le bal des hypocrites. ❞ (chizuoz) ♡

LE BAL DES HYPOCRITES
PV Oz & Chizuru

    Les doigts de pianiste se fermèrent sur la poignée de la tasse, laquelle fut soulevée, remuant le liquide ambré encore fumant emprisonné dans sa cage de porcelaine. Étrangement concentré sur les vagues dont était victime l'Earl Grey contenu par le récipient, le jeune garçon ne semblait pas prendre en compte ce qu'il se passait autour de lui. Il était assis seul à cette table, savourant les plaisirs solitaires de sa Tea Party, avec comme seule compagnie des poupées attablées et incapables de se servir par elles-mêmes. Ses étranges iris verts parcourent l'impassible tablée qui pointait le regard droit vers le centre, n'exprimant rien de particulier si ce n'était une animosité évidente. La porcelaine fut reposée à même la nappe, empilant soucoupe et tasse dans cet ordre. Tandis qu'une main montait vers le visage juvénile, l'autre resta contre la table, tremblant avec faiblesse. Les maux de crâne persistaient depuis des jours, et l'insomnie se lisait sur le visage fatigué, dont les yeux cernés n'exprimaient plus que la lassitude. La lassitude de vivre, après quinze misérables années d'existence, dénuées de valeurs aux yeux de ceux qui, là-haut, comptaient les siècles comme les enfants comptent les heures. Le grand enfant ferma les yeux, se laissa entraîner par les tic tac de l'horloge qui attendant patiemment de faire sortir le coucou de son nid, et faire résonner son chant dans toute la maison silencieuse. Le fils de la Mer laissa glisser sa main libre sur la surface râpeuse de son jean, fouillant dans la poche pour en sortir un unique tube froid contenant les médicaments. Rien que des médicaments, destinés à apaiser la douleur qui lui rongeait le crâne. Ses doigts hésitants cherchèrent une ouverture dans le récipient cylindrique, dont le bouchon sauta bien assez vite. Il alla s'écraser contre le sol de pierre dans un bruit à peine audible, tandis que les pastilles pâles se déversaient en cascade sur les jambes du garçon. L'indifférence affichée sur son visage ne quitta pas ce dernier, pourtant si beau, si doux. Il intercepta l'une des pastilles, interrompant sa folle course pour la laisser minutieusement tomber dans la tasse de thé. Plouf... et voilà qu'elle se dissolvait. Au même instant, le coucou piégé dans l'horloge profita des coups de dix-sept heures pour faire entendre sa voix, le temps d'une minute qui sembla durer une éternité. Le vacarme parvint aux oreilles du semi-Immortel, lui arrachant une folle grimace tandis que le contenant des drogues tombait à son tour sur le parquet, glissant de ses doigts comme s'ils étaient sensés y rester indépendamment.
    Le dernier fils de la Mer laissa les gorgées le réchauffer. Il huma le parfum du thé aucunement altéré par les mauvaises substances qu'il y avait placées, ferma les yeux pour savourer l'instant et ne sembla plus pouvoir les ouvrir. Fermer les yeux sur la réalité était pour lui la meilleure façon de survivre au milieu de la laideur du monde. Son esprit abandonna son corps tandis que les drogues faisaient leur effet, apaisant la douleur et réveillant les démons. L'enfant ne changea pas de position, oublia de ranger avant de se faire réprimander par son "frère", pour qui il avait décidé de vivre, sans qui il n'aurait été plus qu'un nom sur une pierre tombale. Un sourire apparut sur son visage encore marqué par les innocents traits de l'enfance, tandis que la douleur s'en allait tourmenter un autre, quelque part sur l'île. En se levant, le jeune garçon bouscula malencontreusement la table, faisant bouger les poupées qui, après une brève lutte contre l'équilibre, abandonnèrent leur corps de plastique pour terminer leurs course au sol. Rien ne fut ramassé, et alors que ses pas tracèrent le chemin le plus court vers la sortie de cette pièce devenue oppressante, Oz s'aperçut en ouvrant la porte qu'il n'était pas chez lui.



