Drole de Parfum [pv: Shama]

Pour une fois, j'avais délaissé le vol pour courir. Me dégourdir les jambes, avaler les mètres devant moi... J'étais habituée à courir quand je vivais à Londres. Dans ce milieu, plus tu cours vite, plus t'as de chances de survivre. Alors, j'étais endurante et rapide à la course. même si, depuis que j'avais découvert mes ailes, je préférais voler, la course restait néanmoins une activité agréable. J'aimais me défouler, surmonter des épreuves difficiles, j'adorais les défis, et là j'essayais de battre à la course à pieds, mon dragon qui, lui, volait. Mais Blaze était tout de même plus rapide que moi. Il me devançait d'une dizaine de mètre. parfois, j'arrivais à me rapprocher, mais l'instant suivant les dix mètres nous séparaient à nouveau. Courir dans la plaine, c'était vraiment un délice. Toutes ces fleurs au parfum délicat, l'herbe fraîche, les arbres majestueux, c'était très apaisant. Je courais aisément, grâce à de bonnes baskets, un jogging noir, et un t-shirt rouge. J'avais attaché mes cheveux pour qu'ils ne me gênent pas.

A bout de souffle, je m'arrêtai à côté d'un arbre pour m'appuyer sur son tronc. J'essayais de reprendre ma respiration mais un point de côté me tiraillait les côtes. Oui, je devais reconnaître que Blaze volait vite. Mais pas aussi vite que moi. Là, j'étais à pieds, mais si j'avais pris mon envol et poussé ma rapidité à son maximum, je l'aurais devancé de nombreux mètres. "C'est bon, t'as gagné, pour cette fois !" déclarai-je par l'esprit à mon affilié, tandis que je tentais de reprendre mon souffle. C'est alors que j'entendis une douce mélodie, au loin. Je me redressai, toujours appuyée contre le tronc. Cherchant des yeux la direction de ce son, je ne vis rien. La provenance n'était pas à portée de vue. Bah, je n'étais pas contre une petite ballade. Enfin, sans courir cette fois-ci. Blaze se posa à mes pieds, dans une attitude victorieuse. "Je te l'avais dit !" me répondit-il. "Ok, c'est bon. Allez, viens, on va marcher un peu, le temps que je me remette."

Une main posée sur mes côtes, je me dirigeai vers la douce mélodie. Elle avait un ton mélancolique. Enfin, selon moi. Je ne m'y connaissais pas trop en musique. Je pouvais bien sûr l'apprécier, mais je pouvais également m'en passer. je n'en avais pas besoin pour vivre. Ça ne m'aiderait pas à gagner ma vie, de toute façon. Mon dragon trottait gaiement à mes côtés, indifférent à la musique. Il aurait préféré entendre le cri d'un oiseau, histoire qu'il se mette quelque chose sous la dent après notre petite course. A part dormir et manger, il ne faisait pas grand chose. Jouer, chasser, siffler et ronronner. Parfois, la vie des animaux me paraissait tellement plus simple, tellement plus calme, que j'aurais presque souhaité en être un. Presque. Les animaux n'ont pas de pouvoirs, après tout. Et puis, j'étais fière de ce que j'étais. A moitié démone, et fille d'Héphaïstos.

J'arrivais au sommet d'une petite colline, et je pus alors avoir une vue d'ensemble de la plaine qui s'entendait devant moi. Je vis au loin une silhouette d'apparence humaine, avec à ses côtés celle d'un animal, certainement un félin. La musique avait déjà changé, prenant un ton plus joyeux. Elle s'acheva rapidement. Je décidai d'aller voir un peu plus près cette personne qui jouait si bien d'un instrument. A ce moment, un papillon passa devant Blaze. Ni une ni deux, celui-ci se mit à le pourchasser, en direction de la silhouette et de l'animal. il faisait des bons, parfois s'envolait, réalisait des figures aériennes avant d'atterrir et de reprendre sa chasse. Il n'avait pas l'intention de le tuer, la pauvre petite bête ! Non, il s'amusait, tout simplement. Il était heureux. Je souris. Finalement, nous arrivâmes aux côtés d'une jeune femme. Une panthère noire avait la tête posée sur ses genoux. Certainement son affilié. Je remarquai un sac à sa droite. Il devait certainement contenir l'instrument qui avait produit un si joli son. Ayant enfin retrouvé tout mon souffle, il ne me fut pas difficile de parler.

