Tease ┅ (Isis)

T E A S E

La fumée s’envole en volutes blanches –presque bleues par dessus l’obscurité de la nuit– avant de s’en aller jaunir le plafond de la chambre d’Isis.
Allongée sur le côté du lit, elle observe avec une étrange fascination le ballet aérien de la nicotine ; ce n’est pas sa clope qui se consume actuellement en traînées de nuages, elle a déjà fini la sienne quelques minutes auparavant.
Mais c’est une étrange sensation pour elle que de suivre des yeux la route de la fumée, des lèvres de Dante jusqu’au plafond.

« Il est quelle heure ?
— J’sais pas. »

Cela fait longtemps que le temps ne fait plus partie de la vie d’Isis –parce qu’elle considère qu’elle n’en n’a plus beaucoup, elle ne voit pas d’intérêt à toujours courir après.

« Je partirai vers quatre heures, avant d’aller bosser.
— Cool. »

Qu’il reste ou qu’il s’en aille, elle n’est pas censée se réjouir plus que ça. Après tout il l’a dit lui même, Dante : ça n’ira jamais plus loin –passion des corps mais pas des cœurs.
Pourtant lorsqu’il est là, Isis est moins réticente à s’octroyer la tendresse de ses gestes quand il le lui permet ; avec certains, c’est elle qui refuse les gestes d’affection temporaire, avec d’autres, c’est elle qui les cherche –avec Dante, ça dépend des fois.
Elle tend la main vers la cigarette qui gît encore entre ses lèvres et l’attrape entre ses doigts fins pour la porter aux siennes et s’empoisonner un peu plus les poumons. Elle tire une fois, deux fois, puis souffle la fumée vers le fils d’Arès en se tournant vers lui avant de replacer le bâtonnet de nicotine là où elle l’a trouvé.

« Tu fais quoi comme travail au fait, je t’ai jamais demandé ? Une idée, sûrement mauvaise, lui traverse alors l’esprit et elle lui intime finalement le silence en posant un doigt sur ses lèvres. Attends non, dis rien, j’vais deviner ! »

Isis se redresse et plisse les yeux pour mieux le détailler du regard, un sourire espiègle faisant ressortir ses pommettes d’enfant ; le monde du travail, elle ne le connait que par le prisme de ceux qu’elle croisent au Bar’Gnarök –souvent des types friqués, avocats, médecins, ou grands patrons. À ses yeux, Dante a l’air de ceux qui sont nés dans le milieu et qui n’en sont jamais sorti ; le même genre que sa sœur côtoyait en Angleterre avant que leur père ne fasse faillite.

« J’parie que t’es dans un truc de connard, genre la finance, non ? Tu m’donnes quoi si j’ai bon ? »

Déjà la lueur du jeu s’embrase dans les iris de l’adolescente –au fond, il peut bien lui donner ce qu’il veut, un baiser, de l’argent, des bijoux, un coup de poing ou un orgasme, peu lui importe tant qu’elle peut perdre son temps et s’amuser à fouiller en lui plus profondément qu’il ne laisserait d'autres le faire.

T E A S E

« T’auras rien du tout. Je te rappelle que tu m’as traité de connard. »

Une moue d’enfant se dessine sur les lèvres d’Isis avant de se changer en sourire satisfait lorsque Dante la tire contre lui. Elle frissonne lorsqu’il murmure à son oreille, ronronne quand il dépose un baiser au creux de son cou.

« Je parie que Pandora n’est pas ton vrai prénom. »

Elle aurait presque oublié qu’elle ne lui avait jamais clairement dit comment elle s’appelait tant c’est un détail secondaire à ses yeux.

« Ça fait un paquet de nuits qu'on s'appelle. J'ai même pas le droit de connaître ton nom ?
— Qu’est-ce que tu me donnes en échange ? minaude-t-elle d’un ton espiègle dans son oreille.

Dans la foulée, elle se retourne contre lui, le pousse à s’installer sur le dos, s’allonge au-dessus de lui et croise les bras contre son torse pour y loger son menton, sans jamais quitter de son regard facétieux les iris sombres du jeune homme. C’est qu’elle se plait un peu trop dans ses bras ce soir pour s’épargner son contact, et si elle peut en jouer au passage pour obtenir ce qu’elle veut, alors c’est encore mieux.

« Mon prénom c’est Isis-Mae, elle cède finalement, mais en entier je l’aime pas donc Isis ça suffit. »

En entier, c’est comme ça que son père l’appelait, et elle refuse d’avoir à penser à ce type qui ne l’a jamais aimée à chaque fois qu’on prononce son nom complet.

« Viens on joue ! s’exclame-t-elle alors en se redressant sur les avants-bras –elle est intenable des fois– pour se rapprocher du visage de Dante. Il faut deviner un truc sur l’autre et celui qui perd à un gage. N’importe quel gage. »

Et comme pour accentuer ses dernières paroles, elle laisse courir ses lèvres sur les siennes avant de se laisser couler le long de sa gorge, de  ses clavicules, puis de son torse, pour revenir à sa position initiale, bras croisés et tête penchée sur le côté.