    Chloris était une ville charmante. S'il était parti si loin de sa maison, c'était parce qu'on lui avait prescrit des médicaments qu'ils ne possédaient plus à la capitale. On avait accepté de l'héberger deux jours durant, pendant lesquels il avait cherché puis trouvé la pharmacie capable de lui procurer ces tablettes dont la moitié avait fini par terre. Quelqu'un finirait bien par les lui rendre, et dans le pire des cas, il n'aurait qu'à en acheter d'autre. Au fil des jours, ces substances mi-chimiques, mi-naturelles avaient été indispensable à la préservation de son état mental. Il s'apparentait à un enfant malade, victime d'une injustice de la vie qu'il s'était infligée tout seul, qui le rongeait en permanence, arrachant son âme par petits bouts. Rien n'avait été plus désolant que devoir prendre des drogues pour se sentir mieux, mais l'enfant avait fini par s'y habituer, et ne jurait plus que par le flacon dissimulé dans sa poche. Si un jour son frère découvrait ce qu'il était amené à faire pour arrêter de souffrir, si un jour ses démons seraient dévoilés au fils de la Mort... alors Oz accepterait le châtiment. Il était le fautif dans l'histoire, mais têtu de nature, il préférait ne pas s'en rendre compte et rejeter la culpabilité sur le mal infâme qui rongeait les êtres de ce monde, et lui le premier. Si c'était pour préserver son frère, il était prêt à payer le prix. Même s'il impliquait de couvrir son regard d'un voile opaque.
    Sortant de la maisonnette, le demi-Dieu franchit le portillon qui le mena dans un allée résidentielle. Il avait jeté ses souvenirs les plus récents dans son thé, qui s'étaient dissous en même temps que la tablette. Il fit comme s'il savait où se diriger, et déambula dans les rues de la petite ville fleurie, croisant les rares passants sans réellement les voir. Le soleil rougissait à vue d'œil, colorant les murs blanc d'une lumière chaude et sanglante. L'esprit déraillant, l'enfant du Seigneur des Mers grimpa à un arbre bordant le trottoir, avec une souplesse qu'il ne connaissait pas. On raconte que les plus courageux sont aussi les plus aveugles ; et en cet instant Oz ne voyait rien. Son pied racla l'écorce, et bien qu'il manqua de tomber, l'enfant se mit à rire. Il puisa dans ses forces pour se hisser sur la plus rigide des branches, se laissa tomber sur le bois et expira. Son regard lançait un défi au paysage qui s'offrit à lui, bien que personne ne répondit présent pour le féliciter de sa prouesse. Longuement, il attendit perché sur sa branche. Il n'attendit rien, et tout à la fois. La douce brise remuait les mèches de son indomptable chevelure, soulevait les doux parfums émanant des quatre coins de la ville qui lui firent tourner la tête. Il n'y eut plus que le chant des derniers oiseaux pour remplacer le bruit des vagues, cette mélodie qui lui devenait plus indispensable au fil des jours. Le mal de la terre, l'absence de la mer le rendaient malade ; et si seulement il le savait, Oz ne se ferait pas autant de mal. Il ne prendrait pas ces substances qui rongeaient son âme, à quinze ans à peine.

❝ Tu es perdue ? ❞

    La petite louve était passée sous l'arbre. Elle se retourna, dévoilant de grands yeux écarlates derrière la  crinière de feu. Une phrase avait été prononcée à la volée par le jeune garçon en manque de compagnie, qui ne détacha pas son regard du sien. La malice du chat brillait dans les yeux de l'enfant perché dans l'arbre, inquiétante lueur qu'il savait revêtir lorsque l'envie le prenait. Seules ses pupilles anormalement dilatées le différenciait du félin, mais la sournoiserie mêlée à la vélocité de l'animal y était ancrée comme s'il avait été capable de métamorphoser. Un sourire fleurit sur ses lèvres, trop heureux pour prétendre être sincère. Quand bien même il s'y risquerait, il n'y arriverait pas, hélas ! Voilà bien trop longtemps que le petit prince avait cessé d'être sincère.

❝ Et sais-tu ce qu'il faut faire lorsque l'on est perdu ? Je vais te le dire : avancer tout droit ; on tombera toujours sur quelqu'un capable de retrouver le bon chemin. ❞

    Personne ne remarqua que les oiseaux avaient cessé de chanter. L'astre solaire entamait sa longue course vers la seconde moitié de la sphère terrestre, descendant avec une lenteur suave dans le ciel, recouvrant les murs, les sols et les parois de sa lumière écarlate, rougissant les cheveux de cet être au pied de l'arbre.

