« Only dead fish go with the flow » feat Dylan

Le clang qui accueillit la chute du pot de crème hydratante la fit soupirer. Ce n'était pas le bruit qui la gênait, mais le nombre indécent de pots vides déjà présent dans sa poubelle et qui ne cessait de s'y entasser depuis quelques semaines, lui rappelant que trop bien que la situation ne pouvait plus durer. Deux mois -  c'était tout ce qui lui avait fallu pour atteindre ses limites et retrouver cette sensation de soif, si familière du temps où elle fuyait la moindre retenue d'eau de peur d'une perte de contrôle. Elle s'affaiblissait alors autant moralement que physiquement, son corps, son coeur et son âme ne réclamant plus que le contact avec l'eau salée, peu importait quelle serait la mer en mesure de lui apporter ce peu de réconfort. En trois ans elle avait appris la nécessité d'inclure dans son emploi du temps quelques moments pour laisser libre court à cette partie d'elle-même, quand bien même il lui fallait les imposer à ses proches. Morgane n'avait cependant pas d'excuses concernant le fait qu'elle soit désormais dans un tel état de manque - trop occupée pour ne serait-ce qu'y penser, en était certainement une, bien qu'elle la savait erronée dès les premiers instants où elle effleura son esprit -, et il lui fallait désormais gérer les conséquences comme la grande fille de dix-sept ans que les gens attendaient qu'elle soit. Cela n'était pas un problème en soit d'agir comme telle la majorité du temps... pourtant la compagnie aurait été grandement appréciée aujourd'hui.

Toute fois dès lors que les picotements de sa peau reprirent de plus belle, elle trouva le courage de se lever et d'attraper le strict minimum avant de se diriger vers l'imposant château de l'île. Après que l'idée de se défouler les nageoires dans les courants chauds du Pacifique s'insinua dans sa tête, elle traversa le portail et arriva à la destination désirée. La jeune fille fut accueillie par une douce brise charriant les odeurs de sel, amplifiant l'écho des vagues s'échouant sur la plage et faisant monter en elle de bons souvenirs de voyages ; sa peau fut prompte à réagir, se couvrant d'une lueur d'un bleu vibrant qu'elle tenta de cacher tant bien que mal aux yeux des passants. Le soleil était à deux doigts de se coucher à Hawaï, et quand bien même elle n'avait pas choisi l'endroit le plus fréquenté de l'île principale, elle s'écarta de toute foule jusqu'à la tombée de la nuit.

Sortant à découvert lorsque seules la lune et les étoiles lui prodiguèrent une source lumineuse, Morgane traversa la plage plus vite qu'elle ne l'avait prévu et, en quelques mouvements, retira et dissimula ses vêtements du regard d'autrui avant de pénétrer la surface de l'eau. Le soupir qui passa la barrière de ses lèvres fut la seule marque du plaisir qui affluait dans ses veines. Après s'être éloignée du rivage elle se laissa doucement sombrer dans les profondeurs de l'océan, appréciant se perdre dans quelque chose de plus vaste que le monde qui l'attendait à la surface, et s'abandonna à ses instincts. La transformation fut si rapide qu'elle sentit à peine la douleur lorsque ses membres s'allongèrent, que sa vue se clarifia laissant la clarté l'éblouir un instant, et que la perception de son environnement se fit plus nette. Bientôt elle put se déplacer plus rapidement, naviguer entre les coraux avec une précision meurtrière, se laisser emporter par les courants - et le monde lui sembla tout d'un coup plus chaleureux que jamais, assez en tout cas pour que son cœur d'éternel s'emballe à l'idée de tout ce qu'il avait encore à lui offrir.


Cela faisait peut-être déjà deux heures qu'elle nageait. Elle aurait cependant dû savoir qu'à la nuit tombée les monstres régnaient sur les océans - n'en était-elle d'ailleurs pas l'exemple ? Et si pendant toutes ces années elle avait surveillé chaque minute son entourage, l'excitation de ces dernières heures semblait avoir engourdi cette partie si attentive d'elle.

Une ombre - ce fut tout ce qu'elle vit avant que la panique ne coule dans ses veines. Parce que ce qu'elle avait vu était loin d'appartenir au répertoire humain des animaux marins et qu'elle faisait une proie idéale. Malgré tout son cœur fut partagé entre une peur paralysante et une curiosité enfantine de se savoir si près d'une créature mythologique, elle qui avait si souffert d'être la seule qui se transformait en ce monstre marin quand son entourage était quasi exclusivement vampirique.