security, escort this b*tch out (dantari)

Dans ton grand manteau de fausse-fourrure, t'avances dans les rues pourries des ruelles sombres. T'as la clope au bec et l'noir dans la tête. T'arrives pas à t'vider d'tes émotions c'soir, t'en as trop plein l'cerveau.
T'as mal au coeur, t'sais même pas pourquoi. C'est une d'ces nuits où t'as plus qu'jamais besoin d'attention ; comme la pauvr' pute que t'es. L'immonde chose aux milles vices. T'arrives là où t'voulais arriver, dans la taverne sale qu'tu fréquentes souvent. La taverne de Dionysos. T'pousses la porte, t'entres. Des habitués, toujours des habitués. Pas d'nouvelles têtes, t'es déçu. T'vas finir la soirée seul comme tous les jours, et t'vas rentrer au manoir en pleurant sur l'épaule d'Aricie.
Non, pas encore.

Tu scrutes du regard la pièce, p'têt que y en a un, au moins un, qu'est nouveau, qu'est différent d'la clientèle qu'tu croises souvent.
Et oui, y en a un. Ton seul espoir, ta seule chance d'recevoir ton brin d'appréciation ; ta came, ta drogue, ton tout.
T'approches, t'fais l'mec avec ton pas d'loup, t'arrives doucement et tu t'asseoies sur l'siège juste à côté. T'commandes à verre, ton étérnel gin, et t'fais mine d'siroter dedans quelques instants. T'sais pas comment aborder les gens, habituellement c'est les gens qui viennent à toi. Ils viennent t'soutirer des bribes de je t'aime, d'éphémères manières et divers services, mais ce soir, c'toi qui doit faire l'premier pas. Et t'sais pas si t'en es capable.

— Bonsoir beau mec. C'est la première fois que j'te croise au comptoir. Besoin de s'échapper un peu des tracas du dehors?
C'est nul, mais c'trop tard pour retirer tes paroles.

Cold like stone

Dante n’était pas du genre à traîner dans ce genre d’endroit, dans une taverne malfamée portant le nom d’un dieu connu pour ses festivités, où la boisson coulait à flot et où les femmes se donnaient l’une à l’autre dans des orgies printanières. Ce n’était pas une image qui déplaisait au brun, au contraire, mais malheureusement pour lui il n’y avait rien de tout ça dans cette taverne. Et la seule chose qui le pousse encore à venir ici de temps à autres, c’est son addiction à la drogue. Il cherche rapidement son dealer du regard – sans succès, ce qui lui fait froncer les sourcils légèrement.

– Bonsoir beau mec. C’est la première fois que j’te croise au comptoir. Besoin de s’échapper un peu des tracas du dehors ? »

Quand il entend ces mots, le demi-dieu tourne la tête vers l’homme assit près de lui. Il n’avait aucune envie de faire la conversation en arrivant ici, mais quitte à attendre son dealer -qui avait intérêt à se montrer- il décide de lui répondre.

– En quelque sorte, ouais. »

Dante n’allait pas lui raconter sa vie, il n’allait pas lui expliquer en détail ce qui l’amenait ici, mais il acceptait de lui parler pour tuer le temps. A croire qu’il s’est levé du bon pied aujourd’hui.

– Je savais pas que c’était possible d’être un client habitué ici. »
Il n’arrivait pas à y croire, l'héritier trop bien pour cet endroit.

T'fais une couler une gorgée dans ton gosier, ça t'brûle la trachée quand ça descend, mais ça t'dérange plus, t'as trop l'habitude. Mauvais habitude, mais nécessaire. Tu t'permets d'rigoler un p'tit peu à sa dernière remarque, les yeux qui pétillent dans un espoir vain.

— C'est beaucoup plus simple d'finir habitué ici que t'as l'air de croire.
T'en savais quelque chose, t'en es un toi-même.
Habitué d'la débauche, d'la recherche d'sentiments d'une nuit. Une rose fânée.

