remembering how your lips taste (dante)

Aelicya traînait son corps de pièces en pièces ou de rues en rues - toujours trois fois par semaine - mais rapidement elle ressentit que ça ne lui suffisait plus. L'alcool lui éventait l'esprit mais rapidement les mots trop durs lui revenaient en pleine gueule - et même les liqueurs les plus fortes ne redressaient pas son estime d'avant ce soir-là.

Alors quand elle émergea de ses draps blancs - les siens contrairement à la veille et malgré les reproches elle n'avait pas arrêté sa luxure toujours plus attirante avec Darragh, elle soupira en premier lieu pour scruter l'heure sur son smartphone. Elle savait que ce serait difficile - mais elle ne pouvait pas y laisser plus de plumes que la dernière fois, de toutes les manières.

Quand trois heures plus tard - le soleil au zénith - ses escarpins noirs foulèrent le trottoir impeccable devant l'entrée du bâtiment trop imposant pour que ce soit n'importe qui qui y demeure, elle s'efforça d'inspirer profondément pour ne pas dévoiler les crises d'angoisse à répétition qu'elle avait retrouvé après des années d'absence - et qui lui faisaient tant horreur, la faiblesse. Pourtant, elle avait affuté ses armes, et quand bien même elle se refusait encore dans un entêtement risible tout contact charnel, elle avait pris soin de revêtir une robe griffée noire par dessus un corset en dentelle, le tout recouvert d'un imperméable gris et d'une capeline rouge sang.

Elle interpella celui qu'elle identifia comme le concierge et demanda à être menée à destination - tout du moins l'indication. Elle fixa les étages grimper dans l'ascenseur comme s'ils avaient été la mesure de son propre rythme cardiaque, et il n'y eut que le tintement pour la sortir de sa torpeur. Elle avait beau essayer de le cacher, il l'avait blessée bien plus que n'importe qui depuis des années.

Après tout, c'est ce qu'elle avait cherché.

Elle ne s'annonça pas, de derrière la porte. Se contenta d'un murmure pathétique et implorant.

« Ouvre-moi. Elle se retint d'ajouter les formules de politesse qui la rendraient plus vulnérable encore, et préféra se tourner vers la vitre de l'ascenseur qui peinait à refléter son image - la reine déchue de son trône.

Son souffle sembla revenir quand elle entendit le loquet se débloquer - finalement ce fut moins long que prévu. Et les deux iris vertes qu'elle croisa ne furent pas celles qu'elle espérait. Elle se crispa, presque immédiatement. Repris une posture plus fière - elle n'allait pas faillir maintenant.

« Emma-Serah. Elle inclina la tête sans détourner le regard - même elle trouvait plaisir à scruter la Hottenberg - et pas la moindre once de mépris ne saurait s'approprier les traits de son visage. Il y avait prescription. « Peux-tu me dire si Dante est ici ? Elle n'en oubliait jamais les bonnes manières, à défaut de perspicacité.

Bien sûr qu'il était chez lui.

Quand Aelicya pénétra dans la pièce principale où Dante venait d’entamer son petit-déjeuner, elle eut quelques scrupules à débarquer pour demander des explications ou s’excuser selon comment on l’interprétait. Il n’était même pas réveillé de sa folle soirée de la veille - elle le devinait rien qu’à l’heure tardive de leur réveil. Rien que l’idée la crispa mais elle se rappela si elle s’était promis d’être plus intelligente cette fois.

La sang-pur posa son sac dans l’entrée et enleva son manteau dès que Dante lui proposa de s’installer. Elle se servit spontanément du café et pris place sur le fauteuil en face du Sinclair, sans le quitter des yeux - cette fois elle ne sera pas faible devant ses prunelles glacées.
Elle ne rompit le silence qu’une fois sa cigarette allumée - elle ne se permettait pas encore de piocher dans le paquet de son hôte.

« Bon appétit. » elle n’était pas capable d’articuler plus que ça de toute manière. La tension qu’il avait instauré avec des salutations froides eut pour effet de la braquer, plus qu’à son arrivée, malgré qu’elle soit consciente d’avoir une grosse part de responsabilités dans cette histoire. Elle aurait pu se vexer devant l’opulence du petit-déjeuner qu’elle savait justifiée par la présence de la Hottenberg quelques minutes plus tôt, mais elle se ravisa quand elle prit conscience qu’à la différence de la nouvelle blonde, elle n’avait jamais passé la nuit ici. Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé avant qu’elle ne se permette de rompre le silence palpable.

