Hiketsu no Ame [PV. Chihiro Hoshiko]

L’air frais balayant doucement la forêt s’écrasa délicatement sur le visage humide de Camelia, soulevant quelques-unes de ses longues mèches dorées porteuses d’un doux parfum provenant de la fleur dont elle portait le nom. Elle ne pleurerait pas, non, le ciel le faisait à sa place. Et en un sens, pourquoi viendrait-elle à se laisser aller aux larmes si ce n’était par pure rage ? Cette réaction l’agaçait, l’humiliait, lui donnait envie de détester cet homme qui était son frère mais sans succès. Elle l’aimait. Elle aimait cet étranger qu’elle n’avait connu qu’à travers les photos, et d’une façon ou d’une autre, la haine qu’il portait aux Hoshiko l’attirait. Du masochisme ? Sûrement, mais au fond les vampires n’avaient rien de réellement humain, alors pourquoi ce genre de sentiment devraient-ils être mal vus ? Elle le savait, ils n’étaient que des animaux, à formes humaines, certes, mais à ses yeux ils n’avaient rien de tel. Jamais elle n’avait vu un homme épouser sa sœur, et étendre sa famille avec. Jamais elle n’en avait vu se nourrir du sang d’autrui. Les animaux se nourrissaient tant bien de la chaire de leurs semblables que celle des humains, se reproduisaient entre eux qu’ils fussent de la même famille ou pas.

Enfin, là n’était pas la question, et si le « Ta gueule » de son frère n’eût pour effet que de lui hérisser le poil, l’odeur du sang perlant de ses veines ne manqua pas de l’arracher à ses pensées profondes et elle riva son regard sur lui. Peu à peu, les yeux d’ordinaire d’une élégante couleur doré de la jeune femme se teintèrent d’un voile pourpre trahissant ses traits délicats de poupée, démontrant le monstre sommeillant en elle.

« Et ? »

La jeune femme laissa ses paupières se rencontrer l’espace d’un court instant, s’efforçant au mieux de recouvrer son calme. Elle n’avait pas faim, mais l’odeur du sang éveillait n’importe quel vampire, et elle n’y échappait pas. Agacée, elle se pinça l’arête du nez et rouvrît les yeux pour les river sur Chihiro, ignorant le grondement du ciel tandis qu’elle se faisait violence pour ne pas lui envoyer une bonne décharge à la tronche. Parce qu’à tous les coups il était bien plus puissant qu’elle, et elle n’avait aucune envie de se faire violemment rosser.

« Faire couler ton sang ne changera rien au fait que c’est celui des Hoshiko qui coule dans tes veines. Cette erreur est celle de nos parents, alors ne me blâme pas pour leur faute. Je n’ai pas demandé à naître dans cette famille bien que je ne m’en plaigne pas, tout comme je ne suis pas la cause de ton abandon, alors vomis ta haine à leur tronche, mais pas à la mienne. »

Elle souffla un bon coup, reprenant son calme en secouant doucement sa tête. Ok, elle regrettait amèrement ce qu’elle venait de balancer, mais qu’il lui crache son venin de la sorte alors qu’elle n’était coupable de rien l’agaçait au plus haut point. Tendue, Camelia se mît à mordiller nerveusement le bout de l’ongle de son pouce, lâchant entre deux mâchonnements :

« Excuse, j’me suis emportée. »