T'avais fini plus d'une fois dans les chambres sales d'l'étage, dans les combles ravagés. Tout ça pour quoi? Pour des sentiments suintant d'hypocrisie, suitant d'manque des deux côtés, suitant d'irrespect et d'poignes possessives injustifiées.
Ca t'arrives de t'sentir sale, d'vouloir disparaître parce que tu t'trouves ridicule, mais ça t'passes, et tant mieux. T'as pas besoin de douter plus encore, t'as pas besoin.
Encore une gorgée, t'as des flammes dans l'foie, des points dans la tête.

— J'viens là quasiment tous les soirs, j'espère trouver un truc, quelqu'un.
C'est du vrai, t'mens pas. T'as besoin qu'on s'occupe à ta place d'tes pensées, d'c'qui t'trottes dans la tête:

— J'ai besoin de m'évader un peu.
T'fixes tristement ton verre et l'fini, d'un coup sec.
C'pas explicite, c'pas non plus implicite, c'est dosé. T'as besoin d'laisser partir tes tortures, t'as besoin d'chaleur.

Cold like stone

Dante avait du mal à le croire, mais il change finalement d’avis quand il se rappelle à quel point c’est facile de s’habituer à un truc pourri, comme une drogue dure ou une taverne tombant en ruines. Alors il reste là, assis à entendre l’inconnu parler, la voix basse et l’air triste collé au visage.

– J’ai besoin de m’évader un peu. »

Il n’était pas le seul à vouloir fuir la réalité. Parfois, lui aussi éprouvait ce besoin de s’évader, d’oublier les chiffres et les montants astronomiques qu’il gérait chaque seconde, chaque minute qu’il passait dans son bureau. Tous les traders abusaient de substances illicites et chacun d’eux avait un vice ; le sexe, l’alcool, la drogue, ou tout à la fois. Et parce qu’ils en abusaient tous, Dante ne s’inquiétait pas – comme si c’était normal, comme si ça soulignait son appartenance aux monstres de la finance.

– Tu devrais essayer la drogue. C’est plus efficace que de venir prendre un verre dans cet endroit. »
Dit-il, un verre de scotch entre les mains.

– Je sais de quoi je parle. »

Tu t’retiens d’rire quand il parle d’la drogue. Quelle douce porte d’sortie. D’la magie en bâtonnet, d’la pure euphorie. Tu r’commandes un verre, trop débauché pour t’contenter d’un seul.
Si t’pouvais pas sortir d’ici avec des effluves d’amour, t’sortirais au moment avec des effluves d’alcool. T’avais appris à t’répéter ça dans ta tête de dévergondé.

— J’ai déjà tenté. Ça m’arrive encore. Ça règle pas grand chose.
T’as l’ton las, t’as la voix basse.

T’aurais pu lui parler d’ta vie mais à quoi bon? Qui voulait gratter ton masque, Ari? Qui voulait t’voir autrement qu’avec la façade qu’tu t’étais construite? Personne.
Personne ne veux voir l’vrai toi, salope.
Nouvelle gorgée qui rallume l’feu d’tes entrailles et t’rappelles les nuits d’ardeur dans des draps.

— J’ai besoin d’quelque chose que la drogue peut pas m’donner. C’est des gens qui doivent l’faire, des garçons.
T’sais pas trop où t’vas, dans quoi tu t’embarques.
T’sais jamais vers où ton bateau s’échoue, vers où tes insécurités t’amarrent.

— J’m’appelle Aristotle d’ailleurs. Tu peux m’appeler Ari. Ou « mec ». Ou « connard ». Comme tu veux.
Deuxième cul sec, la tête qui chavire. Ton bateau coule, Ari.

Cold like stone

Menteur. Dante lance un rapide regard en sa direction. Si la drogue ne réglait pas les problèmes de son interlocuteur, si elle ne lui permettait de fuir la réalité, c’est simplement qu’il ne consommait pas la bonne. Ou qu’il n’en prenait pas assez, il n’en sait rien et il s’en fiche un peu, au fond. Après tout, on ne le connaît pas pour son empathie ou pour l’attention qu’il porte aux autres ; rien de plus normal venant d'un démon.

