before the lights come on ♔ (haylaw)

trouble night

La fête battait son plein dans l’une des grandes salles de réception du Castle of Heart.
Pour être tout à fait honnête, Thomas ne se souvenait même plus des raisons pour lesquelles cette soirée avait été organisée. Le capitaine Thessalis l’avait pourtant briefé sur le sujet mais c’était comme si chaque mot de sa supérieure était entré par une oreille et ressorti par l’autre en un rien de temps.
Il fallait dire qu’il avait bien d’autres choses à penser que cette réception stupide où on l’avait envoyé. Stelian était toujours à l’hôpital, il s’était réveillé mais l’ange déchu ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour lui –quelque part il aurait préféré avoir sa soirée de libre et faire le guet devant sa chambre pour éviter qu’on ne cherche à finir le boulot mal fait ; ça sonnait dingue comme ça, mais il avait un peu l’impression de le devenir de toute manière –dingue.

C’était comme s’il n’était pas vraiment là ; le champagne aidant, il discutait vaguement avec les invités qui l’abordaient sans pour autant vraiment réaliser de quoi ils pouvaient bien parler, ni même à qui il s’adressait ; tout son esprit était ailleurs, quelque part entre la chambre de Keira, celle de Stelian à l’hôpital, le manoir Barrow, et la chambre d’enfant qu’il partageait avec son frère en Louisiane –troublante tornade de souvenirs doux et amers qui le laissaient dans un état second.

À un moment, le besoin de s’éloigner se fit ressentir –il prit congé des visages flous autour de lui et se dirigea vers le balcon pour prendre l’air, seul à seul avec un nouveau verre de champagne attrapé au vol sur le plateau d’un serveur. Les sourcils, froncés, le regard trouble, il fixait l’horizon sans vraiment regarder un point précis de la vue –pourtant splendide– qui s’étalait sous ses yeux.

Et puis se fut une présence, une voix familière dans son dos qui le fit frissonner et le força à se retourner. Sans trop qu’il sache pourquoi –dans le doute il préféra ne pas se poser trop de questions et blâmer l’alcool qui lui montait lentement mais sûrement à la tête– il se sentit comme chavirer quand son regard se posa sur la silhouette de Haylei dans sa robe de bal, belle à se damner et pourtant toujours semblable à la jeune fille qu’il côtoyait.
Thomas eu un pincement de culpabilité au cœur en se rappelant que cela faisant très longtemps qu’il ne l’avait pas rappelée. Avec la réapparition de son frère dans sa vie, la dispute avec Nathanaël, le travail, l’accident –il avait fini par laisser à Keira le soin de se débrouiller toute seule lorsqu’il devait s’absenter momentanément et s’était rendu compte qu’elle semblait avoir moins besoin de lui qu’il n’avait besoin d’elle. Et rappeler Haylei lui était complètement passé au-dessus de la tête.
Il se sentait drôlement bête sur le coup.

« Hey, il souffla dans sa direction après avoir vainement cherché quoi dire de plus intelligent. Qu’est-ce que tu fais là ? »

trouble night

Cela ne faisait que quelques mois seulement qu’ils ne s’étaient pas revus, pourtant Thomas trouvait quelque chose de changé chez la jeune fille –elle lui semblait plus posée dans ses attitudes, plus mature presque. Il n’aurait su dire si c’était le fait de ne pas l’avoir vu pendant longtemps qui lui provoquait cette sensation ou si elle avait réellement pris de l’assurance en tant qu’adulte pendant toutes ces semaines ; ça le troublait subitement.
Comme si on voulait l’enfoncer encore plus dans l’idée que tout le monde changeait quand il n’était pas là.

« C’est une soirée mondaine, je suis une Harrington et j’ai pas pensé suffisamment tôt que j’ai du travail à la maison. Je pensais pas qu’il fallait plus d’explications que ça. »

Thomas la suivit du regard lorsqu’elle s’approcha de la corniche où il était appuyé ; la brise du soir charriait dans l’air un léger parfum de fleur –le sien, il songea– et si les effluves à cinq briques qui se mélangeaient toutes entre elles à l’intérieur lui tiraient sur le cœur, il ne trouvait pas ça tout à fait désagréable dans de telles conditions.
C'était même l’inverse à vrai dire.

