troublemaker (lanséo)

Mal assis sur une chaise en plastique peu confortable, Théodore se gratte le cou. Dans quelle merde je me suis encore fourré. Il n'était pas étranger à tout cela, et encore moins à la pièce dans laquelle il se trouvait maintenant. Quelques pas plus loin, il y a un comptoir, et derrière, il y a des hommes en uniforme. Le commissariat. Ses pieds s'entrecroisent dans un mouvement empli de gêne. Il lève les yeux pour voir un des officiers s'approcher de lui. A chaque fois qu'il se retrouvait ici, il avait une soudaine envie de disparaître, de fuir en courant. Heureusement qu'il arrivait toujours à s'en sortir tout seul - si jamais ses parents avaient vent de ses aventures ici...

— Théodore, Théodore, Théodore.
— Dites pas mon prénom trois fois c'est vachement stressant.
— Pourquoi c'est toujours moi qui m'occupe de toi quand tu te retrouves ici?
— C'est pas moi qui pourrait vous répondre, mais c'est chiant pour nous deux.

Il gonfle les joues, un peu agacé pour tout ça. Il ne sait même plus exactement pourquoi il s'est retrouvé ici, tellement il attend depuis longtemps, assis sur cette foutue chaise. Peut-être avait-il légèrement insulté quelqu'un dans la rue, ou alors avait-il était pris en train de fumer quelque chose un peu plus clair que le tabac. Il hausse les épaules et son officier attitré ne s'empêche pas de lever les yeux au ciel. Ce n'était pas vraiment de sa faute si la police de l'île n'arrête pas de l'arrêter pour des choses qu'on n'ont pas tant d'importance.
Ils restent un moment mués dans la silence, à se regarder, puis à tourner la tête, et ne rien se dire. Et au bout d'un moment il apperçoit quelqu'un au comptoir. Un sourire lui arrache le visage, et il abandonne immédiatement sa chaise, sous le regard désaprobateur de son officier.

— Eh, Lanson!

Enfin un visage familier dans cette foule d'ennemis.

— Qu'est-ce que tu fais là?

— Qu'est-ce que je fais là? Euuuuuh, je suppose que c'est une longue hist-
— Brighstone, tu le connais ?
— On peut dire ça. Qu’est ce qu’il a fait cette fois ?
— Comment ça « cette fois » ?
— On l’a choppé avec de la drogue sur lui.

Théodore reste sans voix. Alors c'était pour ça qu'il était là cette fois? Comment avait-il pu oublier cette information alors qu'il savait très bien que l'officier qui l'a emmené ici l'a fouillé. T'es con Théo, t'es vraiment trop con. Il sait plus où se mettre, blessé de se retrouver dans cette situation devant Lanson. Pourtant, son visage ne trahissait aucune faiblesse, il affichait le même faciès fier dont il avait l'habitude de se parer, comme un masque inséparable. Une belle masquarade orchestrée par son inconscient.

— Alors, d'abord, je tiens à dire que vous ne m'avez pas vraiment énoncé mes droits en m'arrêtant, du coup j'pourrais reporter ça à vos supérieurs, ensuite..., il hésite, incertain de ce qui va sortir de sa bouche, puis il se reprend en main, bien rapidement, ensuite... Ensuite, j'étais en possession d'aucune drogue.

Il ment, il ment et ça se voit sûrement. Il a toujours un pochon sur lui ; on ne sait jamais, si Oliver veut s'échapper avec lui le temps d'une récréation. Pourtant, il ne se souvenait pas avoir vu l'officier qui l'a fouillé retirer quoique ce soit de ses poches. Comment savait-il? A moins qu'ils ne l'incriminent volontairement? Peut-être que son casier judiciaire sans sanctions mais pourtant bien rempli commençait à agiter les esprits au poste? Voulaient-ils le saboter délibérement? Pourquoi d'honnêtes agents de lois voudraient faire ça? T'es con Théo, t'es vraiment trop con.

— Bon ok, j'avoue, j'en avais peut-être un petit peu, mais trois fois rien, sûrement que des miettes. Allez, on va pas en faire tout un plat pour des miettes. Elles sont peut-être un peu vertes ces miettes, d'accord, mais c'est comme si c'était... du pain rassi.

A ce rythme là, ce n'était même plus du mensonge et de la stupidité, c'était du foutage de gueule complet, et du comportement d'adolescent immature. Comptait-il vraiment se ridiculiser ainsi devant celui qu'il avait appris à considérer avec le temps comme un grand-frère? Comme un deuxième Maxime? Comme un modèle, même.

