Golden tragedy ❞ (israemma)

Parfois, il arrivait à Emma d'avoir besoin de se retirer dans des univers exclusivement féminin.
Son quotidien était majoritairement composé d'hommes -que ce soit dans son milieu professionnel, comme dans sa vie personnelle- et bien qu'elle y ait toujours trouvé sa place, il y avait parfois des moments où elle avait simplement besoin d'un pause, d'un environnement moins anxiogène dans lequel elle pouvait se laisser plus de libertés sans craindre de s'attirer les foudres d'un parti ou de l'autre.

En recevant l'invitation à la réunion réservé aux femmes puissantes des hautes sphères de Skyworld, Emma s'était dit que l'événement tombait à point nommé. Elle avait bien trop peu à faire au travail pour se soucier d'une soirée sacrifiée pour lui changer les idées, et sans excuse valable il n'y avait aucune raison de décliner l'invitation.
D'autant plus qu'elle n'assistait plus à ce genre de soirées depuis peu.

Elle avait opté pour un pantalon de tailleur noir et d'une chemise blanche plus habillée que celles qu'elle portait dans la vie quotidienne, et attacha sa longue chevelure blonde dans un chignon serré. Le tout semblait lui ajouter quelques années de plus, ce qui était tout à fait l'effet escompté.

Emma n'avait plus participé depuis un moment à ce genre d'événements, il était primordial pour elle de montrer quels étaient les changements qui s'étaient opérés dans sa vie -à commencer par sa prise de maturité.

Et quand on vint lui adresser la parole, c'était d'abord pour la féliciter pour les prouesses juridiques qu'elle avait accomplies -ils n'ont ce qu'ils méritent, c'était très bien joué de ta part. Ensuite, venait la réflexion sur son nouveau look -tu n'avais pas besoin de tes cheveux pour te détacher de toute manière. Enfin, le petit détail qui n'échappait à personne -tu es radieuse, quel est ton secret ?
Pour la première fois depuis longtemps, tout allait bien dans sa vie.

Elle salua chacune des femmes qui croisait sa route, et Sofia -la richissime héritière- en fit partie. Elle ne connaissait pas celle qui se tenait derrière elle en revanche, et fut soulagée lorsque leur connaissance commune les introduisit.

— Emma-Serah Hottenberg. Tout le plaisir est pour moi. »

Emma chercha, au fond de sa mémoire, quel lien il pouvait y avoir entre Israe Frescobaldi et l'une de ses connaissances, avant de se souvenir d'où elle connaissait ce nom.

— C'est donc à toi que je dois la survie de mon frère cadet ? »

Eden ne se fournissait plus que chez elles depuis qu'il avait développé son goût en matière d'hémoglobine, et que le sang de qualité moyenne ne lui convenait plus.

— Je ne pensais pas le dire un jour, mais merci de maintenir Eden en vie. »

La fée esquissa un léger sourire, mais n'arriva pas à faire plus. Elle était fatiguée de l'hypocrisie qui dégoulinait des façades dorées du monde dans lequel elle avait évolué.
Emma-Serah regardait cette jeune femme qui se tenait devant elle en se disant qu'elle l'avait déjà vue à plusieurs reprises, mais pas dans la réalité. Devant son miroir, il n'y a pas si longtemps. À l'époque où elle avait encore quelque chose à tirer des gens qui régissaient ce monde.

— Je n'avais jamais prêté attention à ces réceptions jusque maintenant. »

Elle visait d'autres classes, d'autres gens, à l'époque. Elle cherchait la reconnaissance et le respect d'un autre type de personnes -majoritairement des hommes, plus faciles à manipuler- en étant tout ce qu'ils voulaient qu'elle soit.
Mais elle en avait marre, Emma, de vouloir faire plaisir à tout le monde. Alors elle avait décidé d'arrêter de mentir, à eux, et surtout à elle-même. Et cette philosophie de vie faisait partie de ce qui la rendait si radieuse et en bonne santé, dernièrement.
Ça, et sa vie personnelle particulièrement épanouie ces derniers temps.

— J'ai décidé de revoir mes critères en matière d'apparitions publiques, et je me suis dit que celle-ci méritait une seconde chance. »

Beaucoup disaient d'Emma-Serah qu'elle était prétentieuse, mais elle avait appris à passer outre les critiques qui pouvaient lui être faites, car aucun de ceux qui les faisaient ne la connaissaient suffisamment pour pouvoir se permettre d'émettre un jugement à son égard.

— Peut-être que vous pourriez m'en dire plus au sujet de ces réceptions. Est-ce qu'elles sont aussi inclusives qu'elles ne le prétendent ou est-ce seulement une manipulation des grands hommes pour mieux manipuler leurs femmes ? »

Ce qu'avait appris Emma dans son milieu professionnel, c'était regarder au-delà de ce qui était visible, ne jamais s'arrêter aux apparences et surtout ne jamais se constituer de zone de confort sous peine de devenir aveugle à tout ce qui se trouvait à l'extérieur de cette bulle.
Elle avait beau être mignonne, Israe, elle n'en restait pas moins un mystère qu'Emma était prête à résoudre au cours de cette soirée.