« C’est plutôt à toi que je devrais poser la question. »

L’alcool ayant fait le boulot pour le rendre plus lent à réagir, Thomas cligna des yeux en fixant la jeune femme pendant une seconde ou deux avant de se réveiller.

« Ah, le boulot. Ma supérieure a décidé de m’envoyer faire le chien de garde pour m’emmerder je pense –nouvelle gorgée de champagne, un ricanement éraillé résonna au fond de sa gorge– j’imagine qu’elle n’a pas apprécié que j’déserte ces derniers temps. »

Lorsque la raison de sa désertion lui revint à l’esprit, Thomas n’avait subitement plus du tout envie de rire –son corps se crispa de nouveau, tendu comme un arc, et il vint se pincer l’arrête du nez en soupirant.

« Désolé… j’ai un peu trop bu, j’parle trop –c’était sûrement moins le champagne que les deux verres de whisky vidés d’un trait avant de partir qui lui jouaient des tours. Comment ça va toi, depuis l'autre fois ? »

Il baissa les yeux vers elle et se laissa happer par l’or étincelant.
C’est qu’il était fatigué aujourd’hui Thomas –et vulnérable, quand bien même il refusait de l’admettre. Mais Haylei dégageait ce quelque chose d’aussi rassurant qu’apaisant qui lui rappelait les petits-déjeuners tranquilles à la maison et la sérénité d’une journée sans heurts ni complications.

trouble night

« Ça va. J’ai un travail dans un magazine de mode à côté de mes études.
— Eh bien ! fit-il de sa voix légèrement éraillée par l’alcool, moqueur mais un sourire doux étirant ses lippes, ça y est on ne t’arrête plus ! »

Le rythme effréné de sa vie récemment le poussait au sarcasme –quoiqu’il n’avait jamais eu besoin d’excuse pour ce faire auparavant– mais au fond, Thomas se réjouissait qu’Haylei puisse vivre une vie confortable et tracer son chemin sans le voir parsemé d’obstacles, de mauvais choix et d’imprévus comme ça avait été le cas pour lui. Elle était jeune, elle méritait mieux que ça, et c’était une bonne chose que sa vie semble aussi banale que ce qu’elle semblait penser à en écouter le ton de sa voix –Thomas, il aimerait bien vivre ça.

« Et toi alors? Qu’est-ce que tu veux dire par déserté ?
— Pff, il soupira dans un ricanement désabusé, ça risque d’être compliqué à expliquer en détails, t’as un mois ou deux pour m’écouter ? »

Il ricana encore, un peu dépité de toujours devoir se parer d’ironie pour réussir à affronter les sujets sensibles et bu une longue gorgée de champagne avant de secouer la tête et se jeter à l’eau.

« Disons que ma vie a été plutôt mouvementée dernièrement. Problème de famille –il fit une grimace en prononçant ces mots car ça semblait dérisoire à entendre comparé à la réalité des choses. J’ai mis plein de choses de côté et tout m’est retombé dessus en même temps et maintenant je galère à ramasser les pots cassés. »

Il se racla la gorge et termina sa flûte.

« Enfin bref, je t’ai pas donné signe de vie non plus, désolé. Ça te va bien ta robe, t’es belle comme ça. »

Il lui fallut un instant pour se rendre compte qu’il enchaînait les pensées à voix haute sans filtre ni transition. Il ouvrit la bouche précipitamment comme pour s’excuser ou se sauver du puit sans fond de ridicule dans lequel il s’enfonçait de plus en plus, mais abandonna avant que le moindre son ne s’échappe de sa gorge et un rire fatigué mais sincère lui vint à la place.

« Quel bal de merde n’empêche, sans offense mais je comprends pas les bourgeois qui trouvent ça entraînant. »

Son regard glissa en direction de la jeune fille qui semblait d’accord avec lui et une idée lui vint à l’esprit.
Il ne devrait pas lui en faire part ; ça ne serais pas correct, on se poserait des questions, et elle ne méritait certainement pas de passer le reste de la soirée en compagnie d’une loque cynique comme lui à l’heure actuelle. Mais Thomas n’était pas correct, se foutait de l’avis des autres sinon de ceux qu’il aimait, et rien n’engageait la jeune fille à accepter de toute façon.

« On se tire ? »

Tout semblait plus facile à dire quand on avait atteint le même niveau de ras-le-bol que lui.