Danse sanglante des papillons de nuit

Balthazar tituba en posant sa main claire sur le mur de briques non loin de lui. Il posa l'autre sur son front alors que son corps penchait vers l'avant. Il avait mal. Terriblement mal aux canines. Celles-là mêmes lui servant à se nourrir. En plus du mal de crâne. Comment en était-il arrivé à ce stade? Il n'en savait rien. Il ne se souvenait plus de rien. Il n'avait pourtant pas l'habitude de se rendre à ce stade de la faim. La dernière fois, c'est quand il avait transformé Diane à la suite de la mort de ses parents. Depuis, il avait fait attention à son alimentation afin que cela ne se reproduise plus à l'avenir. Pourtant, le voilà dans une situation délicate, à la fois semblable à celle d'il y a environ 145 ans et à la fois totalement différente. Cette fois-là, il n'avait pas ressentit la faim à ce point. Il avait réussi à se rendre à la soirée organisée par de riches gens. Aujourd'hui, il ressentait beaucoup trop l'appel de la faim.

Le sang-pur laissa échapper un grognement prédateur et mécontent. Il devait vraiment boire. Maintenant. Ou il allait perdre la boule. Il se redressa du mieux qu'il put et constata qu'il était légèrement vêtu et très peu soigné, ce qui n'arrivait jamais. Sa chemise était déboutonnée, laissant voir son magnifique torse, mais ça n'était pas tout, sa chemise était sale tout comme sa peau. Il y avait du sang aussi. Merde, qu'avait-il fait? Il ne se souvenait de rien. S'était-il nourri? Si oui, pourquoi avait-il encore mal à ses canines comme ça? Si non, pourquoi était-il recouvert de sang? Il grimaça de douleur quand sa tête se mit à tourner. C'était mauvais. Vraiment mauvais. Il fit quelques pas chancelants dans la ruelle sombre et trébucha pour se retrouver contre une poubelle de métal. Il était déboussolé. Complètement déboussolé. Il ne savait pas vraiment où il se trouvait ni pourquoi il se trouvait là.

Calmant sa respiration devenue rapide, le vampire se releva et prit appui contre l'un des murs pour continuer d'avancer. Peut-être qu'après s'être nourrit de sang humain retrouverait-il la mémoire? Il en doutait, mais rien ne l'empêchait de l'espérer. Mais d'abord, où allait-il trouver son repas? Il n'y avait visiblement pas âmes qui vivent dans les parages. Cela rendait difficile ses recherches, lorsque son nez perçut une odeur. L'odeur d'une tourte. Il savait que s'il y avait cette odeur, quelqu'un se trouvait non loin de lui. Sa grâce habituelle l'ayant quittée, Balthazar s'avança dans la direction de l'odeur. À un moment, il put percevoir l'odeur qui le fit saliver: le sang. Il s'avança encore et la vit.

Il voyait la demoiselle en train de dévorer la tourte au bout de la ruelle. Son ventre grogna sa faim et il se dirigea vers elle. Il pourrait s'en nourrir, la mordre. Il ne doit pas faire ça. Depuis combien de temps le savoureux liquide rouge d'un humain ou d'un être magique n'avait-il pas coulé dans sa gorge? Depuis trop longtemps. Et ça devait rester ainsi. Mais l'odeur était trop tentante pour qu'il l'ignore. Arrête. Il devait arrêter. Ses pieds le guide vers la demoiselle. Malgré l'absence de sa grâce habituelle, il n'en dégageait pas moins de froideur et de dureté du vampire. En plus de tout ça, il avait terriblement faim. Il ne pouvait pas se retenir. Il voulait planter ses canines dans la chair tendre du cou de la demoiselle maintenant à quelques pieds de lui.

Devait-il laisser ses envies prendre le dessus et lui sauter à la gorge? Non, il ne pouvait pas s'abaisser à ce genre de comportement. Il valait bien plus que ça. Cependant, il ne devrait pas non plus consommer son sang. Il sait qu'une fois ses canines dans sa chair, il ne pourrait plus arrêter de boire jusqu'à sa mort ou jusqu'à sa transformation. Et le sang-pur ne voulait pas de ça. Pourtant, il avait si faim... Il se laissa choir à genoux au sol devant la demoiselle et il planta son regard luisant de rouge dans le sien. Si elle faisait le moindre geste pour tenter de s'échapper, cela titillerait son côté prédateur et il ne pourrait pas empêcher son corps de la suivre. Il ne pourrait pas non plus empêcher ses canines de se planter dans sa gorge. Il poussa un gémissement étouffé en se mettant les mains de chaque côté de la tête.

