my coffee's bitter but i swear i'm sweeter

Journée ensoleillée, matinée. Prévoyante Summer, qui comme à son accoutumée, se lève tôt malgré des horaires pas véritablement matinaux à l'extrême.

Douche, après laquelle elle sèche ses cheveux, puis vêtements, maquillage en petites touches, et hop, le vent sur ses joues. Mini-jupe noire, évasée, qui tombe légèrement jusqu'à mi-cuisses. Une chemise de la même couleur est rentrée dedans, couverte par un pull plutôt long dont la couleur rappelle celle des barbes à papa que l'on trouve sur les fêtes foraines en été. Collants résilles aux mailles plutôt larges, et bottes lacées à talons, qui étreignent ses jambes jusqu'aux genoux. Deux chaînes argentées autour de son poignet gauche, puces d'oreilles scintillantes sur ses lobes, elle s'en va suivre son ennuyeuse routine.

Tous les matins, la rouquine sort de chez elle, pour aller prendre un café.  

Rien ne change jamais, à part peut-être l'employé qui lui donne le large gobelet cartonné contenant son carburant quotidien, et parfois le temps. Toujours pareil, après tout, pourquoi en serait-il autrement ? Elle s'ennuie, parfois, c'est vrai. Souvent, même. En attendant sa commande, elle laisse toujours son regard se perdre sur la foule de gens qui se pressent dès le matin dans cette ville. Quelques drachmes laissés sur le comptoir par un homme moins aigri qu'il n'en a l'air, elle l'imite en ajoutant une pièce à l'addition, un sourire angélique en direction du serveur. Peut-être qu'un jour... Investissement portant trop d'espérance, Summer, ce n'est pas un garçon de café qui va finir par gagner assez d'argent pour la satisfaire. Mais qui sait ? Elle se laisse le droit de rêver, parfois.

Tous les matins, elle le choisit à emporter, sans lait ni sucre, parce que l'amertume la réveille et qu'elle a tendance à emporter un fruit avec elle.

Ce matin, une pomme.

Mais contrairement à tous les matins, elle préfère flâner que s'asseoir sur un banc de la grande place.  

Grossière erreur.

Journée ensoleillée, matinée. Pas si prévoyante, Summer, qui n'avait pas prévu que ce matin, quelqu'un ferait preuve d'étourderie. Prévoyante, pas clairvoyante, et elle ne voit pas cette silhouette se rapprocher un peu trop dangereusement de la sienne.

my coffee's bitter but i swear i'm sweeter

Il y a un impact, que tu sens un peu trop tard sans l'avoir anticipé. Il y a aussi une soudaine vague de chaleur, qui t'envahit.

Littéralement.

Voilà qui est  bien inhabituel. Toi qui porte la routine sur le top trois de ces choses qui te déplaisent le plus dans la vie, te voilà servie.

Un instant, tu repenses aux comédies romantiques que tu as déjà vu, et à leur ressemblance d'ailleurs à ces contes de fées que tu abhorres. Si cela avait été une comédie romantique, tu sais très bien ce qui serait à venir. Un regard éploré, de chaudes excuses. De l'aide pourquoi pas, une proposition, une invitation à boire un autre café peut-être. Oui, un coup de foudre à la saveur puissante d'espresso. Les héroïnes de romcom semblent toujours oublier leurs obligations pour les beaux yeux d'un homme, alors qui sait, peut-être que tu t'abstiendrais d'aller au travail. De toute façon, même s'ils sont souvent PDG, les love interest de ces films ne semblent pas faire grand-chose non plus. Alors qui sait, peut-être qu'une balade autour de la ville pourrait être plaisante. Tu partirais avec son numéro et, quelques jours plus tard, tu recroiserais l'éphèbe, sans avoir cessé de penser à lui. Alors, il t'annoncerait tout d'un coup que tu as hanté ses pensées et qu'il a écumé la ville toute entière, pourtant très grande, pour te retrouver, et qu'enfin il y est parvenu. Que c'est le destin et que vous devriez vous marier.