« L’autre soir, j’ai aperçu Emma-Serah au restaurant. »

« Avec un autre homme que toi ». Inutile de le préciser, il était suffisamment intelligent pour le deviner tout seul. Elle tapota la cigarette pour faire tomber le trop-plein de cendre dans le cendrier et croisa ses jambes pour se donner un semblant de contenance.

« Je suppose donc que tu vas aller la suivre pour la fliquer, elle aussi ? »

Je ne suis pas stupide, tu n’étais pas venu juste pour me voir.

« Oh pardon. Pour la voir. »

La première intention d'Aelicya avait été de s'excuser purement et simplement. Elle savait pertinemment qu'il était venu pour elle - presque pour la chercher et la ramener dans le droit chemin. Par pur esprit de contradiction et pour se redonner une contenance face à cet homme, elle s'était permis d'aller jusqu'à lui donner des détails futiles sur sa nuit avec Darragh.

« J'hallucine. Tu es en train de me faire passer pour une garce simplement parce que tu as découvert oh mon dieu que j'avais couché avec un homme. » Dans toute sa théâtralité, elle s'était relevé et l'avait regardé de haut, profitant du fait qu'il était toujours assis. « Tu veux un scoop ? Je fais ce que je veux, je n'appartiens à personne. Et je ne tolère pas que tu puisses me dire des choses pareilles alors que tu viens de faire sortir une femme de ton lit, sans que ça te dérange. » Son ton était ferme et d'un calme qui la surprenait elle-même. Intérieurement elle bouillonnait, brûlait de lui arracher une vérité qu'elle savait très bien, à l'instar de Dante, mais qu'il était incapable de prononcer.

La vampire n'arriva pas à garder son sang-froid et le regarder droit dans les yeux en même temps. Elle se rassit sur son fauteuil, comme s'il avait été plus sage de plier un genou, rien que pour apaiser la tension palpable qui régnait entre eux. « Je le crois pas. » Elle regardait dans toutes les directions possibles sauf dans la sienne, et soupira alors qu'elle reprit la cigarette laissée dans le cendrier. « Tu sais quoi ? T'as raison, je vais t'expliquer. »

Elle trouva au fin fond d'elle-même le courage de lui faire face visuellement, mais ça ne durait jamais longtemps. plus encore que la pression qu'elle exerçait sur elle, elle craignait de voir son pouvoir empathique se déclencher. Pas pour ce que lui pouvait ressentir, mais pour ce qu'il pouvait déceler de ses émotions à elle - l'ironie de son pouvoir. « À ses yeux je ne suis qu'une conquête de plus. » Elle marqua une pause, comme si la suite eut été trop dure à verbaliser. Sa voix s'éteignit, mais elle savait que lui était encore capable de l'entendre. « Mais à ses yeux à lui, je m'en fous. »

Toi, c'est différent.

Aelicya s'arrêta inconsciemment sur l'avant dernière phrase du demi-dieu et elle aurait pu avoir toutes les fleurs ses pieds qui lui prouvaient qu'il l'aimait qu'elle n'aurait pas eu le coeur battant si vite. Son regard interloqué bleu glacé se fixa sur les traits de Dante, et quand elle ne décela aucune émotion seulement peinte sur son visage, elle se leva, en étouffant un léger rire - nerveux.

« Non, ce n'est pas ça que je voulais. » Parce que ça, ce n'était rien. Et que rien, c'était pire que le haine peut-être. Elle prit sa tasse de café - encore remplie, mais il n'avait pas à le savoir - et se dirigea vers la cuisine d'un pas feutré sans une considération de plus pour son hôte. Elle posa la tasse sur le plan de travail et se pencha en s'appuyant sur la surface pour reprendre ses esprits et calmer le vent de panique qui venait de traverser son corps malmené par une froideur qu'elle avait provoqué toute seule. La phrase qui lui disait qu'elle n'était rien à ses yeux martelait son crâne dans une douce torture, et le souffle court, elle posa une main sur sa poitrine.