– Dante. »

Son nom de famille lui échappe presque, mais il finit par sérer les lèvres. Il n’avait pas intérêt à ce que les clients de la taverne connaissent son identité. Parce que le fils de bourgeois ne devrait pas boire avec le peuple, et que le conservateur ne devrait pas traîner avec les dépravés. Il le sait bien et pendant quelques secondes, il se dit qu’il aurait presque honte d’être vu là.

– J’imagine que tu te fais souvent traiter de connard. »

Il fait tourner son verre de scotch entre ses doigts, sans quitter le liquide doré du regard.

– Pourquoi ? »

Le demi-dieu se demandait si l’inconnu à ses côtés lui répondrait franchement – ça aurait au moins le mérite de l’intéresser. Et il se souvient rapidement qu’il y a quelques années, sa mère lui avait offert un livre intitulé « Aristotle and Dante discover the secrets of the Universe ». Il s’était contenté de lire la page de couverture, mais peut-être qu’il connaîtra finalement certains secrets ; ceux d’Aristotle, s'il les lui confiait.

— Plus ou moins. Certains se privent pas d'le faire ; me traiter de connard j'veux dire.

Tous les deux d'vant votre verre, c'est à peine si vous tournez les yeux l'un vers l'autre. T'sais même pas si tu l'as fait une fois depuis l'début d'votre discussion. Alors, tu l'fais, tu tournes tes iris vers sa tête. T'observes ses traits, ses ch'veux, son nez. Pas mal. T'as une vieille impression, comme un relant d'richesse qui émane d'ses pores. Sa tenue, sa posture, sa boisson, tout puait les moyens et les billets. T'avais appris à r'marquer c'genre de détails. T'pourrais appeler ça d'l'expérience professionnelle.

— J'sais pas trop pourquoi. Parait que j'peux me montrer désagréable au goût de certaines personnes. C'est p'têt vrai, c'est p'têt faux, j'suis pas l'mieux placé pour juger.
Et t'hausses les épaules d'une nonchalance rare.

Tu fais genre d'vant les gens qu'ça t'atteint pas, qu't'y penses pas, mais en vrai t'arrives l'soir dans les bras d'Aricie et tu t'sens sale, et tu t'sens mal. Pourquoi t'oses pleurer Ari? Pourquoi t'essaies encore d'soulager tes peines alors qu'tu sais qu'tes plaies sont ouvertes pour des années? Parce que t'es encore qu'un bébé. T'as p'têt plusieurs siècles de vécu, mais t'as pas eu quelques siècles de liberté. C'est la première fois qu't'as rien ni personne pour t'retenir.
Alors pourquoi t'as l'impression d'merder chaque fois qu'un mec t'embrasse dans l'cou?

— Disons que j'fais l'genre de métier où la satisfaction du client est très variable, et dépend pas trop de moi. S'ils décident que c'était pas bien, j'peux rien faire. J'sais pas si tu comprends. T'as pas l'air d'être le genre de type à comprendre beaucoup.

T'sais pas c'que tu racontes, t'sais pas s'il réussi faire sens d'tes paroles dans sa tête. T'sais pas si tu l'repousses ou si tu l'tires vers toi.
C'qui est sûr c'est qu't'as rapproché ton tabouret.

Cold like stone

– Écoute mec, je suis pas d’humeur à jouer aux devinettes. »

Certes, il ne comprenait pas ce qu’il disait, mais c’est bien parce qu’il n’écoutait pas attentivement ses mots. En arrivant ici, Dante pensait acheter de la poudre blanche auprès de son dealer ; et pas taper la discussion avec un inconnu éméché. Il lâche un soupir, exaspéré par la situation – ah, les foutues surprises de la vie. Il les détestait.

– Et si t’allais droit au but ? »

Qu’est-ce qu’il faisait réellement comme métier ? Aristotle pouvait aussi bien être coiffeur que tatoueur, il n’en sait rien et ça commence à l’énerver. Le demi-dieu finit le contenu de son verre avant de se tourner vers son interlocuteur, qui a l'air aussi faible que les mots qui s'échappent de ses lèvres.

