Perchée sur sept centimètres de talons, pas plus ni moins, Emma traversa la route les bras chargés de dossiers contenant pas moins de deux cents de feuilles chacun. Un pickpocket qui passait par là n'aurait aucun mal à lui dérober le grand sac à main qu'elle portait sur l'épaule, et qui contenait son ordinateur dernier cri, dans lequel son rapport de stage était écrit sur une centaine de pages numériques rangées dans un dossier qu'elle avait mis près de six mois à monter. Seulement dans ce quartier de Skyworld, Emma risquait plus de se faire renverser par une voiture que voler en pleine rue. Alors c'est sans grande peine qu'elle atteignit le palier de l'immeuble qu'elle habitait. Elle s'épargna l'ascension des cinq étages qui la séparaient de son appartement –pourquoi se servir des escaliers quand on avait un ascenseur ?– et arriva à bon port, sans rien laisser tomber derrière elle. Au moment d'ouvrir la porte, elle dut toutefois mettre un coup d'épaule dessus pour qu'elle ne daigne s'ouvrir, et à peine fut-elle rentrée qu'elle ressentit un besoin presque chronique de se montrer désagréable. «
Ça te coûterait trop de te lever et venir m'aider ? » lâcha-t-elle en retirant ses escarpins sans se baisser. Aucune réponse ne lui parvint, alors elle souffla, agacée, et leva les yeux au ciel derrière ses lunettes. Après avoir fait claquer la porte d'entrée en lui envoyant un coup de pied chassé, Emma ramena son bagage jusque dans le salon et posa le tout sur la table, avant de soupirer en sentant le poids qui pesait sur ses bras se libérer d'un coup. La fée s'appuya sur le verre de la table et prit place sur l'une des chaises –il en fallait peu pour épuiser une demoiselle qui n'est pas accoutumée à fournir autant d'effort physique– avant de faire appel à son pouvoir de télékinésie pour lui apporter un verre et de l'eau. Au bout d'une vingtaine de secondes d'attente, elle réalisa qu'elle ne visualisait pas suffisamment la cuisine –pourtant ouverte sur le salon– pour contrôler les objets qui s'y trouvaient, et c'est dans un nouveau soupir exaspéré qu'elle se leva pour rejoindre la cuisine d'un pas qui traînait plus que d'habitude. Un verre se mit à léviter avant même qu'elle ne franchisse le seuil de la cuisine, et alors qu'elle s'apprêtait à le remplir par elle-même, elle se stoppa sur le palier de la pièce.
Le verre se brisa en tombant au sol tandis qu'elle portait les mains à ses lèvres pour éviter de hurler. «
Wilhem... ? » Il y avait sur le sol de la cuisine le corps inanimé de son colocataire, adossé contre le meuble, la tête reposée sur son torse comme s'il s'était laissé glisser pour se retrouver au sol. Heureusement qu'il ne l'entendit pas à cet instant, car sa voix ressemblait plus à un couinement qu'à son timbre habituel ; c'était comme si elle avait perdu toute sa contenance à la vue de ce spectacle auquel elle n'aurait jamais cru pouvoir assister un jour. «
Oh non non non... » Emma secoua la tête comme tout en répétant à voix haute qu'elle était «
Emma Hottenberg et pas une de ces pauvres filles qui paniquaient dès qu'elles se retrouvaient en situation de crise », ce qui étrangement l'aida à reprendre son calme. Elle tomba à genoux, dégagea les cheveux de son visage avant de poser une main contre le cou de son colocataire pour vérifier qu'il était encore vivant. Un poids se souleva de ses épaules lorsqu'elle constata que son pouls était toujours régulier, et alors qu'elle fut tentée de le réveiller en lui mettant des claques, elle se rappela que cela faisait justement partie des choses à ne pas faire dans ce genre de situation.
