Miss Rain vs Mr Sunshine | leolizzy

Leo avançait paisiblement, contemplant le calme de la mer de nuages. Oui oui, vous avez bien lu, Leo, paisiblement, contempler, mer de nuages, dans une même phrase. Parce que ce jour là, il ne geekait pas. Ce jour là, il ne se tournait pas les pouces. Il ne bossait pas non plus, ce jour là. Parce que j'aime ce jour-là, 'voyez. Bref. Il avait besoin de sortir. Son affilié pour une fois semblait juste se contenter de son shoot quotidien naturel sans lui prendre la tête avec ses discours pseudo-philosophiques bancals. C'était vraiment cool. Il se pencha. Caressant distraitement la surface de sable blanc sous ses pieds, un visage lui sauta à la gorge. De longs filins de coton doré, de belles prunelles toujours tristes mais douces assorties, couleurs identiques à celle de l'adolescent en crise. Il s'effondra.

Iphigénie aimait la mer de nuage. Ou elle l'aurait certainement aimé, si elle était venue ici de son vivant. Leo leva les yeux. Il avait fait son deuil, évidemment. Mais la douleur était parfois assez vive, alors que sa voix mélodieuse lui revenait aux oreilles. Aucune larme ne vint s'échouer sur ses joues, juste une lueur triste et lointaine, juste un murmure. Juste un prénom balancé dans le vent, telle une prière, telle une punition, douce acidulée, un peu trop épicée. Mais il ne pleurerait pas. Pas maintenant, pas ici. Il lui avait fallu avancer, et c'était aussi un peu pour elle, qu'il avait décidé de reconstruire sa vie. Pas juste parce qu'il était le boulet du siècle, hein. Pas juste parce qu'il les voulait, ses goodies. Leah aurait ri gentiment de lui.

Leo baissa violemment la tête.

Ok fallait qu'il arrête tout de suite là. Se redressant rapidement (il fait pas du tout bipolaire), il passa une main agitée dans sa tignasse or et continua d'avancer. Il se mit à penser aux dernières sorties de jeux vidéos, parce qu'il fallait bien qu'il s'occupe l'esprit. Puis Star Wars aussi. A quel point il n'aimait pas les 1, 2 et 3. Ou moyen en fait, ils étaient pas mauvais, mais ne valaient certainement pas les premiers. Enfin les premiers sortis quoi. Ce que c'est compliqué. Puis aussi à d'autres trucs, mais dans le même registre : inutilité incarnée, donc je vais pas m'étendre sur le sujet juste pour rajouter des lignes.

Puis il la vit. Cette tâche sombre recroquevillée sur le sable fin, le regard perdu quelque part au de-là de l'horizon, sa longue crinière d'ébène voletant dans son dos, le vent la caressant tendrement. Ok c'était une fille, donc rien que pour ça elle méritait trois tonnes de poésie. Et puis, quelque chose chez elle gêna immédiatement le sang-mêlé. Son regard brisé peut être, sa position un peu trop fermée ou son air morne. Elle avait quelque chose d'irréel, quelque chose de... Mort. Cette fille était une morte, mais qui respirait encore. Oui on entre dans le registre des zombies, mais c'est pas vraiment ce que je voulais dire. Elle semblait juste spectre. Ce qui le perturba un peu beaucoup trop.

C'est triste. Elle était jolie pourtant. De beaux yeux vifs, d'une couleur peu commune. Des cheveux corbeaux, long et semblant doux. Une peau pâle, des traits fins... Une jolie jeune fille. Juste morne. Juste trop morne. Il ne put s'en empêcher. Alors qu'il allait se tourner pour passer son chemin, pour l'ignorer, cette pâle copie sombre de son spectre préféré, il cessa tout mouvement. S'insultant silencieusement et ruminant un peu contre lui, il fit demi-tour et s'approcha. Une si charmante demoiselle ne pouvait pas rester toute seule, triste, ainsi... Ce n'était pas possible pour le gentleman qu'il était, voyons (enfin, le super héros en collant sauveur de demoiselles en détresse). Il s'approcha, s'accroupit à côté d'elle. Avant de s'installer plus confortablement. Oui, il pope comme ça et s'installe sans gêne à côté des gens, oui.