- Salut, dis-je d'un ton amical. C'est vous qui jouiez de la musique, tout à l'heure ? C'était magnifique.

Spoiler:

J'observai un peu plus la jeune femme qui me faisait face. Elle avait une belle chevelure blonde, et des yeux vert émeraude, habillés par des lunettes, ce qui lui donnait du charme. Elle paraissait mon âge, mais étrangement ses yeux reflétaient plus d'expérience que la plupart des jeunes femmes de notre génération. Mes yeux se portèrent sur sa panthère, certainement son affilié. une panthère noire aux yeux bleus, tout à fait majestueuse. J'aimais bien les félins. Je les trouvais plus dégourdis que les canidés. Bon, le fait que j'avais grandi dans les rues, pourchassée par des policiers qui lâchaient leurs chiens sur nous, ça faisait pencher la balance. La jeune femme me remercia du compliment, en expliquant qu'elle n'avait pas de mérite, car elle avait visiblement pratiqué de nombreuses années. Certainement depuis son enfance, souvent les musiciens jouaient d'un instrument depuis leur plus jeune âge. Mon interlocutrice se releva, ce qui m'évita de rester légèrement penchée. Debout, elle me dépassait de plusieurs centimètres, ce qui m'obligeait à relever légèrement mes yeux. Sa panthère poussa un grognement de désapprobation, arrachant un rire à sa maîtresse. Hum, visiblement, l'animal préférait rester sur ses genoux. Je souris intérieurement, me disant que dans cette situation, Blaze aurait réagit de la même manière.

- Ah excusez-moi, Bonjour jeune fille.
- Jeune fille ? répétai-je, surprise.

Elle s'était adressée à moi comme si j'étais bien plus jeune. pourtant, nous paraissions le même âge... En apparence, elle avait le même âge que moi. Seulement, si c'était une vampire, ça expliquait pourquoi elle avait ce regard emplis d'expériences passées. Et ça justifiait l'emploi de "jeune fille". Elle pouvait avoir vécu des dizaines d'années de plus, voire même plusieurs siècles. C'est clair que pour elle, je n'étais qu'une jeune fille. Soudain, je me sentis toute petite, comme si j'avais dix ans de moins. Je lui souris à mon tour, indiquant que je n'étais pas gênée par l'appellation, juste surprise. Elle me demanda alors si j'étais accompagnée d'un dragon. Elle l'avait entendu voler ? Impressionnant. Il fallait avoir des sens aiguisés, car il n'avait poussé aucun cri.

- Oui, en effet, c'est le mien. Blaze ! criai-je à l'attention de mon affilié.

Celui-ci, resté plus en arrière, avait capturé le papillon dans ses griffes et jetait un œil curieux à l'intérieur de sa cage improvisé. Entendant son nom, il releva la tête, et m'apercevant, il galopa jusqu'à nous. Il freina des quatre pattes au bon moment. Il avait failli percuté la panthère. Il se retrouva nez à nez... enfin museau à museau avec celle-ci. Il s'immobilisa, impressionné par la carrure de l'animal. Il n'avait jamais vu de félin aussi gros. Lui, il n'avait vu que des chats, et il était souvent plus gros qu'eux. Alors se retrouver d'un seul coup tout petit en face de ce qu'il prenait pour un énorme chat noir, ça lui faisait tout drôle. Il commença à la renifler, puis il vint frotter sa tête écailleuse à mes jambes. La musicienne se présenta formellement sous le nom de Ruka Elisabeth Figaro, tandis que son compagnon se nommait Volt. Je répondis de la même manière à son salut.

- Enchantée, moi c'est Shama Ember Scarlet Dragonfire. mais tous ces prénoms sont un peu pompeux. En général, on m'appelle Shama. Et voici Blaze, mon dragon nain.