Elle se leva et pris quelques inspirations pour calmer les tremblements qui la prenaient dans les jambes. «
Tu es... Emma Hottenberg. Emma Hottenberg. Allez, respire. Tu sais quoi faire. » Elle jeta un dernier coup d'œil vers Hydra et se précipita sur son sac posé dans l'entrée pour attraper son téléphone. Elle composa le numéro des urgences et attendit que l'on réponde à son appel. La voix de la réceptionniste se fit entendre, mais Emma n'attendit pas qu'elle termine son discours pour lui couper la parole. «
Il... il... je l'ai retrouvé comme ça, je ne sais pas ce qu'il s'est passé... » Elle hallucinait d'entendre sa voix trembler à ce point. Elle prit ses cheveux dans sa main libre et commença à tirer dessus en se répétant encore et encore la même phrase. «
Madame, calmez-vous s'il vous plaît. » Emma se laissa glisser contre le meuble de la cuisine, juste en face d'Hydra qu'elle avait positionné en position latérale de sécurité comme lui demandait la femme au bout du fil. «
Très bien madame. Les secours vont arriver. » Emma raccrocha, laissa tomber son iPhone sur le sol et ramena ses jambes contre sa poitrine, avant d'y enfouir son visage et de fermer les yeux.
— X —
Il avait fallu cinq minutes à l'ambulance pour arriver au pied de l'immeuble, et ce fut exactement le temps dont Emma eut besoin pour reprendre ses esprits. Au moment d'ouvrir la porte aux ambulanciers, il n'y avait plus aucun nœud dans sa chevelure et toute trace de panique avait quitté son visage. Ils avaient déplacé Hydra sur un brancard et avaient disparu dans l'ascenseur. On n'avait pas proposé à Emma de rejoindre l'hôpital, étant donné que les horaires de visites ne permettaient pas de rentabiliser le temps qu'elle mettrait à attendre qu'il se réveille. Emma avait donc laissé son numéro de téléphone à leur responsable en demandant à être tenue au courant du moindre changement d'état de celui qu'ils emmenaient avec eux. «
Vous serez la première informée, madame... ? » Elle croisa les bras sur sa poitrine et regarda les portes de l'ascenseur se refermer. «
Hottenberg. » Il nota son nom, s'inclina pour la saluer et disparut dans la cage d'escalier.
Une fois que le calme fut retrouvé, Emma s'enferma dans la salle de bain et fit couler le jet d'eau chaude pendant une heure pour détendre les muscles qui s'étaient tous crispés à cause du stress. Maintenant que l'adrénaline était retombée, Emma ne savait même plus quoi penser de ce qui venait de se passer.
Pourquoi avait-elle retrouvé Hydra inconscient sur le parquet de la cuisine ? Que lui était-il arrivé en son absence, et depuis combien de temps était-il dans cet état ? Malgré sa mauvaise humeur constante, Hydra semblait en bonne santé, et elle n'avait pas noté de changement dernièrement... si ce n'était le fait qu'ils ne se parlaient plus énormémement –leurs conversations étaient déjà limitées mais depuis quelques semaines plus que d'habitude– depuis le petit incident qui avait vidé leur bouteille de tequila. Elle laissa tomber son front contre le mur et profita de l'eau qui ruisselait sur son corps.
Comme si elle n'avait pas suffisamment de problèmes à régler.Et le lendemain, voyant qu'elle n'avait pas reçu d'appels au milieu de la nuit, Emma se rendit au travail sans passer par l'hôpital.
À quoi bon, si c'était pour le trouver inconscient et ne rien en tirer ? L'avantage avec leur genre de travail, c'était que les horaires n'étaient pas imposées –hormis les jours de réunion– et que l'absence d'Hydra ne suscita aucune interrogation. «
On sent bientôt la fin, Emma ? » lui avait demandé le commissaire lorsqu'il l'avait croisée dans l'ascenseur, son ordinateur sous le bras et son carnet de notes dans une main. Un faux sourire et un hochement de tête plus tard, Emma quittait l'espace confiné et s'enfermait dans son bureau. Elle avait réparti son travail de sorte à terminer son rapport de stage aujourd'hui, alors que la présentation aurait lieu le lundi suivant, ce qui lui laissait tout juste une semaine pour se préparer. C'était presque trop pour elle, mais on n'était pas à l'abri d'un contretemps.
