Le froid permet aussi de faire des rencontres

Ce matin-là, en plein hiver, Sennar semblait être le seul à ne pas craindre le froid. Les autres personnes qui marchaient çà et là étaient couverts de la tête aux pieds, avec divers vêtements épais, tel que des bonnets de laine, des gros pulls qui cachaient leurs corps, des bottes démesurées et certainement rembourrées, etcétéra. Sennar, lui, portait un "costume" bleu nuit, avec une fine chemise blanche sous sa veste sans manches. Par dessus, il avait un long manteau noir, qui attirait un peu de chaleur venant du soleil, mais qui était pourtant glacial à toucher. Sennar soufflait de la fumée quand il respirait, et il avait la peau froide, mais pourtant il semblait appréciait la température, comme si elle n'était pas si basse que ça.

   Le jeune homme marchait, bien droit, sur la grande place d'Athéna, en utilisant son Katana -rangé dans un fourreau-, comme s'il eut été une canne appartenant à un vieil homme. Il ne souhaitait pas paraître bourge, ou blessé, il n'avait simplement pas envie d'accrocher la lourde arme à sa taille, ou dans son dos, alors il la gardait dans sa main, et au lieu de la faire trainer par terre comme un vieux bâton sans intérêt, il fit ainsi. S'approchant peu à peu de la fontaine centrale, il se frayait un chemin entre les groupes de personnes, tout en paraissant invisible à leurs yeux. Ils le bousculait, même s'ils s'excusaient ensuite, pour la plupart, ils lui coupaient la route juste sous son nez, parfois même en courant.

   Quand il fut enfin arrivé, il s'agenouilla devant le bassin, et il vint plonger sa main dans l'eau quelques instants. Elle était tellement fraîche, qu'il lui parut que dix milles aiguilles venaient de lui transpercer la main d'un seul coup. Il inspira profondément par étonnement, puis s'habitua rapidement à cette fine douleur. Il mit sa paume en creux et ressortit sa main, avant de déverser de l'eau sur son visage. Il attendit quelques instants, pour reprendre ses esprits, qui venaient d'être complètement secoués par la fraîcheur soudaine sur lui, puis il se releva pour se tourner et s'assoir sur le rebord du bassin. Il prit son arme, encore rangée, et la posa sur ses genoux, puis il la dégaina silencieusement. Il déposa, à ses pieds, le fourreau, et passa sa manche, dont le bout était mouillé car elle avait trempée dans l'eau, sur la lame sale de son sabre. Des croûtes de terre et des tâches de boue étaient bien accrochés à celle-ci, mais petit à petit, au fur et à mesure que sa manche en velours faisait des allers-retours sur la lame, elle commençait à redevenir belle et scintillante, se purifiant de ces saletés.

La lame était de plus en plus propre, quelques tâches restaient incrustées, et il aurait fallu bien plus qu'un polissage avec une manche de manteau humide pour les retirer.
   Alors que Sennar était absorbé par ce qu'il faisait, une femme attira son attention, parmi la foule, elle se démarquait fortement des autres avec son manteau rouge, comme celui que les enfants utilisent pour dessiner des coeurs, ou du sang. Elle avait de longs cheveux mauves, une couleur très peu courante, et elle portait des vêtements simples, que toute jeune femme aurait pu porter, si on oubliait la neige qui tombait et la température peu élevée qui régnait sur toute la place, et sûrement plus loin encore. Il l'observa du coin de l'oeil, pendant qu'elle approchait de la fontaine, et décrocha son regard de cette personne après quelques secondes, pour continuer de faire briller son sabre, bien qu'il était arrivé à bout de ce qu'il pouvait faire ici, visiblement. Il rejeta un rapide coup d'oeil pendant que celle-ci regardait l'eau, semblant contempler quelque chose… Peut-être elle-même ?

   Soudain, on entendit un rire, celui d'un enfant qui jouait, puis un "plouf" et, avant que Sennar puisse comprendre, il fut éclaboussé tout entier par l'eau glaciale de la fontaine. Il sursauta et se leva d'un bond, en lâchant une injure assez forte, sans le vouloir. Son Katana lui échappa des mains au même moment, en lui faisant une entaille fine sur toute la paume de la main. Le fer de la lame s'entrechoqua avec le fourreau au sol, créant un bruit insignifiant, et pourtant aigu et résonnant. Au même moment, la fille qui venait de tomber poussa elle aussi un cri, le froid avait dû la surprendre, sans aucuns doutes.

   Sennar s'inquiéta rapidement pour la fille, habillée comme au printemps, qui baignait dans le bassin. Il se pencha rapidement et attrapa son bras dans l'eau en la tirant, pour l'aider à se relever, puis à sortir. L'enfant qui l'avait bousculée voulait l'aider aussi, mais voyant qu'il était trop petit, il s'était enfui avec ses amis, sûrement avait-il peur de se faire gronder, ce qui était tout à fait possible.

   - Vous allez bien ? demanda Sennar à la jeune femme, à laquelle il n'avait pas encore lâchée l'avant-bras.

Les passants tout autour les regardaient, certains murmuraient des "Oh, la pauvre", certains autres riaient de ce qui venait de se passer, et d'autres encore se demandaient qui était cette fille assez folle pour aller se baigner, sans avoir vu auparavant que ce n'était point volontaire.