contre un cyclope pour obtenir sa copie d'Aegis ?- auxquelles la fille de Zeus se fit un plaisir de répondre.

Elle avait toujours éprouvé de la méfiance envers ceux qu'elle rencontrait pour la première fois, mais avec ces filles-là, c'était différent.
D'une certaine manière, et malgré leurs différences visibles, Alice pouvait sentir qu'elles étaient comme elle.

— Je... dois avouer que je sens pas beaucoup de différence. »

Mieux valait être honnête. Elle baissa les yeux vers son corps, comme si elle allait trouver une réponse à la question quelque part à cet endroit. Cela fit immédiatement tilter les filles, et l'une d'elles se tourna vers Artémis.

— Tu vas lui donner son arc et son armure, dame Artémis ? »

Toutes les chasseresses portaient la même tenue -ça, c'était un détail qui n'avait pas échappé à Alice. Mais ce qu'elle n'avait pas remarqué en premier temps, c'était que malgré la légèreté des toges dont elles étaient vêtues, le tissus brillant dont elles étaient composées étaient en fait une maille fine, dont on ne pouvait deviner la résistance que si l'on y faisait réellement attention. Elles portaient toutes le même arc dans le dos, mais il semblait également que chacune possédait également une ou plusieurs armes supplémentaires rangées à différents endroits.