« T’as pas que du sang de démon j’parie, elle tente, tu sens moins mauvais que les sang-purs. »

Parce que son côté hybride l’avait dotée d’un odorat ultra développé, elle arrivait à reconnaître des similarités dans les odeurs des uns et des autres et savait plus ou moins déduire les différentes races qui coulaient dans leurs veines. Mais parfois elle tombait sur des énigmes, et Dante en fait partie –car si elle peut affirmer qu’il n’y a pas que du sang de démon en lui, elle ne parvient pas à déterminer ce qu’il en est exactement.

« Tu serais pas mage des fois ? »

Elle n’a jamais vu de crocs de vampire, d’oreilles d’elfe ou d’ailes d’ange ou de fée, ni senti l’odeur plus brute des hybrides chez lui, alors elle tente le tout pour le tout et mise sur la chance cette fois-ci. Et c’est parce qu’elle ne veut pas avoir l’air de trop le flatter qu’elle a omit –volontairement ou pas, allez savoir– de songer au fait qu’il pourrait être comme elle.

T E A S E

« Perdu. »

Une moue boudeuse se dessine sur son visage et elle fronce les sourcils –Isis est joueuse, et elle n’aime pas perdre. Pourtant celle-ci s’efface bien vite lorsqu’il lui donne la bonne réponse.

« Demi-dieu, fils d’Arès.
— Ah, elle lâche d’abord dans une brève exclamation de surprise avant de remarquer le sourire en coin de Dante et d’en faire un du même genre, rien que ça ? »

Isis n’est pas impressionnée par la révélation –elle a vu pire ; elle est pire. Pourtant après réflexion, il est vrai que ça lui va bien à son amant du soir, il y a quelque chose dans son charisme qui doit bien lui venir de cette autorité divine que possède probablement son géniteur. Elle en revanche, c’est d’autre chose qu’elle a hérité.

« Tu me dois quelque chose, je crois. »

Il la sort de ses pensées en inversant leurs places, et d’aise, elle s’étire comme un chat sous son poids avant de frissonner lorsqu’il dépose un baiser contre son sternum. Un rire clair s’échappe de sa gorge lorsqu’il évoque l’éventuel gage et elle vient plonger sa main dans la chevelure d’ébène du demi-dieu, au niveau de la nuque.

« À moins qu'on soit quittes –si j’ai tort.
— Vas-y ?
— Tu serais pas la fille d’Isis, à tout hasard ? »

Isis rit encore –c’est quand elle rit qu’on se rappelle qu’elle n’est encore qu’une enfant– et la main qui était occupée à lui caresser les cheveux il y a deux secondes à peine vient glisser contre sa joue et s’amuse à suivre les contours de son visage du bout des doigts.

« Perdu, répète-t-elle avec le même sourire en coin que lui, c’est pas drôle si tu fais exprès de perdre, aussi ! »

Un instant elle se perd dans la contemplation de son visage, et elle hésite pour la première fois –est-ce qu’elle doit lui dire ou pas ? Ils sont plusieurs à l’avoir fui après avoir appris d’où elle venait et qui l’avait enfantée, et si elle se vante souvent de pouvoir utiliser cette information comme un filtre à connards, comme elle aime le dire, il n’en reste que concernant Dante, elle ne voudrait pas qu’il s’en aille. Et pas seulement parce qu’il lui arrive de lui faire des cadeaux somptueux qu’elle ne mérite sûrement pas, non ; tout simplement parce qu’elle l’aime bien Dante, et qu’elle s’attache vite quand bien même ils sont tous les deux d’accord pour en rester là.
Isis, jamais d’accord entre sa tête et son cœur, pas vrai ?

« Mais t’y es presque ceci dit, elle se contente alors de biaiser lâchement –et comme pour enterrer la question gênante sous les blagues vaseuses, elle ajoute, d’ailleurs c’est crade mais si on est tous les deux des rejetons de dieux j’ose même pas imaginer notre taux de parenté, haha ! »

Elle n’a pas réussit à dire ‘demi-dieux’ à la place de ‘rejetons’ parce qu’elle n’a jamais trouvé ce terme adéquat pour elle. Lui en est un pour sûr. Mais elle, sérieusement, qu’il y a-t-il de divin chez une fille comme elle ?
Qu’il y a-t-il de divin dans la déchéance et la faiblesse ?

« Dis…Tu l’as déjà vu ton père, toi ? »

C’est qu’elle ne peut pas s’empêcher de trop parler, la lunatique enfant.

T E A S E

C’est un rire grave qui s’échappe de la gorge de Dante suite à sa vanne douteuse, et c’est un long frisson qui ébranle Isis de la tête aux pieds quand elle l’entend si près de son oreille.
C’est une fille compliquée Isis. Les pires obscénités ne sauraient éveiller la moindre étincelle de désir chez elle quand elles viennent de ces hommes qui sont tous à ses pieds et pourraient la payer des fortunes pour une nuit à leurs côtés –et pourtant il suffit à un de ces quelques élus qu’elle laisse pénétrer son cercle privé de rire à une de ses blagues pour qu’elle se fasse mille et unes idées ; quand bien même elle sait très bien que tout est vain et que rien n’est sérieux entre eux. Quand apprendras-tu ta leçon Isis ?