Puis elle se rappela, que lui ne disait jamais rien clairement - en tout cas pas à elle. Que si elle était froide, lui était pire encore, et qu'elle avait pris l'habitude de lire entre les lignes de ses paroles pour se nourrir d'une affection si c'était le mot si particulière. Elle sourit, de sa propre bêtise à réagir trop vite et plus encore de l'impasse dans laquelle ils étaient, tous les deux.

Elle se resservit du café, pour justifier son absence de quelques secondes - minutes. Et quand elle revint, elle s'arrêta à l'encadrement de la porte, s'appuyant contre le cadre, fixant le demi-dieu d'un regard nouveau depuis leurs deux dernière rencontres. « Puisque tu es si honnête avec moi en me disant que je ne suis... » Son ton mesuré et sa voix qui ne parvenait pas à prononcer l’imprononçable. « ... rien. Je vais te dire pourquoi j'ai couché avec Darragh, mais que je ne couche pas avec toi. »

Rien que le prénom de son amant prononcé aux yeux de Dante changeait le ton suspicieux de leur conversation. Elle le savait, mais n'était pas plus inquiète que ça de la suite. De toute façon, ça ne pouvait pas être pire. « Je sais très bien ce qui m'attend après, avec ce genre de type. On va s'appeler de temps en temps, se revoir, discuter un peu, mais rien de plus. Je sais que de toute façon, rien ne changera, qu'il s'agisse de mes sentiments ou de sa considération pour moi. Et même, je vais te dire plus, j'en ai rien à foutre. » Elle continua de fixer le demi-dieu comme si ces paroles ne seraient pas aussi sincères si elle détournait les yeux. Son expression impassible à son tour, peut-être agrémenté d'un léger sourire, comme si lâcher la vérité faisait disparaître un poids imaginaire qu'elle s'était inventé.« Avec toi, je ne sais pas. »

Elle marqua une pause, et même s'il avait eu l'envie ou le besoin d'ajouter quelque chose - de la contredire, elle ne lui en laissa pas le temps. « Je me suis toujours refusé d'aller plus loin que ce qu'il y a déjà entre nous parce que j'ai l'impression assez désagréable que ça cassera quelque chose. Et ça, j'avoue que ça me fait peur. »

Tout ce que je ne voulais pas.

Aelicya sentit l'ensemble de ses muscles se tendre et sa respiration se saccader quand il fit un pas vers elle, puis deux - elle en avait l'habitude maintenant mais chaque fois elle se surprenait à réagir encore et toujours de la même manière. Et puisque le pardon était prononcé, elle pouvait renouveler ses blasphèmes avec tout l'art et la manière dont elle était pourvue.

« Tu m'en vois ravie. » Elle est facile, Aelicya. Le sourire qui fleurissait au creux de ses fossettes enfantines d'une douceur à rompre avec l'excitation de son palpitant - et le souffle mâle qu'elle sentait au-dessus de sa peau lui faisait frémir le ventre sans la moindre difficulté - déconcertante.

Et elle s'enroule un peu plus dans le tumulte de sa frustration quand elle passe un bras puis deux au cou de l'héritier - elle s'y accrochait encore. Avec cette même facilité elle se hissa sur ses talons noirs - qu'elle hésita à déchausser et ce serait présomptueux - pour approcher ses lèvres rouges de la bouche de son hôte - aimé.

« Oh chéri, tu sais bien que l'expérience fait qu'on sait tout - bien plus qu'en lisant des livres »

Un murmure et un souffle suaves qu'elle rendait avec plaisir, en continuant de le scruter en relevant les yeux - elle n'avait jamais eu le choix et ça ne lui déplaisait pas tant que ça. Et ça se répète, encore et encore, le même doigt qui vient frôler le bas de la joue, la voix qui s'éteint pour instaurer une tension différente de la précédente - elle se croirait à nouveau dans le bar pour peu. « Tu penses que ce sera différent avec toi ? » Elle ria un instant léger comme si c'était possible - puisqu'un jour où l'autre de toute façon, il essaiera de lui donner tort et elle le savait ça aussi.

Elle aurait pu fuir à ce moment-là et se dérouler du corps du Sinclair pour simplement attendre et voir patiemment, tout ce que son esprit réclamait mais que son corps refusait. Elle se glissa simplement avec le même rictus au bord des lèvres et leva un peu plus les yeux - les pupilles ancrées encore et toujours dans celle de son vis-à-vis.

Elle s'amusait de tout ça.