Je révélais rarement mes deux autres prénoms. Ember, c'était le nom de ma grand-mère anglaise, et Scarlet, c'était le prénom de ma mère. En général, je préférais juste préciser mon prénom d'usage. mais puisque Ruka m'avait énoncé son deuxième prénom, je me devais d'être honnête. Blaze poussa un petit grognement. Il n'aimait pas que je précise "dragon nain". Lui il se trouvait à la bonne taille. Seulement, je doutais que tous les dragons fassent sa taille. j'avais déjà croisé d'autres dragons nains, mais jamais de "vrais" dragons, je veux dire, plus grand qu'un homme. Les gens étaient souvent surpris de voir un dragon aussi petit. Raison qui expliquait la susceptibilité de Blaze. En fait, il complexait. Mais moi je l'aimais comme il était. j'étais ravie de l'avoir pour affilié, et je n'imaginais pas ma vie autrement. ça faisait huit ans que je le connaissais, huit ans également que j'habitais sur l'île. Dailleurs, et Ruka ? La seule façon de le savoir, c'était de lui poser la question.

- Ça fait longtemps que vous habitez sur l'île ?

J'espérais ne pas paraître trop curieuse. J'avais rarement l'occasion de discuter avec des gens intéressants, alors pour une fois que j'avais une vie sociale digne de ce nom...

Face à la dénommée Ruka, je me sentais comme une petite fille devant une grande personne, comme écrasée par toutes ces années qu'elle avait vécu, et dont je n'avais aucune connaissance. Après tout, je n'avais que 23 ans, et je me doutais bien que l'existence de Ruka avait dépassé plus d'un siècle. La vie éternelle des vampires m'impressionnait. A part les Dieux, n'était immortel -du moins, face au temps. Et pourtant, curieusement, bien qu'elle soit bien plus âgée que moi, et sans doute plus forte et plus puissante, elle semblait soulagée. Mais je n'avais aucune idée de quoi. Après avoir fait les présentations, je me renseignai auprès d'elle sur le temps qu'elle avait passé sur l'île jusque là.

-Cela doit faire dix ans que je traîne ma carcasse sur l'île et c'est ici que j'ai fait la connaissance de Volt.

Ainsi donc elle était là depuis plus longtemps que moi. Fort peu étonnant, compte tenu de l'écart, certainement immense, entre nos deux âges. Et entre nos deux races également. Comme quoi, on a beau être la fille d'un Dieu, être une demi-divinité, rien n'est plus égalable que la vie éternelle. Quoiqu'il faudrait bien occuper ses journées. Sinon, moi, je deviendrais folle. Je restai un instant silencieuse, fixant l'horizon. Je m'apprêtai à parler lorsqu'elle prit à nouveau la parole. Respectueuse, je la laissai s'exprimer, plutôt que de la couper. Elle voulait savoir comment j'avais rencontré mon affilié. Une rencontre des plus banales, pourtant je pouvais comprendre pourquoi elle avait posé cette question. Les dragons étaient certainement les créatures mythiques les plus étranges et les plus méconnues. Les plus géniales et admirables aussi, mais ça, c'était mon avis personnel. Ruka s'excusa de sa curiosité, mais je lui souris et fit un signe de la main pour lui montrer que je n'étais pas le moins du monde gênée par ses questions. Et puis, c'était ça, discuter, non ?

- Pour ma part, ça fait 8 ans que je connais Blaze. En fait, je l'ai rencontré par hasard, dans les montagnes.

Je fis une petite pause, me remémorant ce jour si particulier qui avait chamboulé ma vie. Je m'assis en tailleur sur la pelouse, pour être plus à l'aise. Blaze se précipita vers moi et se roula en boule dans le creux former par mes jambes. Je repris mon récit en caressant la tête écailleuse de mon affilié.

- Je venais d'arriver sur l'île, un peu secouée, car j'avais fait un peu plus tôt ma première expérience de vol, très désagréable d'ailleurs, et en plus j'avais rencontré mon père, qui avais été absent tout le reste de ma vie. Je marchais, en direction de la ville, quand ce dragon a déboulé comme ça, en train de courir après un chat sauvage, je crois... Il m'a bousculé, a craché des flammes, et puis pouf ! on s'est lié. Je crois que ce fut le jour le plus mémorable de ma vie.

Mémorable, dans le sens "ouah, il s'est passé des truc de ouf, je pourrais jamais oublier ça !". Parce qu'il y avait aussi le jour de la disparition de ma mère, qui était inoubliable. Le jour où ma vie a basculé, le jour où ma vie est devenue un enfer. Enfin, un Tartare. Je soupirai, mélancolique. Ma mère me manquait, et pourtant, je lui en voulais de m'avoir laissée seule. ça se trouve, elle n'était même plus de ce monde. ce serait plus facile à encaisser. Au moins, elle ne m'aura pas abandonné. Je fus ramené à la réalité par la vampire -du moins, j'en étais sûr à 95%. Elle avait sorti un instrument à corde de son sac. Il avait l'air très vieux, mais était pourtant très bien entretenu. en tout cas, elle devait en prendre un grand soin. Surtout qu'il avait produit un bien joli con, tout à l'heure.