Elle leva son verre en guise de réponse. Emma était toujours prête à parler d'elle en toutes circonstances, mais ne le faisait désormais que lorsqu'on lui demandait. Elle avait toujours aimé étaler ses connaissances, sa supériorité intellectuelle et sociale ; mais depuis peu, elle avait appris à trier les informations, à faire attention à ce qu'elle confiait et surtout à qui elle se confiait.

— Je suis consultante pour la police depuis un peu moins d'un an. »

Emma pensa au chemin qu'elle avait parcouru depuis le début de ses études jusqu'à aujourd'hui, et se mit à sourire en pensant à quel point elle s'était éloignée de ses ambitions de base.

— C'est loin de ce j'avais planifié en m'engageant dans le secteur juridique mais c'est ce qui arrive quand on ne peut pas prévoir à l'avance toutes les petites surprises que nous réserve la vie. »

Au fond, elle en était presque reconnaissante aux aléas qui avaient forgé son parcours. Les décès, les départs et les retours qui étaient survenus dans sa vie au cours des dernières années -des derniers mois- avaient eu un impact considérable dans sa vie, mais elle n'avait pas assez de recul pour juger si l'impact avait été positif ou négatif.

— Tu as une idée de ce que tu veux faire, dans un futur proche ? »

Elle n'était pas sûre d'avoir un jour rencontré une femme comme elle, et était curieuse de savoir si c'était le cas de celle-ci.

Emma savait reconnaître une femme ambitieuse quand elle en voyait une -et Israe faisait partie de celles-là. Elle était jeune, cela se voyait dans ses traits, mais elle avait quelque chose dans le regard -détermination et maturité- qui laissait penser que ses préoccupations étaient loin d'être celles des autres filles de son âge.

Pour la première fois depuis le début de la soirée, son sourire atteignit ses yeux, et pourtant elle ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu désolée pour cette fille. Il n'y a pas si longtemps, elle-même s'était trouvée dans la même position que la Frescobaldi, à chercher à se dépasser pour finalement oublier de profiter du moment présent, et de ce que la vie était prête à lui offrir.

Emma prit un verre et le leva dans la direction d'Israe.

— Puisse cet avenir être prospère, dans ce cas. »

Le cristal tinta et Emma s'autorisa mentalement à se laisser aller pour ce soir. Elle n'avait pas d'obligations -ni professionnelles ni personnelles- et relâcher la pression des dernières semaines, durant lesquelles tout s'était enchaîné -l'hospitalisation de James, son nouveau poste au sein de la police, ses "réconciliations" avec Matthew et Judith, son engagement avec Stelian- était ce qu'elle comptait faire ce soir, dans cet environnement sécurisant.

Les deux femmes furent rapidement rejointes par un nouveau groupe qui ne fit que s'agrandir au cours de la demi-heure qui suivit. Si les conversations furent très superficielles au départ, les choses ne tardèrent par à glisser vers un terrain plus personnel, à mesure que les coupes de champagne se vidaient et que toutes comprenaient qu'elles étaient toutes sur le même plan, professionnellement parlant -prospères et débordantes d'ambition.

— Bon... tout ça on le savait déjà, dis nous des choses qu'on ne sait pas ! Celle-là, elle devait avoir l'alcool aussi mauvais qu'Emma. Emma-Serah. Les rumeurs disent que celui qui partage ton lit est aussi celui qui partage ta vie. »

Emma se laissa tomber gracieusement dans le sofa et invita ses nouvelles copines d'un soir à se mettre autour d'elle.

— Ah oui ? Elle se tourna vers chacune des femmes et éclata de rire. Ça fait longtemps qu'elles n'avaient pas parlé de moi. »

Elle se mordit la lèvre sans arrêter de sourire et se tourna vers Israe. Cette dernière était ce qu'on s'accordait à appeler une "beauté naturelle", celle qui ne demandait pas d'efforts. Emma ne faisait pas partie de cette catégorie-là -elle était belle, mais pas plus qu'une autre femme dans son genre. Ce qu'elle avait de plus, c'était un éclat, un charme et une véritable capacité à ne montrer que ce qu'elle voulait que les autres voient chez elle.

— Je suis sûre que toi, tu fais tomber tout le monde sans efforts. »

Elle avait beau essayer de tenir l'alcool, elle ne pouvait rien y faire.
Et quand l'une d'entre elles acquiesça à ses dires, en gratifiant l'un remarque d'un "je suis jalouse" désespérer, Emma ne put s'empêcher d'éclater de rire -un vrai rire, comme cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas fait en public.