Give us a better day {feat Lorrina O. Sullivan}

Aujourd’hui était un jour particulier. Alors que j’étais tranquillement chez moi, dans mon petit studio à Skyworld, mon père m’avait appelé ce matin pour savoir si c’était possible qu’on se voit l’après-midi même. Il m’invitait à venir le voir au village elfique dans lequel nous avions habité (et où lui habitait toujours). J’avais presque envie de rire, autant que de pleurer d’ailleurs. Je savais que s’il était d’accord pour me voir, c’était uniquement parce que sa compagne ne serait pas là. Il n’avait jamais eu le courage d’affronter sa femme pour faire en sorte qu’elle m’accepte dans la famille, ça m’étonnerait qu’il ait changé depuis…

Lorsqu’il s’était mis en couple avec cette Elfe, j’avais en quelques sortes perdu mon père. Il n’avait jamais pris ma défense contre elle. Remarque, je devais le comprendre… J’étais une erreur de la nature, je n’aurais pas dû naître. C’était à cause de moi que ma mère s’était suicidée. C’était ma faute si leur bonheur avait été brisé. Il était légitime qu’il cherche à retrouver le bonheur avec une autre femme, il n’allait pas rester le veuf éploré toute sa vie. Et elle, c’était normal qu’elle ne m’ait pas accepté, les Elfes avaient du mal avec ma moitié Fée… Tout comme les Fées avaient du mal avec ma moitié Elfe. Mais quelque part, grâce à ça, j’avais pu faire la connaissance de ma tante maternelle, une femme formidable. Même si j’étais du genre pessimiste, il fallait bien admettre que j’avais eu de la chance parfois… Vivre chez ma tante avait été formidable, la meilleure période de ma vie.

*Lola, ne pense plus à tout ça. Aujourd’hui est un nouveau jour. Tu ne dois plus te morfondre sur le passé. Pour que ton avenir soit meilleur, tu dois t’employer chaque jour à t’accepter comme tu es.*, me gronda mon affilié. À chaque fois que j’avais tendance à m’enfoncer dans mes pensées, elle était là pour me remettre dans le droit chemin. J’avais de la chance d’avoir un affilié comme elle, c’était la meilleure chose qui me soit arrivée. Enfin bon, j’essayais de suivre ses conseils, mais ce n’était pas facile. J’avais toujours eu du mal à m’accepter, à être bien dans mes baskets. Je suppose que les moqueries n’avaient pas aidées.

Bref, il était temps que je me rende au village elfique. Comme le temps était au beau fixe, je ne pris pas de veste, me contentant de mon pantalon noir et mon débardeur bleu marine, ainsi que mes fidèles converses bleu marine et blanches. J’adorais collectionner les chaussures… Cette paire de converses n’était pas la seule que j’avais. Ça pouvait paraitre stupide d’avoir des converses de plusieurs couleurs. Mais… C’était plus fort que moi, j’avais la collectionnite des chaussures. Enfin bref, pour me rendre au village, j’eus recours à mes ailes de fée, faisant attention que personne ne me voit. Je me posai non loin du village, à l’abri des regards. Une fois arrivée, je rétractai mes ailes, les rendant invisibles. Il valait mieux que personne ne les voit, sinon ça allait faire des histoires…

Yuka m’avait accompagné. C’était mieux ainsi, au moins sa présence me rassurait un peu. Revenir ici n’était pas facile pour moi. Mon père m’interdisait d’aller jouer dehors pour éviter que je ne me mêle aux autres enfants. Il voulait éviter que j’attire les regards, et surtout… il désirait être accepté par les siens et faisait tout pour que sa fille ne soit pas une gêne à son intégration. Il m’avait aimé, c’est sûr… Mais le jour où nous avions emménagé ici, les choses avaient commencé à changer. Et quand il rencontra sa nouvelle compagne… Rien que d’y repenser, j’avais le coeur qui se serrait.

D’ailleurs, je ne me sentais pas à l’aise dans cette communauté. Je sentais les regards de certains Elfes braqués sur moi. Il y en avait qui me reconnaissait comme étant “la fille maudite de Anario”. L’on disait aux enfants de ne pas traîner près de moi. D’autres évitaient carrément mon chemin. Ils faisaient comme s’ils ne m’avait pas vu. Comme si je n’existais pas. *N’y pense pas, tu t’en fous de ce qu’ils pensent, disent ou font. Ils sont bêtes et c’est tout. Pense plutôt à ton père, c’est rare que tu puisses le voir.*, m’intima Yuka, qui me suivait de très près. Elle faisait ce qu’elle pouvait pour me rassurer. Mais c’était plus fort que moi, j’avais l’impression de ne pas être à ma place… J’étais le boulet dont personne ne voulait. Je ne pouvais m’empêcher de me faire du soucis sur ce que les gens pensaient de moi. J’aurais tellement voulu qu’il n’y ait pas cette guerre entre Elfes et Fées !

Et alors que j’étais perdue dans mes pensées, le regard rivé au sol, je me cognai contre quelqu’un, qui avait eu la malchance de se trouver sur mon chemin. Je m’empressai de m’excuser, terriblement gênée d’avoir fait preuve de maladresse encore une fois :

”- Je… Je suis… désolée ! Je ne voulais pas… Je… ne l’ai pas… fait exprès… Pardonnez-moi… Je… Je ne vous ai pas… fait mal ?”

