Baby look what you've done to me. ❥ (judymatt)

Dix jours seulement s'étaient écoulés et pourtant Matthew avait l'impression d'avoir vécu l'équivalent de toute une vie. Il avait repris le travail immédiatement, et personne ne s'était étonné du manque de sommeil qui se lisait sur son visage -car dans le milieu, ça arrivait même aux meilleurs.
Il avait passé la semaine chez Dante, et les deux comparses avaient terminé le week-end dans une chambre d'hôtel trop grande pour deux, l'alcool et la cocaïne plein le sang, avec pour seule compagnie l'un et l'autre.
Et tout ce temps, il n'avait pas pas arrêté de penser à Judith. Parce qu'il n'y avait personne d'autre qu'il voulait éviter de voir plus qu'elle, mais également personne d'autre avec qui il aurait préféré être.

La deuxième semaine avait mieux commencé que la première. Petit à petit, il s'était mis à aller mieux -pas bien, seulement mieux. Il n'avait plus besoin de prendre une cuite pour dormir, n'était plus en proie à des terreurs nocturnes -c'était une tare de famille, qui se manifestait en temps de crise chez lui- chaque soir, et il avait repris sa vie en main, comme chaque fois que quelque chose lui arrivait.

Le plus difficile avait été de bloquer son numéro, voir son télephone bloquer des messages qu'il mourait d'envie de voir, mais que son meilleur ami lui interdisait de faire de peur qu'il ne rechute pour repartir pour un tour. Dante avait récupéré ce qu'il restait de Matthew et l'avait remis sur pieds, mais Judith avait-elle quelqu'un comme lui de son côté, ou était-elle seule ?
Elle était seule, et Matthew avait mis dix jours pour le réaliser.

C'était peut-être ça qui avait fait le déclic. Et qui l'avait poussé à enfin faire un pas vers elle, sans ouvrir un seul de ses messages de peur de rechuter.

« 20h au Rialto. »

Il avait réservé une table et était arrivé pile à l'heure, directement depuis l'agence. Lorsque le serveur le conduisit jusque l'emplacement privatisé qu'il avait demandé, il put constater que Judith était -pour une fois- en avance, et dans un tel état qu'il fut forcé de s'arrêter quelques secondes avant d'entrer dans la pièce.

— Bonsoir.

Il s'installa en face d'elle, sans la quitter des yeux, cherchant ce qui avait changé -beaucoup- et ce qui n'avait pas bougé -très peu.
Était-ce lui qui l'avait mise dans cet état ?
Une pointe de culpabilité lui pinça le cœur, et il détacha son regard d'elle.

— Je n'ai ouvert aucun de tes messages. Ni écrits, ni vocaux.

Et parce qu'il lui en voulait encore, il espérait qu'elle comprendrait.

Il avait mal au coeur de la voir comme ça, mais ne put se résoudre à le montrer. La blessure était encore un peu trop fraîche, et une partie de lui espérait qu'elle sente elle aussi à quel point cela pouvait faire mal. Pas pour qu'elle paye, simplement pour lui montrer ce que ça faisait que de se faire arracher le coeur et devoir se démmerder pour le recoller.

Il eut un rire léger -nerveux- et pianota des doigts sur la table.

— Ce n'est pas que je t'en veux... Il prit une grande inspiration et ne bougea pas de sa place. J'ai la haine contre toi.

Sa phrase resta en suspens dans l'air pendant quelques secondes avant que le serveur ne vienne pour leur proposer à boire. Jugeant qu'il avait suffisamment bu cette semaine, Matthew commanda une bouteille d'eau gazeuse.

— À quand remonte la dernière fois que tu as mangé, Judith ?

S'il n'avait pas eu Dante, sans doute Matthew aurait lui aussi oublié de manger. Il avait été forcé à chaque fois, et c'était la seule chose qui le maintenait debout devant elle ce soir. Judith en revanche, était dans un état dans lequel Matthew ne l'avait jamais vue auparavant.
Elle était faible, et il n'était pas sûr de vouloir en profiter.
Alors qu'une semaine auparavant, il l'aurait fait sans hésiter.

Ah, ils avaient décidé de ne pas s'épargner, ce soir.
Ils ne l'avaient jamais fait, en réalité. Mais le calme de la discussion, et la tension qui régnait dans la pièce tendait à rendre la situation encore plus pesante. Il prit son verre dans une main et vida son verre -un réflexe qu'il avait eu le temps d'adopter visiblement- en s'étonnant presque du goût fade qui lui envahit la bouche.

— Je ne pouvais pas me permettre d'aller mal. J'avais pas mal de travail cette semaine.

Il baissa les yeux vers la carte et réalisa qu'ils étaient déjà venus ici plus d'une fois. Ce n'était pas leur restaurant privilégié, mais il les avait dépannés plus d'une fois lorsqu'ils avaient décidé de sortir à l'improviste pour un dîner en tête à tête dans un terrain neutre.

— Je n'ai pas réservé une table pour manger seul.