- Ouah, il est beau ! C'est un violon, c'est ça ? Il doit vous être très cher.

Je me sentais un peu ridicule. je n'avais quasiment aucune connaissance musicale, alors parler musique devant une musicienne à l'épreuve du temps, et bien, ça me faisait bizarre. Je me sentais comme une petite souris. Une toute petite souris, avec un cerveau d'escargot. J'espérais qu'elle ne serais pas indignée par mon ignorance en la matière.

Spoiler:

Moi aussi, j'aurais bien aimé avoir un objet aussi précieux. Quelque chose qui avait traversé les âges, rivalisant contre le temps et les dégâts de l'environnement. Je souris, me rappelant que je détenais deux précieuses armes. Instinctivement, je portai la main sur ma ceinture, avant de me souvenir que je les avais laissées chez moi, pour une fois. Elles m'auraient gênée pour courir, et puis, je n'étais jamais sans défense. Si j'étais en danger, il me suffisait d'invoquer mon fouet, fait entièrement d'électricité. Bien pratique. Ah, ça me faisait bizarre de me balader sans mes armes, et sans mes ailes. Pour la même raison, je les avais fait disparaître. Sinon, elles m'auraient freinée, ou bien j'aurais été trop tentée de les déployer, ce qui aurait été déloyal. Blaze me fit rire en me disant par l'esprit, de sa voix étrangement douce et grave, que personne n'oserait m'attaquer avec lui à mes côtés. Je lui donna une caresse avec tendresse, lui arrachant un ronronnement sonore. Ah, que ferais-je sans ma petite boule écailleuse ?

Je tournai la tête vers la jeune femme -façon de parler bien sûr- lorsqu'elle répondit à ma question, gardant une main sur le corps allongé de mon dragon, roulé en boule. J'haussai un sourcil : cet instrument coûtait-il donc aussi cher que ça ? Je n'avais pas le souvenir, étant déjà passé devant des boutiques de musique, d'avoir vu un violon excessivement cher. Bon, de toute manière, c'était pas donné à la base. En plus, je n'avais aucune raison d'en acheter un, et je ne m'y connaissais guère. Mais à ce point là, l'instrument de Ruka devait être d'une qualité extrême, réalisé par un artisan des plus habiles et des plus réputés. Enfin, ce n'était pas vraiment ma tasse de thé. La vampire s'étonna de parler autant. Je souris, car que je me trouvais dans la même situation.

- Bah, moi c'est pareil. Je suis pas très à l'aise avec les gens, alors je parle peu, d'habitude.

Blaze poussa un petit soupir bruyant, comme pour appuyer mes propos. Décidément, ce dragon n'en ratait pas une ! Mais il avait raison. Je n'appréciais pas les foules. Quand j'étais dans la rue, je les tolérais uniquement pour voler. Plus il y avait de monde, plus on se fondait dans l'environnement, et moins on vous remarquait. Si tout du moins on savait se faire discret. Dans un endroit où tout le monde se pressait et se bousculait, une voleuse se repérait difficilement. Mais quand il m'arrivait de faire la manche, tous ces regards que me jetaient les patients, je ne les supportais pas. C'est pourquoi, même maintenant, alors que je n'avais plus besoin d'être une criminelle pour survivre, je préférais éviter le contact avec les autres. Surtout que je ne supportais pas les regards de travers, et j'avais tendance à prendre la mouche. Comme je n'étais plus une voleuse, et que je ne risquais plus de me faire courser par les forces de l'ordre au moindre incident, j'en profitais pour défendre mes plates bandes. Je ne me laissais jamais faire. Mon interlocutrice me ramena au présent lorsqu'elle évoqua ma capacité de voler.

- Oui en effet, j'ai hérité des ailes de ma mère, une démone. C'est vrai que c'est une expérience unique. J'adore voler, car je me sens libre comme l'air...