Pourquoi? Pourquoi la faim le tenaillait-il à ce point? Qu'avait-il traversé pour se rendre au point de non-retour? Cela le frustrait au plus haut point de ne pas savoir ce qui lui arrivait. Lui qui était toujours maître de ses actions, ne pas pouvoir se contrôler en partie ou totalement, le mettait sans dessus-dessous. Balthazar était en proie à un mal inconnu - du moins, en partie. Il avait faim de sang et la demoiselle près de lui faisait une proie idéale, sauf qu'une partie de lui était encore assez lucide pour lui dire qu'il ne devait pas faire une telle chose. Il se nourrissait rarement de sang humain ou magique, se contentant des poches de sang ou du sang d'animaux. Il avait déjà prit possession d'une vie, il ne voulait pas en avoir une autre en plus de celle de Diane sur la conscience. Il faut comprendre ici qu'il ne regrette rien, mais qu'il compatit à la douleur de la mordue maintenant sous son emprise totale.

October avait terriblement mal au crâne, si bien que ses fines mains enserraient sa tête comme s'il voulait la broyer. Quoiqu'il en soit, il avait perdu le contrôle de la situation plus tôt, mais il ne savait pas pourquoi ni comment. Il était confus et lorsque la demoiselle s'approcha de lui, il grogna en lui jetant un regard noir et froid. Il était en sueur et ses beaux cheveux noirs lui collaient au visage. Elle ne sembla pas faire attention à son avertissement silencieux, ce qui était en soi une grave erreur. Malgré la situation, le vampire savait qu'il pourrait la mettre en confiance avant de la mordre, bien qu'elle puisse tout à fait penser le contraire. Et avec raison. Il suffisait de regarder dans quel état il se trouvait pour savoir ses intentions. Cependant, la situation ne lui filait jamais entre les doigts. Du moins, il ne la laissait jamais filer entre ses doigts. Même s'il peinait à contrôler la puissance de sa faim, il la contrôlait, ce que plusieurs vampires ne pourraient pas faire.

Le sang-pur la vit s'accroupir devant lui avec un air joyeux, mais Balthazar est loin d'être dupe. Il voyait bien son regard contrastant avec son sourire. Un regard glacial, à peu près comme celui du vampire, mais en beaucoup moins effrayant. Qu'allait-elle faire? Au moins, elle n'était pas partie en courant, ce qui aidait le vampire à ne pas sauter à sa gorge pour la lui déchiqueter. Elle prit un air doux et gentil et pencha même la tête sur le côté comme le ferait une petite fille. Sérieusement, cette femme était vraiment inconsciente. À cette distance, elle lui disait presque de lui sauter dessus pour boire son sang. L'odeur irrésistible de son précieux liquide rouge parvenait aux narines d'October avec un peu plus de force.

» Vous allez bien m'sieur? C'est pas top de sortir quand on est malade vous savez...

Sa voix était douce et chantante. Le sang-pur resta là à la regarder, son visage n'exprimant rien. Mais il s'était figé, la dévisageant de son regard rougeâtre. Elle était sérieuse? Balthazar resta comme ça un long moment avant de rejeter la tête vers l'arrière et de laisser échapper un rire grave et froid, dénué d'émotions. Il en donnait froid dans le dos tellement la dureté de son rire était grande. Ça n'était pas un sourire rassurant et n'importe qui aurait perdu son air joyeux- vrai ou non - face à celui-ci. S'arrêtant, le vampire centenaire à deux reprises rebaissa la tête pour la regarder avec un sourire aussi peu rassurant que le rire qu'il avait laissé sortir de sa gorge. Il la regardait, ses yeux exprimant un certain amusement discret.

» Vous êtes sérieuse, mademoiselle? Si vous pensez que je suis malade, vous êtes sûrement folle.

Bon. Il n'avait pas vraiment l'habitude de traiter une dame de « folle », mais c'était la première chose qu'il pensait d'elle. Comme elle pouvait très penser de lui qu'il était fou avec ses vêtements tâchés de sang. Il n'allait certainement pas lui dire qu'il n'avait aucune idée de ce qui avait bien pu lui arriver un peu plus tôt. Sûrement qu'en retournant en arrière et en fouillant un peu, il trouverait pourquoi il était dans cet état. Ou peut-être qu'il aimait mieux ne pas le savoir. Effacer ce moment de sa mémoire.