Comme d’habitude, j’avais bégayé et mon coeur battait contre ma poitrine. Je n’osai pas regarder en face la personne que j’avais bousculé, me contentant de fixer son menton pour éviter de paraître malpolie. Je n’aimais pas fixer les gens dans les yeux...

Cette visite à mon père me confrontait de nouveau à ce que je détestais : le regard suspicieux de mes pairs. Non pas qu’ils soient incapables d’accepter les demi-races. Le problème était ma moitié Fée. Le conflit qui opposait les Elfes et les Fées m’avait toujours porté préjudice. Chez les Elfes, on ne supportait pas mon côté Fée. Et chez les Fées, on ne supportait pas ma moitié Elfe. C’était assez ironique quand on y pensait. Ces deux races étaient pourtant si proches l’une de l’autre, elles vivaient toute deux en accord avec la nature et avaient le même but : protéger la nature. Si je le pouvais, je ferais en sorte de répandre la paix entre nos peuples… pour que plus jamais, un enfant issu de ce type d’union ne pâtisse de cette réaction de rejet qui m’avait fait tant de mal.

Je me demandais ce que mon père allait me dire aujourd’hui. Allait-il s’excuser comme toujours de sa lâcheté ? Allait-il m’emmener dans notre ancienne cabane pour parler de nos souvenirs ? Est-ce qu’un jour, sa compagne m’accepterait et me présenterait mon demi-frère ? Il avait 6 ans désormais et je ne l’avais jamais vu en chair et en os. Je ne l’avais toujours vu qu’en photos, disséminées partout dans la maison, témoignant d’un grand amour familial. Famille dont j’avais été exclue. Mon petit frère n’y était pour rien cependant. Je ne lui en voulais pas à lui. En revanche, j’avais toujours gardé une certaine rancune envers cette Elfe qui avait forcé mon père à m’abandonner.

Mais perdue comme je l’étais dans mes pensées, je n’avais même pas vu que quelqu’un arrivait en face de moi. Et ma maladresse fit le reste. La personne poussa un petit cri, sans doute tout aussi surprise que moi. Très gênée de la situation, je m’empressai de m’excuser, les joues rougies par la timidité. J’avais du mal à regarder les autres en face, je craignais toujours de paraître malpolie ou de gêner. Cependant, lorsque la jeune fille me répondit, je tentai de regarder son visage de manière discrète -ou pas :

- Ne... t'excuses pas, ne t'en fais pas. Je n'ai rien de cassé, tu m'as juste fais peur. Il n'y a pas de mal à être maladroit. Je le suis moi-même parfois. Alors c'est pardonné.

C’était une jeune fille un peu plus grande que moi, aux traits très doux. Ses cheveux étaient longs et blanc immaculé comme la neige qui vient de tomber. Ses yeux violacés étaient bienveillants. Il se dégageait d’elle une impression de douceur. Elle m’inspirait confiance tout de suite. Ses paroles étaient loin d’être agressives ou accusatrices. Elle était différente des autres Elfes. Elle m’adressa même un sourire amical en s’enquérant de mon état :

- Et toi... tout va bien ?

Je rougis encore plus, car ça n’arrivait pas souvent que quelqu’un me demande comment j’allais, surtout après une bourde de ma part. *Alors, tu vois bien que tout le monde n’est pas pareil. Il existe des gens qui ne te veulent aucun mal. Par contre, réponds-lui quand même, car elle va se demander si tu n’as pas perdu ta langue !*, m’intima Yuka, ma petite chatte noire qui me suivait partout. On avait l’habitude de beaucoup discuter par télépathie. C’était devenu automatique. Mais elle avait raison sur un point : si je continuais à me taire, mon interlocutrice allait prendre peur. Je m’empressai alors de répondre vivement, mangeant mes mots et bafouillant :

”- Je… bien ! Je vais bien ! Je vous… non… te remercie… de… de t’en soucier. Je… Désolée pour le dérangement !”

Je m’inclinai légèrement par réflexe, en signe de politesse. Nous devions pourtant avoir des âges similaires, mais c’était plus fort que moi, j’essayais toujours de me montrer respectueuse des autres. En y réfléchissant, il ne me semblait pas avoir déjà vu l’Elfe quelque part, alors que j’avais habité le village et été à l’école avec les enfants de mon âge. Peut-être habitait-elle ici depuis peu de temps ? Ou alors avais-je été tellement égocentrique que je ne l’avais jamais remarqué ? Je savais bien que j’avais tendance à toujours me victimiser mais… je ne pensais pas ignorer les gens qui m’entouraient pour autant… *Demande-lui au pire, elle ne te mangera pas. Elle a l’air sympathique, non ?*, me conseilla mon affilié. Elle était tout le temps en train de sonder mes pensées. Ça avait ses avantages et ses inconvénients. Bon… Il fallait que je me lance…

”- Je… Désolée, ma question… va te paraître… bizarre… Mais… Tu habites dans le village depuis… longtemps ? C’est-à-dire… Je… j’ai… vécu ici et… je ne me souviens pas t’avoir… vu… Oh mais... ! Je… Je ne voulais pas te vexer en disant ça ! Excuse-moi, c’était… bête…”

Ce que je pouvais être maladroite ! Dès que j’ouvrais la bouche, c’était pour dire des bêtises… J’espérais ne pas l’avoir offensé, ce serait vraiment bête, alors qu’elle avait l’air si sympathique… C’était l’une des rares personnes dans le village à ne pas m’esquiver...