À terre, je ne me trouvais plus qu’à quelques centimètres de celle qui partageait le même sang que moi, celle qui avait eu les mêmes parents que moi, mais qui avait eu bien plus de chance que moi. Son visage fin, ses yeux d’un rouge écarlate me faisaient beaucoup penser à ma chère mère que j’avais pourtant aimée autrefois. Celle qui m’avait tenue dans ces bras, celle qui avait ‘embrassé’ les blessures que je me faisais lorsque je commençais à découvrir le monde qui m’entourait. Et tout cela c’était subitement arrêté, sans aucune raison possible. J’étais encore jeune, jeune et idiot : un vampire quoi. J’étais devenu invisible à leurs yeux et la psychologie voulait que je devienne le plus ignoble des enfants. Tenter désespérément de me faire remarquer, mais ils n’étaient jamais là. Cela m’avait fait beaucoup de peine, et j’en encore plus à cause du caractère que j’avais eu vis-à-vis de ceux qui ont été payés pour me soigner à leur place. La malchance les a accompagnés jusqu’au bout : j’étais affreux comme gamin et cette idée me fit frémir sous la fine pluie qui venait de s’intensifier avec le vent et les quelques éclairs qui déchiraient le ciel nuageux. La fille que j’observai d’un regard neutre ne m’énervait pas, elle inspirait plutôt une crainte voire même une jalousie profonde. À la voir, rayonnante, elle semblait épanouie, elle semblait avoir eu une vie heureuse auprès de ces parents que je reniais au plus haut point. Pourquoi elle ? Pourquoi pas moi, tout de suite ? Qu’avais-je fait pour être traité de la sorte ? Peut-être parce que j’étais un garçon ? Qui sait, je n’ai jamais su comment ils étaient : j’étais trop jeune. Je l’écoutai d’un air distrait, plongé dans mes souvenirs j’observai maladroitement le tronc de l’arbre où j’étais perché. Le sang chaud continuait à couler, se mêlant à la pluie qui la diluée et permettait de dissimuler un peu les odeurs que cela dégageait. Ainsi nous étions seuls et contre toute attente, elle s’excusa et cela me raidit d’un seul coup. Je ‘aurais imaginé beaucoup plus déterminée, mais elle semblait sage comme fille et sans m’en rendre compte, je fis quelques pas jusqu’à elle pour lui retirer la main de sa bouche « Ce n’est pas mieux pour parler comme ça ? » dis-je d’une façon détachée tout en continuant de fixer un autre endroit.

C’était ma sœur, mais comment l’aborder ? Je n’étais pas décidé à me montrer plus affectif que cela, mais je ne pouvais pas non plus la détester autant que je détestais ses parents … Enfin … Nos. Elle avait soulevé un point que je n’avais pas pris en compte alors me montrer imbécile alors qu’elle venait faire preuve de sagesse … Cela ne serait pas digne de moi. Finalement, je capturai l’une de ces mèches de cheveux d’un blond rayonnant et humide « tu es trempée » avais-je déclaré avant de la prendre par les épaules et de la guider sous l’arbre de tout à l’heure. Le mince feuillage permettait d’être un peu mieux abrité, car bientôt, des trombes d’eau déboulaient et des éclairs jaillissaient. C’était ma sœur. Pouvais-je me montrer un jour comme un véritable frère ? Finalement je me bloquai en me rappelant ce qu’elle avait dit tout à l’heure, comme quoi elle voulait m’épouser … Ce n’était pas banal, sûrement juste une farce .. Oui, oui, car de toute façon, je n’aimais qu’une seule personne …

Des excuses venant d'une Hoshiko... Camelia se gifla mentalement. Écraser sa fierté pour demander pardon ? Bien qu'il fût son frère, elle ne l'acceptait aucunement. Elle avait rarement vu les membres de sa famille s'excuser, et voilà qu'elle fût la première, certainement, à le faire. Devant son frère qui semblait décidé à la haïr et la maltraiter plus que quiconque. Finalement, elle devait bel et bien l'être, masochiste. Et au fond elle s'en fichait comme de sa première couche. Son orgueil avait pris un sacré coup, mais moins que ce qu'elle avait prévu. Soit, elle détestait s'excuser, mais il y avait eu une part de bon dans ce mot, qu'elle avait prononcé auparavant. Elle se sentait vaguement mieux, comme un peu plus légère. Sans réellement comprendre pourquoi. Les faits ne s'étaient pas envolés à l'instant où sa voix s'était éteinte et pourtant, ce fût comme si.

S'attendant indéniablement à une gifle ou autre, elle ne cilla pourtant pas lorsque son frère s'approcha d'elle et...Ne pût que lâcher un hoquet surpris lorsqu'il éloigna sa main de ses lèvres. Ses mots lui arrachèrent une moue choquée, qui ne dura que quelques instants bien qu'elle fût assez troublée par cette réaction. Son speech lui avait-il ouvert les yeux ? Ou alors le fait qu'elle se soit excusée lui avait fait comprendre qu'elle n'avait rien de mauvais en elle ? Ou presque, du moins.