« Non. Mais si tu as son adresse, je veux bien que tu me la passes. »

Derrière son ton détaché, elle lit dans son visage qu’il s’agit d’un point sensible à ne pas trop remuer. Elle hésite à le faire –parce qu’elle est comme ça et qu’elle gâche toujours tout– mais s’abstient car il le fait à sa place.

« …Et toi ? Est-ce que tu as déjà vu ta mère ?
— …Non. Et j’compte bien à ce que ça continue comme ça. »

Si elle pouvait ne plus voir ses parents de toute sa vie, ça l’arrangerait.
Le visage de son père et de sa belle-mère lui viennent en tête, l’espace d’un instant, et il n’y a que l’amertume et la rancoeur qui remontent en même temps que les souvenirs à leurs côtés. S’ils pouvaient tous crever, elle serait bien contente.

« Elle aurait mieux fait de me noyer dans un fleuve plutôt que de me ramener à mon père, fait-elle à mi-voix, les yeux dans le vague –à dire vrai, la remarque aurait dû rester à l’état de pensée muette, mais Isis, elle n’a jamais été très stable, et si elle parle souvent pour ne rien dire, parfois ça déborde, et elle n’y peut rien. »

Il lui faut plusieurs secondes pour réaliser ce qu’elle vient de dire, et comme si elle sortait d’un rêve, son regard reprend sa vivacité usuelle et son sourire creuse des fossettes d’enfant dans ses joues.

« J’rigole haha ! De toute façon, nique tous ces connards on n’a pas besoin d’eux, lâche-t-elle dans un ricanement. »

Elle se redresse avant de croiser les bras autour du cou de Dante et d’aller chercher un baiser plus affamé au creux de ses lèvres. Elle se laisse fondre contre sa bouche et ne s’écarte que lorsque l’air vient à lui manquer –et ce n’est dû qu’aux réflexes de son corps car si ça ne tenait qu’à elle, elle ne verrait aucun inconvénient à se laisser crever comme ça.

« Ça te dit un deuxième round ? elle ronronne à son oreille avant d’aller lui mordiller le cou ; provocation calculée. »

Isis, ouvre les bras, ouvre les cuisses –donne leurs tout pour qu’ils t’aiment en retour, mais n’ouvre surtout pas ton cœur si tant est qu’il t’en reste un.

T E A S E

Isis se doute bien qu’il n’a pas vraiment gobé sa tentative de rattrapage –c’est du vu et revu en même temps ce genre de réplique, plus personne n’y croit. Mais comme toujours elle fait celle qui ne voit ni n’entends rien et préfère se vautrer dans la chaleur de leur luxure plutôt que d’aller risquer s’écorcher sur des questions auxquelles elle ne veut pas penser.
Elle préfère mille fois fermer les yeux et laisser la passion la consumer lorsque les doigts de Dante tracent des lignes de feu sur sa peau et que sa bouche contre la sienne lui inspirent mille et uns vices.

« Toujours. »

Elle rit, satisfaite. C’est mieux s’ils s’en tiennent à la baise et à la tendresse physique –elle n’a jamais été foutue de réussir quoique ce soit lorsque les mots et les émotions s’en mêlent.
Son cœur s’emballe et son souffle s’accélère au fur et à mesure que la pudeur s’étiole entre eux, et quand Dante s’interrompt subitement, elle a les joues rouges et un air surpris qui lui donnent des allures presque innocentes.

« T'aurais pas un condom, à tout hasard ? »

Isis cligne des yeux, étonnée, avant de se fendre dans un rire plus sincère que les précédents.

« T’en n’as pas prévu plus ? J’vais être vexée ! elle raille avant de le pousser à se reculer pour qu’elle puisse se redresser et atteindre le tiroir de sa table de chevet –elle l’ouvre ; à l’intérieur, plusieurs boîtes de différentes marques et différentes tailles, preuves de tous ceux qui sont passés avant lui et de ceux qui passeront sûrement après. Vas-y fais ton marché, fait-elle en se rallongeant avec une ironie encore teinté d’hilarité. »

C’est Silas qui l’avait forcée à acheter tout ça –pour son bien, qu’il lui avait sorti, et c’était un peu l’hôpital que se foutait de la charité. Mais elle ne savait rien lui refuser à Silas, alors elle avait cédé, elle avait accepté de prendre un peu soin d’elle si ça pouvait le rassurer.
Elle jette un coup d’œil à son portable pour vérifier l’heure tandis que Dante est occupé –quelques sms qu’elle n’ouvrira pas devant lui s’affichent à l’écran– et le repose face contre le bois usé de la table de chevet lorsqu’il revient s’installer entre ses jambes.

« Il est deux heures vingt-sept, ça nous laisse de la marge jusqu’à quatre heure, elle murmure contre son oreille en croisant de nouveau ses bras menus derrière son cou. »

Quelques baisers plus tard, c’est la passion du vice qui brûle au creux de ses reins.