Baby look what you've done to me. ❥ (judymatt)

Matthew avait toujours su contrôler son don d'empathie. Depuis qu'il était petit, Matthew était capable de l'éteindre et le rallumer, comme s'il était doté d'un interrupteur sur lequel il pouvait appuyer à sa guise.
Actuellement -et depuis plus d'une semaine- il l'avait éteint et oublié.

Ainsi, quand elle lui avoua avoir eu le cœur brisé, il n'eut d'autre choix que de faire comme tout le monde et la croire sur parole.

Lui non plus, ne savait pas comment elle pouvait réparé ce qu'elle avait fait.
Mais il ne le lui dit pas, pour la simple et bonne raison qu'il ne voulait pas admettre que pour une fois, ce n'était pas lui qui allait trouver une solution.

Au lieu de ça, il préféra se taire.

— Je te raccompagne.

Le voiturier lui ramena sa voiture -celle de Dante- et il fit comme à son habitude ; il ouvrit la portière avant et attendit que Judith s'y installe. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'elle ne décide de s'exécuter, et le trajet se déroula dans le silence le plus total. Il avait les yeux rivés sur la route et les mains crispées autour du volant.

Il ne savait pas bien ce qu'il lui avait pris, ce n'était pas comme s'il était obligé de le faire. Ce n'était pas comme si c'était son devoir. Mais l'avait fait quand même, car une partie de lui ne pouvait définitivement pas laisser les choses se terminer comme ça.

Pendant une seconde, Matthew pensa qu'il n'était peut-être pas une bonne idée de monter avec elle dans leur appartement. Mais il la suivit quand même, en silence, comme si c'était naturel et comme si c'était la chose à faire.

Il ne lui dit pas pourquoi il fit cela -il n'en n'était même pas sûr lui-même.

— J'ai réalisé quelque chose.

En entrant dans l'appartement, c'était comme si rien n'avait bougé. L'équipe de ménage était bien sûre passée après leur soirée, et tout avait repris sa place comme si rien ne s'était passé.

— Chaque fois qu'on doit parler de choses sérieuses, tu me reproches la même chose. Peut-être que le problème ne vient pas de moi, ni de toi.

Ils étaient dans le salon, comme la dernière fois qu'il avait mis les pieds dans cet appartement. Et pourtant, cela ne le ramena pas dix jours en arrière, car il semblait que c'étaient deux personnes différentes qui se trouvaient à leur place.

Elle attendait peut-être qu'il explicite, ou alors ne le voulait-elle pas.

— Je ne sais pas, Judith... peut-être que c'est pour ça que ça ne marche pas.

Il ferma les yeux et prit son visage dans une main, incapable de croire ce qu'il allait dire.

— Peut-être que nous deux, c'est ce qui ne marche pas.

C'était irréel, de s'entendre dire ça. Il ne le pensait pas, alors pourquoi faisait-il cela ?
À la seconde où il avait émis l'hypothèse, ses mots lui parurent complètement stupides et dénués de sens.
Comme quoi il n'y avait pas qu'elle pour dire des choses idiotes.

Quelle était la différence entre celle-ci et les autres fois ? En quoi cette fois était-elle plus grave que les autres ?
Bien sûr il y avait le fond, mais cela ne changeait pas grand chose aux yeux de Matthew, qui était arrivé au stade où il se demandait bien où ils pourraient aller s'ils se remettaient ensemble.

— Je sais que tu pensais bien faire, mais je crains que ce soit justement ça le problème, et-

Il s'arrêta là, la gorge nouée par la vision qu'il eut de la femme qu'il aimait encore craquer sous ses yeux. Il fit un pas en avant et s'arrêta avant de poser les mains sur elle. Avait-il encore le droit de faire ça, après tout ce qu'il lui avait dit ce soir ?

— On aurait dû faire ça ensemble. Tu n'étais pas obligée de le faire seule.

Sa voix se brisa de manière infime, sur la fin de sa phrase. Depuis aussi longtemps qu'ils se connaissaient, Matthew n'avait jamais vu Judith pleurer. Et à en croire l'état dans lequel elle se mettait, cela ne devait pas lui être arrivé depuis une éternité.

— Je t'aurais fait changer d'avis, ou peut-être pas. Est-ce que tu vois où ça nous mène, de ne pas se parler ?

Il fit un nouveau pas jusqu'à se trouver juste en face d'elle, en posa une main sur sa tête baissée. Matthew lui caressa les cheveux, comme il le faisait à sa soeur quand elle était victime de terreurs nocturnes, car c'était le geste le plus rassurant qu'il pouvait le faire tant qu'il ne savait pas si elle allait l'accepter.

— À qui tu peux faire confiance, si tu ne peux pas me faire confiance, à moi ?

Il ne savait pas bien ce qu'il était en train de faire. À vrai dire, il avait pris conscience tout récemment de la toxicité de la relation, à quel point ils étaient dangereux l'un pour l'autre autant dans leurs comportements que dans leurs paroles. Il avait conscience de cela et on avait cessé de le lui répéter, et il n'avait rien voulu entendre.
Aujourd'hui encore, il ne voulait rien entendre.