LE BAL DES HYPOCRITES
PV ✖ Oz & Chizuru

 :   Les crocs furent sortis, dans un sourire qui en disait long sur les intentions de la louve. Perché sur son arbre, l'enfant avait sorti de sa poche une sucrerie qu'il avait posé sur sa langue le temps de recevoir une réponse qu'il n'attendait pas. Dans un paradoxe incompréhensible, Oz posait des questions sans attendre de réponse de la part de ses vis-à-vis, dont la manière de pensée ne lui importait que très peu. La race humaine était desespérante, plongeait le monde dans un gouffre sans fond, creusait encore et encore comme s'ils avançaient dans la bonne direction, sourds aux critiques et aveugles face au miroir qui leur montrait sans jugement la monstruosité dont ils pouvaient faire preuve. Envers et contre tout, Oz était des leurs, à cause de sa mère, à cause de quatorze ans passés à leurs côtés, à vivre comme eux et à sombrer avec eux.

❝ Moi ? En voilà une drôle d'idée. Je serais toi, je la mettrais de côté, elle peut toujours servir. ❞

    Un sourire fleurit sur ses lèvres tandis qu'il s'allongeait sur la branche avec un air de chat ayant repéré une souris. Le mystère qui planait autour de sa personne était infime en comparaison avec l'enigmatique sourire, qui bloquait l'accès à ses pensées embrumées. Il était paradoxal dans sa manière d'être, semblait mort mais était vivant, conscient mais endormi. Au fond de lui, il voulait tomber de cette branche ; mais quelque chose lui disait que s'il tentait, la douleur ne l'atteindrait pas, pas encore. Et Ciel lui en voudrait s'il se laissait tomber délibérement contre le sol, alors que rien ne l'obligeait à le faire si ce n'était la curiosité qui l'animait comme elle dicterait la conduite d'un enfant malade.

❝ Tu saurais me dire pourquoi moi je serais capable de retrouver le bon chemin ? ❞

    Les questions tombaient chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Il ne savait plus s'en empêcher, elles étaient devenues sa façon de communiquer. Tout était détraqué, le petit garçon ne comprenait plus, plus rien, rien du tout. Maintenant, il avait besoin de justifications, qu'on lui explique pourquoi et comment. Oh, il ne retenait pas les réponses, jamais. L'important était de se poser les bonnes questions, car les réponses variaient selon le point de vue, le contexte, les gens. Le fils de la mer observa son inconnue, épiant chacun de ses mouvements comme s'il était capable d'y comprendre quelques chose. Il y avait tant à découvrir dans ce monde, mais tout ça n'était que du vent ; tout le monde était pareil, la planète était devenue une généralité, le groupe avait pris la place de l'individu. Oz lui-même était classé, comme le commun des mortels, et même les Dieux là-haut qui prétendaient gouverner leur existence alors que tous leurs discours finissaient emportés par les vagues insolentes de ceux qui cherchaient à prouver le contraire, qui y parvenaient et qui finissaient par être contredits. C'était elle, la boucle de la vie, qui régnait en maîtresse. Et ils voulaient s'en défaire, eux les mortels ! Bande d'idiots. Comment faisaient-ils cela ? Ils se laissaient tomber des arbres, pensant que cela changerait quelque chose pour quelqu'un. Risible.

❝ Mais crois-tu vraiment qu'il y ait un bon et un mauvais chemin ? ❞

    Son air se fit pensif, son œil vide. Se poser les bonnes questions était la clé. Peut-être ne cherchait-il pas au bon endroit. Qu'importe, il avait le droit d'emprunter un autre chemin, personne ne le lui avait interdit ; et quand bien même cela aurait été le cas que le rejeton du seigneur des océans l'aurait fait quand même. C'était plus fort que lui, cette manie de toujours aller à l'encontre de ce qu'on lui disait de faire. Sois sage disait-on, et il se retrouvait à faire des bêtises plus grosses que lui. Trop grosses pour lui. Le bruit des pillules claquant contre la paroi du flacon de plastique se fit entendre quand il descendit avec l'adresse d'un acrobate ivre, les pieds joints frappant contre les dalles de pierres. La douleur dans ses genoux provoquée par une réception trop brutale fut masquée par la dose qu'il avait prise avant de partir, instaurant en lui l'idée vaniteuse qu'une lame dans le ventre ne lui ferait pas le moindre mal. Il fut tenté de tourner l'anneau qu'il portait au doigt, dans lequel était dissimulée cette faux magique qu'il avait eu le plaisir de se faire forger dans cette grotte au fin fond des montagnes.

