La grande déesse fixe de nouveau son reflet à la surface du lac. Ses longs cils soulignent parfaitement son regard sombre pailleté d’indigo, et ses longs cheveux ont été tressés aujourd’hui par le soin des nymphes. Elle porte aujourd’hui de discrètes boucles d’oreille en forme d’épis de blé, ainsi qu’un pendentif représentant une palme en or, monté sur une chaîne en or. Sa peau de pêche qui prend aisément le soleil contraste avec le noir ébène de sa chevelure. Au gré des millénaires, elle n’a pas pris une seule ride. Qui pourrait deviner que sous cette apparence d’une femme de 28 ans se cache une puissante divinité ? Le temps n’a pas d’effet sur elle et n’en aura jamais. Parfois il lui arrive de se demander quelle doit être la vie d’humaine. Elle les as toujours observés de loin, ces créatures si jeunes et si impétueuses. Cette espèce semble porter beaucoup d’intérêt à l’apparence, et de plus en plus avec les âges. Elle a souvent vu des femmes se maquiller, se recoiffer, se badigeonner le visage de crèmes réparatrices anti-âge. Ferait-elle la même chose si elle était humaine ? Probablement. Elle ne met pas particulièrement ses atouts en valeur, mais comme toute femme, elle apprécie de se sentir belle. La vie d’humaine doit être semée d’embûches, mais… peut-être se sentirait-elle plus vivante ainsi.
"Desponia, tu broies du noir. Tu devrais te changer les idées."
La voix sifflante de Kalysta, son affiliée, la tire de ses étranges pensées. Elle porte un index sur le sommet du crâne de la vipère aspic pour la caresser tendrement. Elle est son éternelle compagne. Les humains ont par le passé souvent représenté Déméter avec un serpent, l’un de ses symboles (avec l’épis de blé, la faucille, ou encore la grue, animal en lequel elle se transforme).C’est parce qu’à l’époque où les humains croyaient encore aux dieux grecs, elle faisait de rares apparitions avec sa fidèle Kalysta autour du cou.
"Tu as probablement raison ma chère Kalysta. Je vais aller faire un tour sur l’île."
La déesse se lève pour changer ses vêtements, trop luxueux et trop voyants. Les êtres magiques se poseraient des questions quant à leur provenance. Non, si elle veut se fondre dans la masse comme elle aime le faire, elle doit porter des habits classiques selon la mode sanctuarienne. Elle opte donc pour une robe longue couleur crème assez simple, ainsi qu’un petit sac à main en bandoulière. Kalysta se glisse à l’intérieur, appréciant le calme et l’obscurité pour dormir. Une fois prête à se faire passer pour une simple mortelle, elle disparaît dans une explosion de pétales.
Elle se retrouve dans la plaine qui entoure la capitale. Elle observe l’environnement, ferme les yeux, écoute les bruits de la nature, le bruissement des feuilles sous l’action du vent, les chants des oiseaux qui acclament leur maîtresse, les brins d’herbes qui crissent sous ses pieds. Puis elle camoufle son aura divine et rejoint Skyworld. Elle a entendu parlé d’une petite réception ouverte à tous dans un but caritatif, organisée chez un riche propriétaire. Il paraît que des personnes d’influences s’y trouvent. Elle est bien décidée d’aller y faire un tour. Ses pas la guident tranquillement jusqu’au lieu d’intérêt. Elle s’arrête devant la grande villa qui accueille l’événement et lève les yeux pour détailler la structure. Certains mortels ont assurément bon goût. Avec un léger sourire dessiné sur ses lèvres, elle pénètre dans le lieu de la réception.
Il y a un peu de monde, déjà. Des jeunes hommes, des femmes d’âge mûr, des enfants… Toute catégorie de population se mélange ici. Au milieu de la foule, Déméter n’a l’air que d’une simple mortel. Elle a toujours été maître dans l’art du camouflage. Elle s’est bien faite passer pour une vieille dame pendant des mois, après l’enlèvement de sa fille. Sa fille… Son regard s’attriste en songeant à sa pauvre enfant et l’acte odieux de son frère Hadès. Soudain quelqu’un la bouscule sans faire attention, ce qui a le mérite de la tirer de ses tristes pensées. Elle lève le regard pour repérer le fautif. Elle aperçoit un jeune homme, fort charmant et visiblement bien élevé. En retrait, elle s’assoit provisoirement sur un banc sans le quitter des yeux, tout à son observation. Soudain, elle le voit glisser une main dans une poche. Ses sourcils se froncent, assombrissant son regard, ce qui lui donne un air plus sévère. S’agirait-il d’un voleur ? Elle sait que les dieux doivent éviter de se mêler aux mortelles, mais dans la mesure du possible. Tant qu’elle ne révèle pas son identité et qu’elle n’interviendra plus, ça ira.
Elle se lève discrètement et suit le jeune homme de loin. Elle se demande ce qu’il trafique. Visiblement, il déleste les invités de leurs biens trop encombrants. Ses yeux la trompent-elle ? Ou s’agit-il encore d’une nouvelle coutume dont elle n’a pas connaissance ? Elle s’approche en silence jusqu’à se trouver à un mètre seulement de lui. Il ne doit pas sentir sa présence car il lui tourne le dos.
"N’est-ce pas vous qui m’avez bousculée tout à l’heure ? Ce n’est guère poli de partir comme un voleur sans s’excuser."
Son ton, calme mais ferme, reste toutefois magnanime. Elle ne va pas le juger sur les premières impressions. Elle n’approuve pas ce comportement, mais elle laisse toujours les autres se justifier. C’est bien son rôle de déesse du panthéon ; personne ne doit être accusé à tort ni condamné sans procès.
"A moins que vous n’ayez parlé trop bas auquel cas je m’excuse de ne pas avoir entendu."
Elle fait un pas vers lui, puis sourit, l’air faussement innocent. Ses yeux glissent sur les mains du présumé voleur.
"Mais dites moi, vos doigts sont-ils si dégourdis qu’ils peuvent se soustraire à votre contrôle ? Ou bien êtes-vous tant dans le besoin que vous n’avez d’autre choix que de chercher fortune dans les poches des honnêtes gens ?"
Sa voix n’exprime pas sa désapprobation, mais plutôt sa compassion. Car s’il est vraiment un miséreux, son coeur pur de divinité en serait peiné. Toutefois elle espère pour lui, qu’il n’a pas pris l’un de ses biens. Car si les dieux ne doivent pas s’impliquer dans la vie des mortels, c’est une autre histoire quand les mortels les impliquent. Surtout lorsqu’un mortel s’en prend à eux ou à ce qu’ils représentent. Bien qu’en l’occurrence, il ne peut savoir à qui il a affaire.
(C) MISS AMAZING.