C'est pour le travail ! [PV cousine Shama ♥]

- Hep, s’iou plait !
- J’arriiive !

Ah je détestais les heures de pointes comme ça. Y’avait un monde fou aujourd’hui ! tout le monde était en congé ou quoi ? C’était bien beau tout ça, mais je n’avais pas trente-six bras moi. Et les autres greluches qui me servaient de collègues étaient trop occupées à mater les clients pour prendre des commandes. Et après elles avaient des pourboires, c’était pas juste ! Juste parce qu’elle flattait l’égo de ces ivrognes –pour la plupart en tout cas – franchement… Moi je n’en récoltais jamais, parce qu’avec mon foutu caractère, je faisais toujours flipper les clients qui me faisaient du gringue –et j’aimais pas ça. Une fois, dans un autre bar, j’avais blessé un client qui m’avait mis la main au cul… pour ça que je m’étais faite virée aussi.

J’accourus vers le client qui demandait à boire, sur la terasse. Ici je faisais beaucoup d’efforts. Je laissais passer certains égarements, mais quand ils dépassaient les limites… je leur faisais peur, en leur attrapant la main et en faisant un remake de Mushu en mode « je suis ton pire chauchemaaaar ». Nan, en vrai mes yeux s’allumaient et je leur demandais poliment de ne pas recommencer. En général ça fonctionnait. Comme quoi, être à la fois une démone, et la fille d’Héphaïstos, ça avait des avantages.

- Oui Monsieur, ce sera quoi ? demandai-je en me plantant à sa table.
- Un Jin tonic please, commanda l’homme en s’appuyant sur son coude, les yeux rivés sur mon décolleté.
- C’est noté. Et faites gaffe, à fixer comme ça les poitrines, vous allez attraper une conjonctivite.

Je repartis illico au bar pour réclamer sa commande auprès du serveur en post au bar. J’imaginais bien la tête du client. Rien qu’à cette pensée, un sourire étira mes lèvres. C’est ce moment que choisit mon patron pour se pointer. Il m’aperçut, appuyée sur le comptoir en train de sourire. Et flûte, il allait encore me faire la morale celui-là… Et voilà, c’était reparti ! Mais qu’est-ce que tu fais là à rêvasser, mais pourquoi t’es pas en train de bosser, y’a des clients à servir… Et blablabla… Pfff franchement. Il avait toujours le même discours. Et on avait pas le droit de prendre une petite pause entre deux commandes ? ‘Spèce d’esclavagiste !... Enfin j’avais pas trop à me plaindre non plus. Le serveur du bar posa le verre rempli sur mon plateau. Je repartis donc en soupirant, sourde aux reproches de mon boss. Bah quoi, il voulait que je serve les clients, non ?

Je déposai la commande sur la table du client, avec un grand sourire, ponctué d’un « Et voiiilààà » L’homme avait un peu changé d’attitude. Il avait dû comprendre le message. Ah, enfin un crétin récupérable. Bref, j’avais pas que ça à foutre, j’avais d’autres commandes à passer. Je repartis aussi vite que j’étais venue. Une vraie tornade. Rouge. J’arrivai à une autre table, notai la commande d’un café, continuai ma tournée… Un client renversa son verre, qui éclaboussa mon tablier. Je déposai mon plateau pour éponger avec un torchon, puis allai chercher une éponge. Je repris mon plateau et revins au bar. J’en pouvais plus. Ils avaient quoi, tous, à me solliciter ? c’était un complot.

- Shama, on échange nos place ?

Je jetai un coup d’œil reconnaissant à mon collègue du bar. Enfin quelqu’un d’humain, ici ! enfin, façon de parler vu qu’il était elfe. Je contournai le bar pour me retrouver derrière. Je pourrai pas m’asseoir, mais au moins j’aurais pas à faire trente-six milles aller-retours. J’aurais juste les clients du comptoir à servir. Le temps de m’accouder sur le bois du bar qu’on me demandait déjà. Pfff, les gens n’avaient aucune empathie. Je pris donc une nouvelle commande, la préparai, la fis glisser sur le slide du bar –c’était trop cool ça. Bon, cette fois-ci j’avais un peu de temps.

En fait, je n’eus pas beaucoup de répit. Un jeune blondinet m’appela… QUOI ? nan mais il se prend pour qui, à donner des surnoms débiles comme ça ? Bon, rester calme, caaaaalme. Je pris une inspiration et lui offrit mon plus beau sourire. Bien que j’eus des nuances carnassières dans mon regard. Je m’approchai du client et m’accoudai au bar juste devant lui.

- Mais bien sûr, Boucle d’Or, ce sera quoi ?

Oui, quand on me cherchait, on me trouvait. Moi aussi, je pouvais donner des surnoms débiles. Vu que ce prénom était réservé aux filles, je remportais la manche haut la main, enfin selon moi.

