it's not what it looks like ✬ (lanson)

« Qu’est-ce que je peux faire pour vous Mademoiselle ?
— J’aimerais déclarer un vol, s’il vous plaît.
— Veuillez patienter par ici, quelqu’un se chargera de vous. »

La secrétaire d’accueil n’a même pas levé le nez pour me regarder quand elle m’a dit ça, et s’est contentée de me désigner du bout de son crayon l’espace d’attente dédié aux petits citoyens qui comme moi devaient passer par la police pour régler tous leurs petits problèmes.
Enfin, « comme moi », c’est vite dit. Si j’avais pu déléguer mon fardeau à la police sur ce coup ça m’aurait bien arrangée.

« C’est au sous-sol, je le sens dans mes tripes ! fait la voix que seules mes oreilles entendent.
— Tu n’as plus de tripes depuis longtemps, arrête de dire n’importe quoi, je grince entre mes dents en gardant un visage impassible pour que les gens autour de moi ne commencent pas à me prendre pour une folle qui parle toute seule.
— Au sous-sol je te dis !
— Oui j’ai compris ! »

Je soupire, excédée d’avance par la situation.
La voix, c’est celle du spectre qui me colle au cul depuis trois jours ; un macchabée d’elfe au nom imprononçable qui ne cesse de m’emmerder pour que je l’aide depuis qu’il s’est rendu compte que je pouvais le voir et l’entendre –une vraie plaie ce don, sérieusement. J’ai tenu trois jours à l’envoyer bouler mais mes nerfs ont leurs limites, et même si je suis habituée à ce qu’elles soient teste quotidiennement depuis ma naissance, parfois, je craque.

J’ai craqué à dix heures ce matin quand il a passé sa tête d’ectoplasme à travers le rideau de la douche pour me demander de l’aider à retrouver sa foutue bague de fiançailles. Bague qui se trouve bien évidemment sur le doigt de son cadavre. À la morgue de Skyworld.
Pourquoi j’ai accepté de m’embarquer là-dedans déjà ?

Une ouverture ; le staff du commissariat n’est pas autour de la porte interdite au grand public et personne ne me regarde : c’est ma chance. Aussi rapidement et discrètement possible –pour cela je peux remercier mes gênes de fée– je me faufile par la dite porte et me dirige vers le sous-sol en priant pour ne pas me faire repérer. Je ne sais pas si je suis incroyablement douée en infiltration ou si j’ai juste une chance de cocu, mais je ne croise personne le temps de mon trajet jusqu’à la salle dont la porte d’entrée et ornée d’une petite plaque de métal rouillé avec le mot « morgue » gravé dessus. Je crois que c’est bon.
Je pose ma main sur la poignée et la tire contre moi –rien à faire c’est verrouillé.

« Putain, je peste entre mes dents.
— Tu pensais vraiment qu’ils allaient laisser la porte ouvert à n’importe qui ?
— Toi va falloir la fermer vite fait si tu veux pas retrouver ta bague tout seul. Et puis t’as plus besoin de moi non ? Tu peux traverser la porte merde !
— Et comment je récupère ma bague avec mes mains de spectre, p’tit génie ?
— Faut vraiment tout faire pour vous les fantômes, franchement de vrais assistés jusqu’au bout !
— T’as de la chance que je sois plus palpable parce que je t’en aurais collé une pour ton insolence, sale gosse !
— Cheh, c’est bien fait ! »

On pourrait se dire qu’à force de m’embrouiller avec un fantôme invisible au milieu d’un couloir où je ne suis pas censée être pouvait m’apporter des problèmes.
On pourrait aussi se dire que c’est totalement ce qui est arrivé par la suite, d’ailleurs.

« Hum … Je peux vous aider ? »

Je crois que j’ai fait un drôle de bruit quand je me suis faite choper par un inconnu qui de toute évidence était habitué du coin vu son aisance dans ces lieux –je ne sais pas si j’ai envie de savoir quel genre de travail on peut faire pour se sentir à l’aise dans une morgue ceci dit. Une espèce de couinement ridicule est sorti de ma gorge, et l’abruti ectoplasmique à mes côté se serait étouffé comme un con s’il était encore vivant tant son aspiration de surprise était bruyante.

« Je… euh… »

Trouve quelque chose vite !

« J’ai perdu euh…
— Ma bague !
— Mon portable haha !
— Mais non, ma bague !
— J’ai appris que celui qui me l’avait volé a fini par ici mais personne n’a voulu me laisser le récupérer à l’accueil alors je suis descendue… »

C’était probablement le mensonge le plus ridicule que j’ai jamais inventé de toute ma vie –pourtant il semblait bien plus crédible que la vérité.

« Est-ce que… vous pourriez m’aider s’il vous plaît ? »

J’ai appris en vingt ans que jouer les petites filles perdues et titiller l’empathie des gens marchait beaucoup mieux pour avoir ce que l’on voulait qu’en criant comme un demeuré –pourtant les dieux savent à quel point j’adore crier sur les autres.
Plus qu’à croiser les doigts pour que l’inconnu tombe dans le panneau au lieu de faire venir tout le commissariat pour me tomber dessus.