──Les muscles tendus, la nuque qui craque. Ma colonne vertébrale se courbe, le poil hérissé et les crocs dehors. La lune était haute, cette nuit - il devait être tard. Je ne savais pas combien de temps cela faisait que nous errions, toi et moi, mais nous errions. Dans des rues rendues impraticables par la pluie et la boue, dans l'obscurité et le brouillard. Qu'est-ce qu'on faisait là, toi et moi, à se raconter les mêmes histoires ? Qu'est-ce que t'avais encore fait, qui t'avais tué, cette fois ? A quel pauvre bougre t'avais retiré la vie ? C'était ton passe-temps, tu les mangeais même pas. T'avais pas faim, t'avais pas soif, tu les tuais parce que c'était comme ça. Tu te nourrissais de leur terreur, de leurs sanglots, tu te nourrissais de leur malheur et leur détresse quand venait le coup fatal et que tu leur arrachais leur identité - leur visage.
──Il faisait chaud et humide et même l'obscurité de la nuit n'avait pas suffit à refroidir l'air qui nous étouffait. Qu'est-ce qu'on faisait là, toi et moi, à lui grogner dessus, à ce monstre aussi moche que toi ?
──Il avait pas vraiment de regard mais il sentait mauvais et l'odeur on connaissait bien. C'était notre atout - et son odeur à lui puait la mort. Il avait des cornes sans être un cerf, il avait des os et presque pas de peau, parfois de la peau et pas d'os. Il était un monstre comme on en était un, il était laid comme on pouvait l'être. C'était ton ennemi, celui-là, tu le sentais dans son aura. Alors t'avais activé la tienne, dans l'espoir de lui faire peur, de le faire fuir pour mieux lui arracher la tête. Sauf qu'il était resté devant toi et que t'étais sacrément handicapée pour t'oser à te battre - c'est clair, être enceinte de huit mois, c'était un handicap.
──Alors tu grognes, tu grognes parce que t'espères qu'il comprend le danger - mais le danger pour lui c'est de reculer, il doit l'avoir compris, parce qu'il s'en va pas. Toi t'es dangereuse, parce que tuer tu connais bien, parce que la vie c'est pas important, parce que tu lui arracherais bien le cœur si tu savais pas qu'il te rendrait la pareille. Alors tu grognes, tu hérisses et tu le regardes de tes yeux sanglants, brillants. Tu espères mais il se bouge pas.
──Tu t'approches. Un pas. Deux. Tu as peur, mais tu t'en fous. Lui, s'il approche, c'est tes crocs dans sa chair putride qui lui arracheront l'envie de se battre. Lui, s'il s'approche, t'as peur de pas faire le poids avec les kilos de trop que t'as dans le ventre. Alors toi, tu avances. Parce que lorsque tu as peur, tu deviens violente. Alors arrivée à un mètre de lui, tu t'apprêtes à bondir, toutes griffes sorties. Tu t'apprêtes à ce qu'il te contre - à ce qu'il t'arrache la peau. Mais t'es prête, et tu bondis.