Oui mais voilà, la vie n'est pas une comédie romantique, tu es imperméable aux coups de foudres et à beaucoup d'occasions d'amour à petites doses en général.

Cependant...

– Je suis vraiment désolé

Tes pupilles crépitèrent d'amusement - façon de parler bien sûr - et le reste de la phrase de ton interlocuteur se retrouve presque comme noyée. Tu l'entendis, mais ton attention fut si capté par la première partie que le reste sonna presque étouffé. Comme si quelqu'un l'avait crié dans un tunnel, et qu'il s'était retrouvé obstrué au dernier moment par un éboulement soudain. Des sons un peu vagues, auxquels tu te contentas d'acquiescer machinalement.  Oui, bien sûr que tout va bien. Non. Une seconde. Non ça ne va pas. La sensation de chaleur ressentie précédemment perdurait, et en baissant la tête, tu compris d'où elle venait. Ah. Ce pull. Ce joli petit pull rose pâle que l'on t'avait acheté en échange de... Peu importe. Tu aimais beaucoup ce pull. Sa couleur était très jolie, et son cachemire très tout. Une pause, un instant. Le sourire machinal que tu avais esquissé se fige sur ton visage. Ah, oui. Ton pull en cachemire, oui. Non, définitivement, ça ne va pas.

Reste calme. Voilà, tu pris le mouchoir qu'il te tendait, essaya d'arranger un peu la situation. Bien sûr, tu ne pouvais réparer qu'une partie infime du dommage causé à ton pauvre petit vêtement qui, décidemment, n'avait rien demandé. Ah. Et tu n'avais pas pu finir ton café aussi. Voilà qui n'arrangeait rien à ta situation. Cliché mais vrai, tu faisais partie de ce pourcentage de personnes aigries à qui le café par son amertume, probablement en contraste, qui sait, apportait un peu de douceur à ton quotidien. Un instant, tu inspiras, expiras, puis tentas de réfléchir. Essaie de dramatiser la situation. Fais-le à voix haute, peut-être qu'il sera un peu plus détendu comme ça. Les dégâts sont trop ennuyeux pour que tu aies envie de ruiner un peu plus le début de journée avec une mauvaise impression auprès de quelqu'un, peu importe à quel point ce quelqu'un t'est inconnu. Alors, avec un petit rire légèrement forcé auquel tu donnas autant de naturel que possible, tu pris la parole.

 – Eh bien, j'ai connu des salutations plus cordiales, je dois bien l'avouer. Ce n'est pas tous les jours que l'on pense à percuter quelqu'un pour dire bonjour. Vous alliez quelque part, pour être si pressé que vous n'aviez plus le temps de regarder autour de vous ? Monsieur l'original...

Bien, très bien. Un sourire chaleureux, alors que doucement, tu retiras ton pull pour éviter de rentrer à nouveau dans quelqu'un et amplifier les dégâts, mais surtout pour te redonner un peu de contenance. Tu le noues mollement, croisant les manches autour de ta taille fine, là où ta simple chemise noire disparaissait sous la mini-jupe que tu avais décidé d'y assortir. Tu fais bien attention à ce qu'ainsi la tâche ne soit plus visible, et remue un peu le tissu de ta chemise pour que le peu de café ayant outrepassé la barrière de ton pull sèche un peu plus vite. Lorsque tu as fini ton petit manège, tu replantes tes yeux dans le regard de celui qui en était la cause.

 – Je veux dire, d'habitude, on commence au moins par les présentations. Summer, c'est mon prénom. J'ai l'audace de demander le vôtre ?

my coffee's bitter but i swear i'm sweeter

Douce et affable poupée aux cheveux de feu, que le destin s'amuse à faire danser dans cette maison de poupée géante au nom de "monde".

Jolie créature dont le marionnettiste est un diable mesquin qui se réjouit des situations cocasses dans lesquelles il l'entraîne et la laisse s'emmêler lentement.