Bon, le blondinet ne semblait pas des masses affecté par le petit surnom. Dommage, j’aurais bien voulu le voir rager. Enfin… j’imagine qu’on ne peut pas toujours avoir ce que l’on veut. On peut pas toujours être satisfait, c’est la vie. Il me demanda donc une Pina colada… NAN MAIS OH, il va arrêter avec ses surnoms débiles là ? DOUDOUNE. On me l’avait jamais faite celle-là. HAHA très drôle, je me maaaarre. Heureusement pour lui que c’était un client, sinon je lui aurais déjà refait le portrait à ce petit prétentieux. Je lui jetai un regard noir avant de me diriger vers les bouteilles pour lui préparer sa boisson. J’avais l’habitude de la faire celle-ci, elle était très appréciée, notamment pour son exotisme. Rhum blanc, rhum ambrée, jus d’ananas et lait de coco… plus qu’à mélanger. Je préparais les cocktails à la perfection, avec les bouteilles qui volent et tout, je trouvais ça trop fun. Le seul truc, c’est que quand j’agitais pour mélanger… ma poitrine généreuse adoptait le mouvement. C’était assez agaçant quand les clients vous observaient. Je revins vers le jeune homme et déposai d’un geste sec le verre avec les petits accessoires qui allaient avec.

- Et voilà, Blondinet.

Il avait ce sourire en coin qui m’exaspérait. Oh je savais très bien ce qu’il regardait, tous les mecs hétéro et bi –et même certaines filles – lorgnaient ma poitrine. J’avais l’habitude, même si c’était chiant à la longue. Qui aurait pu imaginer qu’Héphaïstos ait pu engendrer une telle bombe, hein ? Petite vengeance sur les divinités. Il me posa alors une drôle de question. En quoi ça l’intéressait ? S’il voulait connaître mon ressenti du boulot pour se faire embaucher… s’il voulait travailler c’était pas à moi qu’il devait s’adresser. Je le toisai du regard tandis que je nettoyais le comptoir d’un geste sûr.

- ça dépend des jours… pourquoi cette question ? Si tu veux bosser ici, va t’adresser au patron.

J’avais pris le tutoiement naturellement, notamment parce qu’il était bien familier avec moi. Je ne voyais pas pourquoi je serais aussi polie avec lui. Si je me sentais bien ici… comme je le lui avais dit, des jours ça allait, d’autres moins. Je ne m’entendais pas avec tous mes collègues –surtout les autres pinbèches – mais l’ambiance restait acceptable, et j’étais pas trop mal payée. Les premiers temps le patron avait eu des vues sur moi, alors ça avait été compliqué… Mais, maintenant, je gérais. Je déposai mon torchon devant moi et m’appuyai sur les coudes. Le jeune blond se permit de critiquer mon travail. Je grimaçai, énervée par son comportement.

- Je ne suis peut-être pas très douée pour éviter les verres que les crétins de clients renversent sur moi, non en effet. Je pense que ce sont surtout eux qui ne sont pas doués pour boire correctement. Et je ne vois pas en quoi ça te regarde. Si t’es pas content du service, t’as qu’à aller voir ailleurs.

J’avais parlé d’un ton acerbe. Je n’allais pas lui faire de cadeau s’il continuait à me critiquer comme ça. Il se prenait pour qui ce gamin ? Parce qu’il ne m’avait pas l’air très âgé. Ça se trouve, il n’avait même pas 18 ans… Enfin, la majorité ici, c’était un peu différent, avec tous ces êtres magiques. Il pouvait être un vampire et avoir des centaines d’années d’existence, alors qu’il n’en paraissait que dix-sept ou dix-huit. Je l’observai un peu plus en détail. Outre le fait qu’il me relookait depuis le début, il semblait vouloir quelque chose de bien particulier.

- Tu n’es pas là que pour consommer, je m’trompe ? Alors dis-moi ce que tu viens foutre ici à critiquer les serveuses. Plus vite je saurai, plus vite je te renseignerai et plus vite tu partiras.

Le « ça me fera des vacances » était implicite. Un client me héla de l’autre côté du comptoir. Je m’excusai auprès du jeune homme, plus par devoir que par politesse, et me précipitai vers le demandeur. Après avoir pris sa commande, je lui préparai sa boisson, la lui servis, puis voyant que personne ne me demandait, je revins vers l’autre blondinet.

- Alors ? insistai-je en tapotant le comptoir du bout des ongles.