– Est-ce que t’es conscient de ce que tu racontes, au moins ? »

Peut-être qu’il n’aurait pas dû lui répondre, tout compte fait. Peut-être qu’il aurait dû l’ignorer, comme il a l’habitude d’ignorer les personnes qui n’ont rien à lui apporter. Il lâche un soupir, regrettant presque de s'être déplacé. Le seul homme qu'il voulait voir ne s'est toujours pas présenté, et il se retrouve dans une situation qu'il aurait préféré éviter. Ce mec est bourré, en plus. Alors il juge son interlocuteur, comme pour faire passer le temps ; comme pour se donner une raison de rester encore dans cette maudite taverne.

T'ricanes sans vraiment l'vouloir, un peu macabre. T'es l'diable en prada, Ari. T'es l'démon en fausse fourrure.

— Ouais, t'inquiètes, j'suis encore clair.

C'est pas totalement vrai, ni totalement faux. T'es pas très clair mais pas complètement flou non plus. Tu t'demandes c'que tu fais encore là, pourquoi tu t'obstines avec des gens aléatoires, t'sais plus, t'as p'têt jamais su.
T'cherches encore un sens à ton existence, après tous ces siècles t'aurais déjà dû trouver. Tu r'prends un verre, t'crois que t'as fini celui d'avant. Sûrement qu'en fait, t'es définitevement pas très clair.

— J'suis escort. Tu peux m'traiter d'pute si tu veux, c'est pas la pire insulte que j'ai entendue.

T'as aucun filtre, aucun tact, aucune métaphore à bégayer. T'sais pas quoi faire de ta peau, t'gigotes sur ton siège comme un serpent stupide. Tu t'sens soudainement mal à l'aise, comme si tout c'que t'as dit depuis le début de la discussion t'revenais dans la gueule comme un boomerang. Tu t'pinces l'arrête du nez maladroitement et plonges ton nez dans ton contenant.

— Je juge p'têt un peu vite mais d'après ton look t'as l'air de quelqu'un qu'à du flouze. T'es quoi en vrai? Commercial? Banquier? Oracle?

Habituellement, t'sais repérer les gens qui ont d'l'argent, parce que t'adores te donner l'défi d'les dépouiller contre quelques faveurs.
Mais cette nuit, c'toi qui cherche les faveurs.

Cold like stone

Dante détourne son regard du sien. Il juge son interlocuteur silencieusement, mais il ne fait pas de commentaire sur sa profession. Après tout, tous n’ont pas la chance de naître dans une famille comme la sienne -fortunée- et tous ne sont pas assez malins pour se faire de l’argent autrement qu’en vendant leurs corps.

– Pas la peine. J'ai rien contre les escort.

On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais pas d’être un hypocrite - pas là-dessus en tout cas. Dante connaît trop de filles de joie pour faire semblant de ne pas apprécier leur compagnie. Il n’y a peut-être rien de prestigieux dans ce qu’elles font, mais elles au moins ne font pas l'erreur de s'attacher à lui.
S'il y a bien une chose qu'il déteste, c'est qu'une de ses conquêtes lui colle aux pieds.

– Je juge p'têt un peu vite mais d'après ton look t'as l'air de quelqu'un qu'à du flouze. T'es quoi en vrai? Commercial? Banquier? Oracle?

Lui, fonctionnaire ? Il fait la grimace. Et puis quoi encore ? Il préférerait mourir plutôt que de travailler dans le secteur public, au service des autres, des pauvres, des personnes quelconques.

– Je bosse dans la finance, ouais. Je vends des parts de marché aux gens qui savent plus où investir leur argent.

La vérité, c'est qu'il n'a pas besoin de travailler pour avoir de l’argent. Il pourrait tout plaquer du jour au lendemain pour faire le tour du monde. Il pourrait vivre avec les millions qu’il a dans ses multiples comptes en banque à Monaco, à New-York et à Skyworld. Il pourrait faire n’importe quoi de sa vie, mais il a choisi de vendre du vent – des pourcentages, des chiffres, à des clients qui pourraient tout perdre à cause du système dans lequel ils investissent leur argent. Ces cons.

– Tu cibles souvent les gens avant d'aller leur parler ?