❝ Comment tu t'appelles ? ❞

    On disait dans la logique qu'il fallait poser la question avant de donner la réponse. Oz posait donc la question avant d'y répondre lui-même, contrairement à ce qu'il avait toujours fait étant petit. Mais tellement de choes avaient changées depuis l'époque où il prétendait être Peter Pan, où grandir était la dernière chose à laquelle il aspirait et où tout était aussu simple que grimper aux arbres.

LE BAL DES HYPOCRITES
PV ✖ Oz & Chizuru

    La dilatation de ses pupilles rendaient ses yeux plus sensibles encore à la lumière, pourtant douce en cette triste fin de journée. Il épousseta des poussières imaginaires sur son bermuda et secoua négligemment les jambes qui fourmillaient, avant de lever les yeux pour se retrouver nez-à-nez avec la demi-louve. La proximité ne le gênait pas le moins du monde, Oz avait l'esprit bien trop paradoxalement innocent pour se faire de telles idées venant de la fille d'Hadès.

❝ Le mien c'est Oz. ❞

    Il n'y avait absolument aucune expression dans ses yeux. Pas de trace de folie, de douleur, encore moins de joie, et pas de peine. Il n'y avait rien dans la tête du fils de la Mer, et le problème était qu'il ne s'en souciait guère. Sa cousine le fixait comme s'il y avait eu une anomalie, et la réplique suivante révéla son sens de l'observation. Ou ses facultés décuplées par sa moitié animale, que le garçon n'enviait guère. Il aimait être à cheval entre les deux mondes opposés, celui de la faiblesse des hommes et de l'invincibilité des Dieux. Il aimait ne pas savoir où se ranger, et il aimait appeler son père Pégase.

❝ On vient de se rencontrer, comment pourrais-tu savoir ce qui est bon et ce qui ne l'est pas pour moi ? ❞

    Oz pencha sa tête sur son épaule et son sourire s'effaça, laissant place à une expression plus perplexe, plus humaine, moins inaccessible. Il ne ressemblait plus qu'à un enfant qui se demandait pourquoi on le grondait, ce qui était assez loin de la vérité, mais qui était plus un éclair soudain de lucidité qu'autre chose. Il disparut tout aussi rapidement, au moment où l'okami reculait, et reprenait les directives de la conversation. Elle ne sembla pas avoir remarqué le court instant pendant lequel l'esprit du fils de Poséidon reprenait possession de son corps.

❝ Je pense... je pense qu'il n'y a pas de mauvais chemin. Je pense qu'il y en a un bon et un pas bon. ❞

    Il avait toujours très bien joué avec les mots. C'était pour cela que les enfants l'aimaient tellement, à l'époque ; parce qu'Oz était un beau parleur. Il avisa le muret derrière lui et recula pour se hisser dessus, les pieds pendus dans le vide et le regard fixé sur son interlocutrice. Son sourire réapparut sur son visage, rapetissant ses yeux en deux petites fentes qui laissaient apparaître les malicieux iris émeraude.

❝ Je pense aussi que le chemin pas bon peut devenir le bon si l'on change sa destination. Si je vais à gauche, alors que ma destination d'origine se trouvait à droite, il faut simplement me dire que je voulais aller à gauche, alors la destination change, et le chemin pas bon devient celui qui était bon. ❞

    Sa logique était simple, mais ses explications semblaient n'avoir ni queue ni tête, et la rendaient par conséquent compliquée. Ce que lui disait la demi-louve était compliqué, parce qu'Oz n'avait pas de notion de bon ou de mauvais, et la balance était un concept encore plus surfait. Il était un enfant encore, il ne fallait pas lui en demander trop quand bien même ses paroles laissaient paraître le contraire. Il ne cherchait à embrouiller personne, il n'était pas mesquin à ce point ; il avait une logique qui lui permettait de survivre, et peu importe qui tentait de la lui briser, il trouvait toujours un moyen de se donner raison d'une façon ou d'une autre.

❝ À ton tour. Explique-moi ton histoire de balance. ❞

    Dans sa façon d'être, il ressemblait à s'y méprendre à un enfant curieux, rien à voir avec l'adolescent étrange qu'il avait montré jusque maintenant. Les effets des médicaments procédaient par phases, il fallait seulement se montrer patient.