— X —
L'hôpital avait appelé à dix-sept heures précises, tout juste au moment où Emma s'apprêtait à prendre une pause. Elle hésita à venir tout de suite, mais se rappela que le médecin en charge de Wilhem n'aurait sans doute pas de temps à lui accorder si elle tardait trop, alors Emma avait rassemblé ses affaires et quitté les quartiers de la police dans sa Audi flamboyante. Une fois arrivée à l'hôpital, c'était à la réception qu'elle s'était présentée pour demander non seulement le numéro de chambre de son colocataire, mais également à voir le médecin qui se chargeait de lui. «
Le docteur Carter est actuellement avec Mr. Hauptmann, vous les trouverez dans la chambre 801. » Emma eut un hochement de tête qui disait « merci » à sa place et prit la direction de l'ascenseur, dans lequel elle eut le temps de remettre de l'ordre dans une chevelure qui n'en avait pas besoin. Alors qu'elle s'avançait dans le couloir, elle croisa un homme en blouse blanche dont le nom était accroché à sa poitrine. «
Docteur Carter ? » l'interpella-t-elle, et tandis qu'il se retournait pour lui faire face, elle poursuivit. «
Je suis Emma Hottenberg, une amie de Mr. Hauptmann. » Le docteur lui prit la main et la serra dans la sienne tandis qu'il regardait dans le carnet de notes qu'il tenait dans la main. Il hocha la tête et lui demanda ce qu'il pouvait faire pour lui venir en aide, ce à quoi Emma trouva immédiatement une réponse. «
Je voudrais savoir ce qui l'a mis dans l'état dans lequel je l'ai retrouvé hier soir. » Le médecin hocha la tête, regarda la porte fermée sur laquelle on pouvait lire le chiffre 801, puis se frotta la nuque d'un air gêné. Emma pinça les lèvres et posa ses deux mains sur l'avant-bras du médecin. «
C'est mon petit ami, docteur. S'il y a quoi que ce soit qu'il faut que je sache... » Elle profita du fait d'avoir passé toute la journée sur un écran pour humidifier ses yeux d'avantage, et retint un rictus victorieux lorsqu'il baissa les yeux sur son carnet et le lui tendit, vaincu par son petit numéro. «
Ce sont les analyses de Mr. Hauptmann. Vous voyez cette longue formule chimique ? » Il pointa une longue série de H, de S et de O martelée de plusieurs chiffres en indice, qui suivait le champ indiquant la composition du sang d'Hydra. Elle hocha la tête et le laissa continuer. «
Il s'agit d'une... unique sorte de poison, pour faire simple. On ne le trouve nulle part ailleurs que dans son organisme, et d'après son dossier, c'est une substance produite par son organisme lui-même et l'empoisonne à petit feu. » Emma fronça les sourcils et continua de regarder les notes incompréhensibles inscrites sur le papier blanc du carnet. Voyant qu'elle ne comprenait pas où il voulait en venir, le médecin ajouta : «
Sur le long terme, ce poison finira par le tuer. »
Elle ne parvint pas à retenir le hoquet de frayeur qui s'échappa d'entre ses lèvres, et porta les mains à ses lèvres tandis que le docteur Carter épongeait la sueur qui coulait contre ses tempes en s'étonnant que Mr. Hauptmann ne lui ait pas fait part de cette information pourtant majeure dans sa vie. «
Je suppose qu'il ne voulait pas vous inquiéter, madame. » En temps normal, sans doute aurait-elle haussé les sourcils en faisant remarquer que la préserver était bien la dernière chose de sa liste de choses à faire, mais le choc de l'information qu'il venait de lui communiquer semblait avoir anihilé son sarcasme. «