Ni de cire, ni de son, encore moins de chiffon, poupée mannequin en manque de peroxyde, pas l'allure assez plastique pour les plus avides. Pas très plastique mais assez angélique, semblerait-il, son interlocuteur du jour se satisfait de ce petit morceau de psyché qu'on lui montre. Que Barbie vétérinaire se pousse, voici Summer gentille fille, qui à priori, en se basant sur l'expérience, n'a nullement plus la tête de l'emploi que sa comparse blonde. Ça fonctionne, pourtant. L'une s'invente des diplômes, l'autre des qualités, et tout le monde ((ou presque)) y croit, sans même se poser la moindre question. Le brun, en tout cas, se laisse convaincre par tes mensonges, Summer. À vrai dire, c'est compréhensible, il est toujours plus agréable de recevoir une réaction calme et positive après s'être rendu coupable d'un tel accident. Personne ne voudrait chercher la petite bête du courroux que tu t'affaires à cacher, dans ce type de situation.

Il se laisse aussi aller au jeu banal de la conversation et de la cordialité, joue le jeu des présentations, celui de l'échange des politesses. Lanson, puisque tel est son nom, donc, est un homme qui te paraît fort charmant et poli. Il semble sincèrement désolé d'avoir ruiné ton pull, un sentiment aimable trop rare pour que tu ne l'acceptes pas.Si charmant, si poli, qu'il te propose un nouveau café. Occasion en or de faire connaissance et de récupérer la dose de caféine que ton pull t'a volé malgré lui. Mécaniquement, faussement mécaniquement, avec une légère vanité que tu fais paraître innocente et accidentelle, l'index et le pouce de ta main droite saisissent l'une de tes mèches de cheveux. Ils remuent, la laissent s'entortiller autour d'eux, tout doucement, alors que tes lèvres se tordent en une moue pensive. Joue les occupées, fais-toi désirer. Faussement pensive, oui, tu prétends peser le pour et le contre alors que tu as déjà décidé d'accepter son invitation.

La moue disparaît de ton visage, au profit d'un sourire qui voit le jour au moment où tu hoches la tête, puis tes lèvres s'agitent pour laisser échapper une voix à laquelle tu mêles et exprime un brin d'amusement. Ses réactions t'amusent, tout autant que ce rappel inconscient de ton fantasme de comédie romantique parfum expresso. Tout se passe bien, pour le moment, et ce sentiment d'être en contrôle affute tes sens. C'est grisant. Terriblement grisant. L'adrénaline, tu la sens doucement monter en toi, comme un bouillonnement lent, un grondement sourd, qui explose finalement sous une forme bien plus mignonne que prévu. Ta petite tête, d'avantage bien faite que bien pleine, s'incline au fil de tes mots, mais tes yeux ne se détachent pas du point d'ancrage qu'ils ont planté dans les pupilles de ton interlocuteur. Le regard doux, les yeux un peu plissés pour aller avec ton sourire, toujours.

– Si je peux vraiment le boire cette fois, moi et pas mon pull, quelle raison aurais-je de refuser ? C'est très aimable à vous... Je suis sûre que... certaines autres personnes seraient tout simplement parties... mais vous n'étiez pas pressé ? Je doute que la demoiselle qui partage vos jours se ravisse de vous voir arriver en retard parce que vous preniez un café avec une autre... Oh, peut-être que ce n'était pas ça du tout, ou que vous... Enfin, je suis bien indiscrète, pardonnez-moi. Peut-être pourrions-nous nous tutoyer ? Je dois avouer être un peu mal à l'aise de prendre un café avec quelqu'un que je vouvoie, mais si cela vous dérange alors je m'en contenterai.

Subtilité, partie plus loin et plus vite que tes rêves de carrière intéressante, Summer. Un pas de recul, que tu esquisses en faisant bien attention à regarder autour de toi cette fois. Une erreur, pas deux. Un pas de recul, et ton regard se pose sur un café non loin, le plus proche possible.

 – Si vous tenez à ce café, peut-être pourrions-nous aller dans cet établissement ? Je n'en suis pas une habituée, mais il me semble le plus proche. Bien sûr, je suis ouverte à toutes recommandations !

Sourire de sphinx, à nouveau.

C'est dingue comme tu exsudes la confiance en soi, lorsque tu penses savoir à quel genre de personne tu as affaire.