La liberté... C'était une chose que tout le monde chérissait. Encore plus lorsque vous en étiez privé. Le seul avantage que j'ai pu trouvé à la vie dans les rues d'Angleterre, c'était cette pseudo-liberté. Je ne m'étais jamais faite prendre. Enfin si, quelques fois, mais j'avais fait fondre les barreaux et je m'étais enfuie. Je ne supportais pas les cages. Je trouvais ça criminel, de priver les gens de leur liberté. Bien sûr, il y en avait qui l'avait mérité. Mais moi, je volais uniquement pour survivre, me nourrir et nourrir les enfants sous ma protection. Cela ne méritait pas qu'on soit privé de notre liberté. Après tout, c'était ce qui définissait les sociétés d'aujourd'hui, la liberté. Liberté de parole, d'expression, liberté de pensée, liberté de religion... Blaze me lécha la main de sa longue langue fourchue. Je lui grattouillait le museau à sa demande.

- Mon partenaire veut jouer avec le votre...

A ces mots, mon affilié redressa brusquement la tête. Jouer ? Il adorait ça. Ses trois activités préférées : Manger, Dormir, et Jouer.Après venait la toilette. Il aimait bien également nager, mais pas quand l'eau était trop froide. En fait, il faisait vraiment penser à un chat parfois. Bon, à un chat sauvage. Je retirai ma main, pour lui indiquer qu'il pouvais faire ce qu'il voulait. Il bailla, libérant involontairement un petit jet de flamme. Puis il sauta gracieusement de mes jambes pour se retrouver sur l'herbe fraîche de la prairie. Il s'assit devant Volt, la tête penchée sur le côté, en remuant lentement sa queue, guettant sa réaction. Son attitude m'arracha un rire discret.

- Parfois, j'ai vraiment l'impression de m'occuper d'un enfant. Mais, pourtant, il lui arrive d'être clairvoyant.

Oui, parfois, il faisait des remarques astucieuses. Des choses auxquelles moi-même je n'aurais pas pensé. Il avait une vision différente des choses, et je trouvais cela formidable. Il détenait une intelligence différente des animaux ordinaires, mais il gardait cette capacité à sentir les choses. Franchement, avoir un affilié, c'était vraiment sympa. Je ne voyais pas ma vie sans. Je me levai pour dégourdir mes jambes ankylosées par le peu de temps que j'avais passé avec Blaze sur les genoux. C'est qu'il pesait plus lourd qu'un très gros chat. Voire même qu'un chien.

- Ça vous dirait de marcher un peu ? lui proposai-je alors.

Ruka accepta de marcher un peu. Je lui en fut très reconnaissante, car ces quelques minutes passées au sol m'avait un peu engourdi les jambes; Et puis j'aimais bien marcher. Je n'étais pas du genre à flemmarder toute le journée. En restant trop longtemps inactive, je finissais par me tourner les pouces, m'ennuyer, et au final je broyais du noir. Donc j'avais besoin d'activité, autant physique qu'intellectuelle. Et puis, cette prairie était magnifique. Je fermai les yeux et inspirai une grande bouffée d'air frais. Ce que ça faisait du bien ! Je devrais profiter plus souvent des espaces verts que m'offrait cette île gigantesque. Je me demandais comment elle pouvait flotter au dessus de la Terre comme ça ? La magie des Dieux sans doute. Et depuis combien de temps existait-elle aussi ? Bref. Ce n'était pas le moment de se les poser.

- Vous venez ? Shama, votre nom complet est trop long alors je préfère utiliser qu'un seul. Vous pouvez m’appeler Ruka.

J’acquiesçai, rejoignant la vampire qui avait pris quelques pas d'avances. Je pouvais comprendre qu'elle préfère m'appeler par mon premier prénom. Après tout, c'était celui d'usage. Ma mère, elle, m'appelait par mon petit nom, Emy. Dérivé d'Ember, mon deuxième prénom, qui était aussi celui de ma grand-mère anglaise. Personnellement, je préférais qu'on m'appelle Shama. C'est un joli nom, et j'étais heureuse que ma mère me l'ait attribué à ma naissance. Quant à Scarlet, c'était celui de ma mère. Je l'ai pris en troisième prénom après sa disparition.

- Pas de soucis, Ruka. Tout le monde m'appelle Shama.