« Hé, salut ! Tu fais quoi ? Il n'y a rien, au de-là de l'horizon, tu sais ? Juste quelques mirages. »

P

Être fragile au regard brisé, elle tremblait. Même sa voix se cassait alors qu'elle s'échappait de ses lèvres, même ses mains peinaient à rester immobiles. Ses yeux étaient rougis, son regard ne voulait se détacher de l'horizon, y cherchant sûrement des réponses qui ne s'y trouvaient pas. Il le comprenait, cela. Un peu. Lui aussi aurait bien voulu des réponses, à certains moment de sa vie. Mais il n'avait pas un tempérament à se contenter de fixer un point imaginaire et d'attendre. Plus à se faire mal tout comme à faire mal autrui, sans réfléchir, à foncer dans le tas puis le regretter. Aurait-il mieux fait de ne rien faire ? Ou bien se laisser aller ainsi n'était-il pas plus mauvais encore ? Leo n'était pas philosophe, pas conditionné à avoir de telles réflexion. Leo, diraient ceux qui croient le connaître, est un mec trop con trop joyeux qui voit même pas le malheur dans le monde, ni les méchants, à part s'ils s'appellent Sauron ou Dark Vador. Ils faut dire que les deux caractérisent très bien le mal, ce qui est en soit leur but, mais... N'entrons pas dans ce débat.

« Je pleurais, tout simplement. »

Leo cligna des yeux, la fixant longuement. De sous ses longs ciels ébènes, son regard, bien que vif de par sa couleur, était morne. Elle semblait être juste une jolie poupée, juste une jolie plastique inhabitée. La vie, la joie, l'avait quitté. Il fit la grimace. Elle tourna alors la tête vers lui, rapidement, violemment. Leur regards se croisèrent, et il put y lire une des seules émotions qu'il était parfaitement capable d'identifier : l'angoisse. C'était de l'angoisse, cet acide, qui rongeait ses prunelles, faisait trembler ses membres et faisait fléchir sa nuque. Presque immédiatement, ce contact cessa, elle baissa la tête. Mais c'était trop tard, elle l'avait harponné ; ce regard, là, il ne pourrait pas l'oublier. Il l'avait trop vu, il l'avait trop vu... Dans ses yeux. Pourquoi, pourquoi la brune devait-elle ainsi lui rappeler à quel point elle pouvait lui manquer ? Même après dix ans, elle continuait d'être là, tous les jours, à chaque instant, lui rappelant qu'il n'avait rien fait pour la sauver, alors qu'il était le seul à même de le faire. Pourquoi cette jeune fille lui semblait-elle si semblable et si différente ? Il ne voulait pas y réfléchir. Il voulait penser à la brune comme telle, pas comme lointaine réminiscence de sa précieuse petite sœur égarée. Et voulait qu'elle se mettait à pleurer, qu'elle se brisait un peu plus, sous le regard paniquant peu à peu de l'adulte.

« J'aime bien… Cet endroit. Je voudrais mourir ici. »

Son cœur rata un battement. Peut être deux. Ou plus. Il n'en savait rien. Il aurait facilement dit que son cœur s'était tout simplement arrêté, si cela n'avait pas été contraire à sa survie, qui s'observait en réalité. Pourquoi ? Pourquoi devait-elle à CE POINT lui rappeler ses pires souffrances ? Pourquoi, alors que son regard semblait se briser un petit peu, un tout petit peu plus, Leo sentait son propre être se fissurer à nouveau ? Il avait décidé de tourner la page, d'aller de l'avant ; et voilà qu'une épreuve, plus difficile encore que toutes celles qui lui avaient précédé, se plaçait devant lui. Il baissa la tête, les yeux grands ouverts, fixant le sable d'un air concentré. Il ne semblait pas vraiment paniqué, pas souffrant non plus ; juste incroyablement concentré. Il voulait l'aider. Il sentait tout son être bouillir, tout son être être transpercé de part en part par un millier d'aiguilles. Il voulait tant, tant lui venir en aide. Il ne supporterait pas de ne rien faire – comme pour elle – il devait agir, quelque chose... Faire quelque chose... Il ne le supporterait pas. Il ne supporterait pas qu'une autre Iphigénie ne meurt, sous ses yeux, alors qu'il aurait pu... Au moins essayer. Même s'il devait tout donner sans y parvenir... Non, là, tout de suite, il ne voulait y songer.