Est-ce pour cela qu'il est dans cet état ? » finit-elle par demander, les yeux rivés sur la feuille à la recherche d'autres informations que Wilhem aurait ommis de lui communiquer. «
Les effets de son poison sont très variés ; mais oui, il y a contribué. » Emma remarqua alors que le docteur Carter semblait lui cacher quelque chose, et alors qu'elle poursuivait sa lecture, elle comprit soudainement la raison d'un tel malaise venant de sa part. Elle posa un doigt sur la feuille, et leva enfin les yeux vers le médecin. «
C'est de la drogue, je me trompe ? » Il n'y avait que des formules chimiques inscrites sur la feuille, mais Emma avait récemment travaillé sur un cas où l'empoisonnement aux substances illicites avait été supposé, et elle avait jugé bon de se renseigner un minimum au cas où on l'interrogerait sur le sujet. Elle n'en connaissait aucune par cœur, mais savait en reconnaître quelques unes qu'elle n'eut aucun mal à identifier. «
Je pense que c'est quelque chose dont vous devez discuter avec Mr. Hauptmann directement. » Il se racla la gorge et posa une main dans le dos d'Emma pour l'inviter à se diriger vers la chambre. «
Il s'est réveillé il y a une demi-heure. Je ne devrais pas vous autoriser à le voir mais compte tenu de la situation... » Elle hocha la tête et tendit le carnet à son propriétaire, lequel poussa la porte de la pièce pour la laisser entrer. «
Ne le brusquez pas trop, nous venons tout juste de retirer les sédatifs, il lui faudra un peu de temps avant de comprendre ce qui lui est arrivé. » Emma ne lui communiqua pas le fond de sa pensée, mais elle savait parfaitement qu'il avait l'esprit trop vif pour se permettre de prendre du temps pour se demander ce qui l'avait conduit à l'hôpital.
Lorsqu'elle pénétra dans la pièce, elle vit tout d'abord l'infirmière occupée à imprimer les résultats inscrits sur la console reliée à Wilhem, lequel était à demi allongé sur le lit dont on avait redressé le dossier pour qu'il puisse être à son aise. Emma le regarda, avec aucune expression particulière sur le visage, et tandis que l'équipe médicale se retirait pour les laisser seuls, elle posa son sac à main sur le fauteuil libre –ce qui signifiait qu'elle n'était prête à partir de si tôt. «
Quand est-ce que tu comptais me le dire ? » demanda-t-elle après un long moment de silence pendant lequel elle s'était contentée de l'observer sans dire un mot. Emma s'avança vers le pied du lit mais s'arrêta un bon mètre avant, puis croisa les bras sur sa poitrine. «
On habite ensemble, je te rappelle. Peut-être que ça aurait été intelligent de me prévenir que ce qu'il y a dans ton corps était susceptible de te mettre dans ce genre de situations. » Elle ferma les yeux et pinça les lèvres tandis que la se sensation qui lui chatouillait le ventre chaque fois qu'elle menaçait de perdre son sang-froid. Emma porta une main à son visage et se pinça doucement l'arête du nez, avant de souffler un bon coup et ouvrir à nouveau les yeux. «
Bon sang Will, tu imagines si je n'avais pas appelé les secours ? Si je n'avais pas été capable de gérer la panique quand je t'ai retrouvé inconscient ? » Et voilà qu'elle commençait à faire une scène, juste parce que c'était plus fort qu'elle. «
Épargne-moi ton sarcasme, je ne suis vraiment pas d'humeur. » Il y avait un petit tremblement dans sa voix, tellement elle peinait à retenir toute la colère qui faisait bouillir son sang dans ses veines. «
Comptais-tu me dire, pour le poison et la drogue ? »
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