Elle ne pût d'ailleurs s'empêcher de rougir lorsqu'il saisît l'une de ses longues mèches dorées entre ses doigts, constatant le résultat de l'averse sur sa personne. Encore quelque peu bouleversée, Camelia laissa son aîné la diriger sous l'arbre, les sauvant ainsi tous deux des violentes précipitations qui suivirent ainsi que de l'orage, et elle se mordît quelque peu le coin de la lèvre, cherchant une raison quelconque à cette réaction. Elle ne chercha pourtant pas pendant longtemps, préférant profiter de la présence de son frère pour apprendre à mieux le connaître, avant qu'il ne disparaisse à nouveau.

« Ne... Je voulais savoir... Je ne sais pas si c'est approprié de poser la question, mais... Comment t'es-tu senti tout ce temps ? Je ne t'oblige pas à me répondre, évidemment... Tu fais ce que tu veux. »

Non, elle ne cherchait absolument pas à le blesser, juste à l'aider, comme une sœur l'aurait fait. Le stade « épouse » viendrait après, elle avait le temps.
Croisant doucement ses bras dans son dos, elle s'appuya contre l'écorce d'arbre près d'eux, observant les éclairs animant le ciel de temps à autre, souriant inconsciemment à la vue de ce spectacle qu'elle trouvait magnifique et pourtant si dangereux.

Inconsciemment, j’avais du mal à détourner mon regard de cette jeune fille qui malgré le sang semblable au mieux qui coulait dans ses veines, elle avait l’air d’une sage fille. Tout du moins, en apparence. Après tout, les apparences étaient trompeuses et derrière cet être qui s’était excusé se cachait sans aucun doute, une bête assoiffée de sang. Comme moi auparavant. On va dire que c’était de famille et va savoir ce qu’elle avait bien pu penser après qu’elle se soit excusée … A l’époque, aucun ‘désolé’ ne sortait de mes lèvres royales, aucun merci, absolument rien. Le néant. Le fait d’avoir des personnes à mon service m’avait poussée à être ce que les Hoshiko ont toujours été : une famille ignoble et bien prétentieuse. La plupart des personnes au service de la famille avaient du mal à les supporter et disparaissaient mystérieusement lorsque les rumeurs s’ébruitaient jusqu’à leurs oreilles. Bien entendu, certains vampires leur étaient fidèles jusqu’à la mort, mais cela était rare : ils ne râlaient jamais et ne cessaient de les remercier. Pour quoi d’ailleurs ? Je n’en avais aucune idée. Comme tout vampire, ils les avaient arrachés à la lumière et s’appropriant leur sang et sans leur consentement … Moi qui aimerais tant être d’une autre race, je n’arrivais décidément par à les comprendre. Ils avaient tout pour eux : le soleil, la vie, l’espoir de mourir un jour et ainsi savourer chaque instant que leur offre la vie … Alors pourquoi ce désir d’immortalité ? Il n’y avait strictement rien d’alléchant à survivre à ceux qui nous sont chers … Se retrouver seul sans même comprendre … Devoir refaire une nouvelle vie encore et encore pour finalement être de nouveau seul, cycle continu de la vie. Je frissonnai à cette idée, je l’avais vécu durant plus de deux mille ans et je m’en étais très vite lassé. Je me rappelais encore des dernières années où je n’avais plus goût à vivre encore, ces années-là avaient été mes plus douloureuses … Et Roxel avait été là pour moi …

Je restai de nouveau silencieux, m’agenouillant, car la fatigue me gagnait peu à peu. Et oui, enfin non, je ne me faisais pas vieux mais cela faisait fort longtemps que je n’avais pas pensé autant à mon passé. Ce passé qui me hantait et voilà qu’un fantôme du passé pointait le bout de son nez sans crier garde ! Comment me suis-je senti ? Mal, très mal ! Comment pourrions-nous nous sentir bien après être littéralement abandonnés par ses parents ? Je restai assis à terre sans bouger ni ciller, observant les gouttes d’eau s’écrasants dans les flaques qui s’étaient creusés « En effet, je n’ai pas à te répondre » avais-je dis froidement, coupant court à la discussion. Le temps qui était infernal quelques minutes plus tôt commençait enfin à se tasser. Je me redressai délicatement et jetai un regard à Camelia avant de m’avancer sur le sentier qui menait droit vers la forêt « Au revoir. » avais-je finalement dit. La discussion était pour moi terminée, peut-être nous nous reverrons ? Je ne l’espérais pas, mais quelques choses me disaient que oui …

THE END