Ce fut au tour de la jeune demoiselle de se laisser aller à rire et Balthazar afficha un sourire en coin. Un sourire de prédateur, car sa gorge était ainsi dégagée et prête à être mordue. Cependant, le vampire ne bouge pas, se disant qu'elle ne devait pas penser comme lui. C'est vrai, il l'avait traité de folle, mais savait-elle la réelle signification de ce mot. Certes, il était devenu de plus en plus fréquent, perdant de son sens et le vampire n'approuvait pas ce genre de chose. Aujourd'hui, ce mot ne veut plus rien dire pour les gens, mis à part pour lui. Et pour Diane, bien entendu. Car elle était réellement folle à lier. Pourtant, Balthazar l'aimait bien, même si elle essayait un peu trop au goût du vampire d'asseoir son autorité sur lui. Évidemment, on peut se douter qu'il ne se laisse pas faire du tout, étant le plus prédateur des deux. Il se demandait si cette jeune femme allait lui répliquer qu'il manquait de vocabulaire. Pourtant, il sentait qu'elle n'était pas très jeune. Elle devait être dotée de quelques siècles.

» Je suis déçue, monsieur! Moi qui pensais que vous auriez un verbe bien plus amusant que ça! Folle? Quel triste mot devenu fort commun! Et puis, la folie, quand elle est source d'amusement et de rire n'est pas bien si dérangeante que ça, non?

Voilà. Exactement comme le pensait October. Il soupira, lâchant son petit sourire et s'affaissa, réellement déçu. Contrairement à elle, le vampire montrait sa déception explicitement. C'est une bien grosse erreur de penser cela. Il ne comprenait pas pourquoi les gens avaient transformé ce mot en quelque chose de familier. Si elle était vraiment aussi vieille qu'il le sentait, c'était encore plus décevant. La folie se définie par des troubles mentaux, pas par des actes servant à amuser les gens. October était bien déçu que l'on ne sache plus la signification réelle de ce mot. La jeune dame se releva, cachant son visage de ses cheveux de feu et il la vit plisser des yeux en le regardant.

» En tous cas, je préfère ma folie à votre condition...

Ce n'était pas vraiment objectif, selon le vieux vampire. Elle ne savait pas ce qu'il lui était arrivé. Lui non plus, d'ailleurs, mais il ne laissait rien paraître, comme à son habitude. Sa chemise tachée de sang n'était pas confortable. Elle lui collait désagréablement à la peau. Il se demandait encore à qui appartenait tout ce sang, mais il savait qu'il n'était pas de lui. Quoi qu'il lui soit arrivé un peu plus tôt, il avait dominé superbement, vidant la personne de son sang, celui-ci se répandant sur le sol et sur sa chemise. Quelques images venaient déranger Balthazar, mais il n'y fit pas attention. Il posa ses mains sur son ventre plat pour ensuite les regarder. Elles étaient maintenant pleines de ce sang au parfum dérangeant. Il le tentait. Il avait tellement faim.

» Mais veuillez m'excuser monsieur, je faillis à toutes les règles de politesse! Enlil Volpiglio, ravie de faire votre drôle de connaissance monsieur...?
» O'Donughue. Lawrence O'Donughue.

Ces mots étaient sortis bien malgré lui de sa fine bouche. Il leva les yeux vers elle avec un léger sourire, constatant par la même occasion qu'elle avait retrouvé son air amusé. Le vieux vampire tenta de se lever en prenant un appui certain sur le mur près de lui. La faim envahissait son corps entier, le rendant douloureux à mouvoir. Cependant, il ignora la source de son mal, observant la demoiselle devant lui. Il ne savait pas trop pourquoi elle était si amusée de le voir dans cet état. Certes, il pouvait paraître pathétique, mais Balthazar savait que son combat avait été rude. Au point de lui faire oublier les événements passés. Par contre, sa chemise pleine de ce liquide délicieux démontrait sa victoire non-négociable.

» C'est plutôt moi qui suis déçu, mademoiselle Enlil. Malgré votre jeune apparence, je sens que vous être beaucoup plus âgée que cela. Ne prenez-vous donc plus au sérieux la signification réelle de ce mot? La folie ne désigne pas une personne distrayant les gens, mais bien une personne ayant des problèmes mentaux. Malgré le fait que ce mot en soit devenu familier, il n'en perd pas moins sa signification. Ce mot n'est pas à prendre à la légère, vous savez.

Il se redressa du mieux qu'il put, ignorant l'appel angoissant de la faim. Une faim sanglante. Elle lui donnait des maux de crâne et son estomac était sans dessus-dessous. Balthazar ne se sentait pas bien dans l'instant présent. Son corps réclamant du sang le faisait souffrir. Il aurait pu se jeter à la gorge de cette demoiselle, mais elle n'avait pas titillé sa faim en restant près de lui. Il pouvait donc tenir encore un bon moment. Mais il ne garantissait pas qu'il ne finirait pas par lui sauter dessus pour la mordre. À cette pensée, ses canines lui lancèrent. Il se voyait par-dessus son corps, ses canines enfoncées dans la chair tendre de son cou, aspirant son précieux liquide rouge. Ces images le firent frissonner et il déglutit. Il avait vraiment du mal à contrôler cette faim immense.