Il fixait ma poitrine avec tant d'intensité que je craignais presque qu'elle ne prit feu. C'était bien le genre de mec à baver devant des atouts féminins si généreux. Oh, je ne m'en plaignais pas, pas toujours du moins, car j'y trouvais des avantages. Cependant, se faire lorgner à longueur de journée, et devoir esquiver sans arrêt les tentatives de tripotage des clients… ça devenait lassant. J'avais déjà été virée pour m'être défendue ! Bon, rectification, je n'avais pas apprécié qu'un client pose sa main crasseuse sur ma poitrine, alors je lui avais montré ma façon de penser. En lui brisant le poignet. Il avait porté plainte, et j'avais dû faire jouer tous mes charmes -et le menacer deux ou trois fois, officieusement- pour qu'il la retire. Si on ne pouvait plus défendre sa propriété maintenant ! Enfin bref, tout ça pour dire qu'à la longue, ce type de comportement me fatiguait. Et qu'un gamin -car pour moi c'en était un- s'y mette aussi… Je soupirai. D'abord Kira qui se foutait de ma gueule en me faisant passer pour une couguar en pleine rue, et maintenant cet avorton…

Le dit personnage s'excusa de me critiquer -faux-cul- prétextant qu'il exerçait le même métier. Tiens donc ? Intéressant…  Je me mis à essuyer frénétiquement le comptoir, m'acharnant sur une tâche imaginaire tandis que je l'observais du coin de l'œil, curieuse de connaître le fond de ses motivations. S'il travaillait en tant que barman, que faisait-il là ? En pause, peut-être, ou un jour de congé… ça lui arrivait souvent de faire de la concurrence en allant boire un coup ailleurs que chez son patron ? Mais pourquoi je me posais toutes ces questions moi ? Ce que c'était pénible ! J'enchaînai donc en lui demandant explicitement ce qu'il venait faire ici, car je doutais que ce fut uniquement pour se désaltérer. Et me faire chier, aussi. Bingo ! Il m'avoua qu'il avait en effet d'autres idées en tête -hey, pas de ce genre là, bande d'obsédés ! Je me stoppai net pour le regarder en face, l'air sceptique et pas du tout convaincu.

- T'es sérieux mec ?

C'était le seul truc sensé que j'avais pu sortir. Ok, j'étais "chaude" comme dirait ceux qui le disaient suffisamment bas pour que je n'entende pas et qu'ils ne perdent pas l'usage de leur langue, ok, il me dévorait du regard. Mais c'était un gamin, merde ! J'étais… gênée. Il était direct, ça je le lui accordait. Mais… je trouvais ça… énorme. Je me voyais pas vraiment "sortir" avec un gosse. Comment ça, j'extrapolais ? Je le détaillai de haut en bas d'un mouvement rapide des yeux avant de me gratter le cou d'un geste nerveux.

- Ecoute, je sais pas… faudrait déjà que je demande à mon bosse. Et puis… Si tu me regardais depuis si longtemps, pourquoi me demander ça maintenant ?

Ouais, j'étais grave, mais je voulais voir s'il était sincère. Manquerait plus que je me ridiculise devant un mioche. Je souhaitais creuser un peu ses intentions. Mon instinct me disait qu'il ne m'avait pas tout dit. Et il me trompait rarement, ce bon vieil ami. Il m'avait sorti de bien mauvaises situations. C'est qu'avoir des orphelins dans la rue pendant quelques années, ça vous rôdait. En même temps… si je me trompais, je me sentirais mal de le juger comme ça. Rah, il me mettait dans une situation lui… Et comme si c'était pas suffisant, une collègue se pointa à côté de moi.

- Vas-y Sha, je prends ton tour !

Je lui lançai mon regard le plus noir possible, genre "toi tu sais pas ce qui va t'arriver, t'as loupé une occasion de la fermer !" Mais elle me répondit par un grand sourire innocent qui ne l'était pas vraiment. Vipère. Elle avait écouté notre conversation, et elle me connaissait suffisamment pour savoir ce que je pensais là tout de suite. Voyant que je la fusillais toujours du regard, elle haussa les épaules.

- Je dis ça pour toi, après tu fais ce que tu veux hein, dit-elle avant de s'éloigner.

Saleté. Je parvins à détourner les yeux pour me reconcentrer sur le jeune blond. Après cet interlude, aucune chance qu'il me fiche la paix. Et si en fin de compte il n'était pas ce que je pensais qu'il était ? -nan je vous le dirai pas- Une petite idée me traversa l'esprit. Je croisai les bras sur le comptoir, me penchant légèrement en avant, et lui offrit mon plus beau faux sourire.

- Écoute, je te propose un truc. Je viens avec toi, uniquement si tu me dis ce que tu me veux vraiment. Franco.

Je n'avais aucune garantie qu'il me dise la vérité, mais ça me laisserait l'occasion de voir comment il réagirait. On pouvait en apprendre beaucoup sur ses interlocuteurs, en les observant avec attention, et en les fourrant dans diverses situations.