« Se tuer ou se faire tuer, quel serait le plus douloureux ? »

Une fois encore, la douleur se fit plus vive. Une fois encore, il se souvint. Il ne voulait pas oublier, évidemment. Ce serait effacer de son esprit l'être qu'il avait jusqu'alors le plus aimé au monde, se serait oublier son ange, sa précieuse, précieuse petite princesse. Précieuse, mais qu'il avait abandonné quand même. Iphigénie c'était suicidé. Et cette jeune fille pensait certainement à faire la même chose. Ses pensées étaient à peu près similaires aux siennes – presque autant qu'à celle du blond lui-même. Combien de fois avait-il songé à la rejoindre ? Combien de fois avait-il pensé que sa vie ne méritait pas qu'il ne vole celles d'autres personnes... ? Il secoua la tête. C'était par égoïsme qu'il avait fui, qu'il avait tout abandonné, mais aussi évité les poursuites et sanctions, ce qu'il méritait amplement. Il savait pourtant que sa conscience existait et se rappellerait à lui un jour, mais il continuait de ne vouloir s'y pencher. Il continuait de l'ignorer, lâche qu'il était.

Et elle, elle arrivait, débarquant dans sa vie pour tout fracasser. Elle déterrer sans le savoir des douleurs aiguës, pendant que lui faisait de même pour elle sans rien en savoir. Ils étaient deux sabres pointés l'un sur l'autre, quand l'un voulait fuir et l'autre l'aider. Quand l'un pourrait entraîner l'autre dans sa chute avec une facilité qu'il ignorait. Car Leo pourrait si facilement tomber en réalité. Il frôlait déjà les limites de sa propre folie cachée, ne gardant la tête hors de l'eau qu'avec un tempérament trop joyeux pour certain – une espèce d'innocence égarée dont il se paraît pour ne plus suffoquer. Il secoua la tête.

« De quel point de vue ? De la personne qui meurt, ou de celle qui tue ? Le second est plus cruel pour cette personne, tu sais. Il lui faudra vivre avec sa conscience, et, peut être finira-t-il par avoir les mêmes songes que toi. »

Puisque tel avait été son cas. Lui qui avait tant de fois entraîné la mort, il savait ce que cela faisait. C'était douloureux, plus encore qu'un acide, cela bouffait ton âme. C'était insupportable.

« L'idée de la mort même peut te motiver, tu ne dois pas en oublier ton âme, jeune fille. »

Il secoua la tête, plantant ses deux billes d'or dans le paysage qui se dessinait devant lui, calme, paisible, trop calme, trop paisible. Beau, alors que leur discussion ne l'était en rien, alors que leurs pensées en étaient si éloigné. Cette beauté ne les atteignait peut être juste pas.

« Tu n'as plus personne pour te montrer que la mort n'est pas nécessairement préférable ? Elle ne résout rien. Même si j'y ai pensé un certain nombre de fois, tout comme toi. Peut être suis-je juste trop lâche pour y songer réellement. »

Il ne savait pas. Il n'avait pas l'habitude d'aborder ce sujet là, pas à voix haute, pas avec quelqu'un. Pas avec quelqu'un qui semblait tant désirer que la faucheuse ne vienne pour elle. Tout comme elle, tout comme Iphigénie. C'en était tellement douloureux...