Enfin, tout le monde... Disons les rares personnes à qui je parlais : quelques voisins, Liam et Yukina. Soit un cercle très restreint. Quand je vivais dans les rues de Londres, certains enfants m'appelaient Shama, mais je m'étais plu à m'inventer un surnom des rues : Scar. Pour les orphelins, j'avais été Scar pendant plusieurs années. Mais c'était du passé tout ça. Un passé qui ne me manquait pas. Je ne voulais pas non plus vivre dans le regret. Disons que tout ce temps passé dans la rue m'avait endurcie ; j'avais su en tirer de l'expérience. Je reportai mon attention sur l'environnement qui nous entourait, moi et Ruka. Il en ressortait une harmonie apaisante. Toute la vie était un ensemble d’équilibres fragiles, dont la rupture pouvait parfois entraîner de terribles conséquence.

- C'est vraiment beau par ici. C'est dommage que les humains sur Terre soient aveugles et passent leur temps à tout saccager.

Oui, de là d'où je venais, j'avais vu et entendu des choses. Et parfois, seules les rumeurs me suffisaient. Il m'était arrivé de traîner près de bars assez longtemps pour voir les informations sur des téléviseurs. Et ce que je voyais parfois ne m'avait guère enchanté. Les humains étaient tellement stupides. Ils s’entre-tuaient, se disputaient richesses et territoires sans se préoccuper des conséquences, ni des dommages collatéraux. Et il ne voyaient pas qu'ils détruisaient, lentement mais sûrement, l'endroit où ils vivaient. Je ne donnais pas cher de leur peau le jour où la Terre se rebellera. Et dire que les Dieux les laissaient faire ! Mais bon sang, c'étaient eux qui les avaient créé, non ? Bref. Je préférais arrêter de penser à eux, j'allais m'énerver.

- Il n'y a point d'insectes dans les environs, on sembles être les seuls personnes présente sur cette étendue végétale...

Je ne sus jamais ce que Ruka allait dire par la suite car elle fut coupée. J'entendis un grognement, une chute, entrevit des mouvements du coin de l’œil. Je réagis au quart de tour, faisant volte-face. Je portai instinctivement la main droite à mon flanc gauche, avant de me souvenir que mon épée n'étais pas là. Heureusement pour Volt, d'ailleurs, le responsable de la soudaine agitation. Je ne savais pas ce qu'il serait advenu sinon. Le cœur battant la chamade -il m'avait fait peur cet imbécile !- je me détendis. Puis je me baissai pour aider Ruka à se relever. Ce fut sans doute ce qui me sauva la mise. Je sentis un courant d'air au dessus de moi. Comme quelque chose qui volait à toute vitesse. Je fis un bon sur le côté, surprise. Levant les yeux, je m'immobilisai, tandis que Ruka faisait la morale à son affilié. Une... bestiole, aussi grande qu'un pigeon (c'est tout ce que je pus trouver pour la définir) faisait demi-tour et fonçait sur nous.

- Saleté ! criai-je.

La bestiole se précipitait sur elle. Je réagis par réflexe. Une flamme apparut dans ma main droite ; je la projetai sur la, euh, chose, qui finit carbonisée dans d'atroces crissements. Ce fut un petit bloc de cendres qui atterrit à mes pieds. Mais qu'est-ce que c'était que ce machin là ?? Une odeur nauséabonde se dégagea du cadavre calciné. Beurk, mais il était horrible, ce parfum ! Je renfilait : mais oui, un autre parfum, que je n'avais pas remarqué jusque là, se dégageait, plus prononcé à présent. Comme s'il provenait d'une plante géante. "SHAAAAAM' !!!" Le cri mental de mon affilié terrorisé me fit sursauter. Un essaim de bestiole se dirigeait vers nous. Heu, ils étaient quand même pas attirés par l'odeur de leur défunt camarade ?

- Euuuhh, Ruka ? dis-je incertaine.

La situation virait au délire, là ! D'où venaient ces saletés ? Comment avaient-elles pu exister ? Je ne savais même pas pourquoi elles s'en prenaient à nous. On avait quelque chose de différent, je sais pas moi, une couleur, une odeur ? Les autorités auraient signalé un problème de cet envergure... Blaze se précipita derrière mes jambes, mort de peur. Sentant que la situation se corsait, j'invoquai mes ailes, qui jaillirent de mes épaules. Ainsi, je serais prête à m'envoler en cas de besoin. Je me tournai vers Ruka, ne sachant que faire.