— Un peu de soutien, Lanson? J'suis en train de me faire accuser pour des choses ridicules.
Tu es ridicule, Théo.

Dans l'ascenseur, Théodore ne sait plus où se mettre. Ce n'est pas à son habitude de se trémousser nerveusement d'un pied sur l'autre, comme un gamin qui attend que sa mère choisisse sa punition. Il ne sait pas quoi dire. D'un côté, il était heureux que Lanson l'ai sorti de son affaire, mais de l'autre, il avait l'impression que les prochaines minutes en sa compagnie risquaient d'être tendues.

— Alors, comme ça tu devais déposer un dossier ici? J'ai jamais su ce que tu faisais comme boulot.

T'essaies de relancer une conversation normale, comme si rien ne s'était passé, comme s'ils s'étaient rencontrés par hasard... dans un commissariat.
Il remet timidement son bonnet en place, regardant d'un oeil distrait les étages qui défilent sur le flanc de l'ascenseur. Il se demande où ils vont ; peut-être que le sermon de Lanson allait devoir attendre, peut-être avait-il quelques obligations à remplir avant? Théodore ne sait pas, il préfère ne pas s'imaginer trop de chose. Au fond, il est ravi de pouvoir rentrer chez lui sans que ses parents n'ai vent de ce petit incident ; entre les heures de colles et le nombre de fois où il se fait sortir de cours, il ne préférait pas en rajouter sur le dos de ses pauvres géniteurs.

— On va où en fait, exactement? J'aimerais bien pas trop tarder, j'étais pas censé rentrer trop tard.
T'avais qu'à pas te faire chopper, petit con. Voilà qu'il commençait à s'insulter lui-même.

Il s'appuie contre la rambarde, attendant tranquillement que l'ascenseur finisse sa descente. Les portes finissent par s'ouvrir et il sort, probablement suivi par Lanson.

— Au fait, comment t'as fait pour me tirer de là?

Quand la question de Lanson sonne aux oreilles juvéniles de Théodore, il fait mine de réfléchir un instant. Il a beau jouer au stupide la plupart du temps, il ne l'est pas réellement. En réalité, il a plein de connaissances qu'il ne partage jamais ; parce que, lui, il veut avoir l'air du type cool, du cancre un peu bad boy qui se prend pas la tête.
Parce qu'il ne veut pas ressembler à Oz.
Il veut être quelqu'un d'autre, quelqu'un qu'on remarque pour des choses différentes.
Il veut laisser son nom traîner sur un livre d'histoire.

— Alors, laisse moi réfléchir. Un supermarché? Bon exemple de celui qui joue au débile. Non, je rigole. Je sais qu'on est dans une morgue.
La question est : pourquoi?

Il s'est assit dans le canapé comme Lanson l'a invité à le faire plus tôt, parce que de toute façon, maintenant que sa journée est gâchée par sa garde à vue qui n'était pas prévue, il n'a plus grand chose d'autre à faire.
Alors, pourquoi pas, rester un peu ici avec Lanson, et l'écouter parler de son travail, peut-être?
Ou l'écouter le réprimander sur le fait que ce n'est pas bien?
Dans les deux cas, il ne lui prêterait qu'une oreille lointaine.

— Tu sais que même si j'ai échappé à l'inculpation tu peux fermer les yeux? C'est pas une conséquence logique, genre si tu veux dormir tu fermes les yeux, j'aurais quand même échappé à l'inculpation. Tu vois ce que je veux dire?
Qu'il est insupportable quand il s'y met.

Il balance ses pieds dans le vide, en canon, l'un après l'autre, comme un gamin insouscient qui attendrait son pansement winnie l'ourson à la sortie d'une prise de sang. Mais en réalité, il scrute un peu partout la pièce, parce que ça l'intrigue quand même, et il n'avait jamais vraiment vu ce genre d'endroit avant.
Curieux, quand même, de passer sa vie entouré de cadavres.
Glauque, surtout.

— Accouche, du coup. Pourquoi tu m'as fais venir là? Tu sais très bien que si tu me fais la morale je serais fatalement, quand même, de retour ici un jour? Mes parents s'embêtent même plus.
C'est à moitié vrai, à moitié faux.
Il l'écoutera s'il lui fait la morale.
Il y réfléchira peut-être, un peu au moins.
Il s'y tiendra, deux semaines grand maximum.
Et après, il recommencera.