Comment aurait-il pu ? Les battements de leurs coeurs qui battaient à l'unisson -qui battaient à nouveau- résonnaient dans ses oreilles, et il lui semblait n'entendre plus que cela. Son corps mouva sans qu'il ne se rende compte, pendant qu'il entourait Judith de ses bras.

— Je sais.

Il enfouit sa tête dans ses cheveux, s'imprégnant d'une odeur qui lui avait manquée et qu'il avait eu peur d'oublier. Et il se demanda comment l'idée avait pu ne serait-ce que lui traverser l'esprit.

— J'ai été trop dur avec toi.

Matthew était conscient qu'il avait aussi sa part de responsabilité dans cette histoire. Elle n'était pas la seule à devoir se blâmer bien qu'il estimait avoir déjà abattu ses cartes sur la table la dernière fois. Il essaya de se rappeler ce qu'il lui avait dit, mais il lui semblait maintenant que ses propres paroles n'avaient ni queue ni tête.
Il ferma les yeux et se laissa doucement aller contre elle, pendant qu'il avait inconsciemment commencé à la bercer pour calmer ses pleurs.

— J'aurais aimé que ça marche mieux que ça.

Il l'embrassa dans les cheveux comme il avait l'habitude de le faire. Comme s'il ne pouvait pas empêcher le naturel de revenir. Cela l'avait manqué, de ne pas l'avoir dans ses bras à son réveil, et avant de se coucher.
Il n'avait pas envie de la quitter. Pas maintenant, ni jamais.

— Je te fais du mal, j'en suis désolé.

Il serra sa main dans la sienne quand Judith glissa ses doigts entre les siens. Leurs contacts répétés lui avaient manqués, lui qui s'était habitué à l'avoir à sa disposition, et à être à la sienne. C'était leur façon de communiquer quand les mots ne suffisaient plus, quand parler était trop compliqué car ils se creusaient la tête pour mettre des mots sur ce qui était indescriptible.
Les gestes avaient toujours parlé plus que les mots. Ce n'était pas plus simple, seulement plus évident.

— Je ne veux pas te quitter, mais je le ferai si c'est mieux pour nous.

Il posa son front sur le sien et ferma les yeux.
Est-ce qu'il lui en voulait encore, maintenant ? Probablement. Est-ce qu'il avait encore mal quand il pensait à elle ? Plus vraiment.

À cet instant, il décida de s'ouvrir complètement, et laissa son don -la grande tare de sa vie, celle qui lui faisait ressentir de l'empathie. Il détestait lire ce que les gens pouvaient ressentir pour lui, cela rendait tout plus difficile. Mais parfois il était nécessaire de le faire, pour lui comme pour elle.
Pour lui, comme pour eux.

Et ce qu'il ressentit alors le frappa en pleine poitrine. Il prit une grande inspiration et son visage se crispa de douleur -il ne réalisait pas à quel point il lui faisait du mal. Matthew sentit ses jambes faiblir, en réfléchissant malgré la peine qu'il ressentait alors, à ce qu'il pouvait bien faire pour qu'elle s'arrête.

Il l'embrassa sur le front et la serra contre lui, aussi fort qu'il le pouvait, si bien qu'il avait le sentiment que son corps allait se entre ses bras. Matthew avait connu Judith quand elle était forte, et maintenant qu'il se rendait compte de sa faiblesse -celle d'une femme à qui on avait brisé le coeur- il se dit que s'il ne l'avait pas quittée avant, alors il ne pourrait plus le faire maintenant.

— Je t'aime, tellement.

Il la dégagea de son étreinte et passa une main sur sa joue encore mouillée de larmes avant de ramener son visage vers le sien pour aller chercher un baiser dont il avait besoin comme d'une bouffée d'air après avoir passé trop de temps la tête sous l'eau.

Peu importe ce qu'il ferait désormais, tout finirait par le repousser vers elle. Parce qu'il était complètement dingue de cette femme, dans sa force comme dans sa faiblesse. Pour le meilleur comme pour le pire.

Combien de fois allaient-ils devoir se détruire mutuellement pour comprendre que ce n'était pas la solution à leurs problèmes ?
Qu'ils étaient plus fort quand ils s'aimaient, qu'ils cessaient de se déchirer pour essayer de convaincre que chacun l'aimait plus que l'autre.
Il enfouit son visage dans ses cheveux bruns et respira son odeur, qui n'avait pas changée, et qui lui avait manquée autant que toutes les choses auxquelles elle l'avait habitué, et qui lui avaient été retirées contre son gré, même s'il était celui qui avait fait le choix de partir.

Il se détacha de Judith, et fit glisser une main le long de son bras pour finir par enrouler ses doigts autour des siens. Il fit un pas en arrière, puis un autre, et ses pas finirent par le guider naturellement jusqu'à la chambre -leur chambre. Il tenait toujours Judith entre ses doigts, comme s'il avait peur qu'elle disparaisse dès l'instant où sa main lâcherait la sienne. Il l'attira jusqu'au lit, sur lequel il finit par s'asseoir, sans lâcher l'ange déchue. Son bras libre l'entoura par la taille pour l'attirer entre ses jambes, et il laissa tomber sa tête contre elle.

— Je vais rester.

Ce soir.
Et celui d'après.
Et encore le suivant, tu en as envie.