Lui non plus n'avait pas spécialement faim, mais il allait se forcer à le faire, si c'était la seule façon qui lui restait de s'assurer qu'elle allait se nourrir. Alors que le serveur patientait à côté de la table, assistant sans aucun mot à l'étrange échange qu'ils venaient d'avoir, Matthew se tourna vers lui pour lui commander deux plats -le plat de viande pour lui et celui de poisson pour Judith.

— ... et ce sera tout.

Il termina sans lâcher Judith du regard, lui intimant de ne pas protester même si elle avait quelque chose à dire sur le sujet. Le serveur finit par les laisser seuls, et si Matthew en croyait les temps de cuisson indiqués sur la carte, il devrait être de retour dans cinq minutes.

— Tu vas finir ton assiette et ensuite on discutera de choses sérieuses,
deal ?

Ce n'était pas exactement de cette façon qu'il imaginait leurs retrouvailles. Toute leur relation avait été explosive, et il avait du mal à se reconnaître -à les reconnaître. Ils avaient l'air tous les deux exténués, comme si l'absence de l'autre les avait drainés de toute envie de vivre.
Matthew n'était pas le seul à souffrir de cette absence, et il en prenait peu à peu conscience.
Alors tant pis s'il était dur, tant pis si cela devait se terminer sur une note amère. Judith et lui allaient régler leur comptes ce soir, et il n'avait jamais été aussi peu sûr de lui.

De temps en temps, Matthew se désintéressait de son assiette pour observer Judith, feignant de contrôler si elle était réellement en train de se nourrir, alors qu'il était clairement en train de la regarder, elle.
Et ce qu'il voyait ne lui faisait pas plaisir. Il n'aimait pas voir les cernes sous ses yeux, ni la fatigue qui creusaient ses joues. Il n'aimait pas voir ses yeux rougis et gonflés à force d'avoir pleuré -c'était étrange, de l'imaginer. Il n'aimait pas la voir amaigrie par la peine, et il aimait encore moins le fait que tout ça, c'était sa faute à lui.
Il n'aimait rien de cela, parce qu'il l'aimait, elle.

— Ce n'est pas mon genre de me mettre en colère pour rien.

Contrairement à toi. Mais ça, il ne le lui dit pas. Au lieu de ça, il posa ses couverts définitivement, en ayant mangé seulement la moitié de son plat. De toute façon, lui non plus n'avait pas beaucoup d'appétit dernièrement

— Judith, écoute...

Il posa son verre d'eau et attendit qu'elle ne lève les yeux dans sa direction.

— J'ai accepté de te voir parce que j'estime aller mieux, et je pensais que ce serait ton cas aussi.

Bien sûr qu'il avait pensé à elle pendant ces dix jours. Seulement, il avait estimé que pour leur bien à tous les deux, ils avaient besoin d'espace. Et si ça avait marché pour lui, cela ne semblait pas avoir eu le même effet sur elle.

—Te voir comme ça ne m'apporte aucune satisfaction.

Au contraire, il détestait ça. Il s'en voulait, presque, mais il ne pouvait pas lui dire car elle était déjà suffisamment fragile, et ce n'était pas dans ses intentions de lui embrouiller l'esprit en lui donnant un espoir qu'il n'était plus sûr d'avoir.

— Mais ça n'enlève rien au fait que je t'en veuilles encore. Donc j'espère que tu comprends pourquoi je ne peux pas être celui qui va te rassurer cette fois.

Ce n'était pas de la pitié, parce qu'il tenait encore trop à elle pour éprouver un tel sentiment à son égard. Mais ce n'était pas non plus de l'inquiétude, car Matthew Harrington était entraîné à ne pas se laisser aller à montrer trop d'empathie, pour éviter d'en souffrir à cause de son don trop développé.
C'était juste normal, de prendre soin de ceux qu'on aime. Même s'ils nous ont fait du mal.

— Je sais que tu ne penses pas toujours ce que tu me dis. Je t'aurais quittée bien plus tôt si je n'en avais pas conscience.

Ses mots étaient durs, il le savait. Mais avait-il le choix ? Devait-il la ménager ?
Recommencerait-elle la prochaine fois ?
Y aurait-il une prochaine fois ?

— Mais c'est fait maintenant, on ne peut plus revenir en arrière.

Il essaya de ne pas penser aux fantasmes qu'il avait eus dans ses moments d'ivresse totale, où il les avait aperçus au loin, avec cet enfant qu'elle leur avait égoïstement retiré dans un pur élan d'égoïsme. Il se concentra plutôt sur la douleur qui l'avait envahi à son réveil, quand il pensait qu'elle lui avait retiré tous ses droits.

— Tout ça... Il eut un petit geste de la main. Pourquoi tu ne t'en es pas rendue compte avant ?

Matthew eut une expression douloureuse sur le visage, et chercha les mots à mettre sur ce qu'il ressentait.

— Pourquoi est-ce que tu as attendu que je me barre pour réagir ?

Est-ce qu'elle avait conscience de l'état dans lequel ses conneries les avait mis ?