••• falling through his life ; Maxime

❥ FALLING

▬ On peut savoir où tu vas ? Miaula le chat noir à l’intention de sa liée, la main posée sur la poignée de la porte d’entrée.

▬ Nulle part en particulier, en ville. Faut que je sorte, j’en ai marre de rester enfermée.

L’animal ne répondit rien mais l’espèce de ronronnement satisfait qui fit vibrer sa gorge l’instant d’après était sans équivoque, et tira un sourire amusé à la jeune fille ; il était bien content que sa liée se bouge un peu. Une gratouille derrière l’oreille, un baiser sur la tête et un sourire un peu bancal plus tard, la rouquine claqua la porte derrière elle. De l’air ; elle en inspira une longue bouffée qui emplit ses poumons et la fit frissonner.
C’est vrai qu’elle en avait marre Maxime, de rester cloîtrée chez elle. C’était stupide au fond car rien ne l’empêchait de sortir, si ce n’est elle-même et cette foutue crainte d’affronter le monde ; et dieu que ça l’agaçait d’être aussi débile, aussi faible. Elle prétextait d’avoir beaucoup de travail pour ne pas inquiéter ses proches qui se souciaient de ne pas la voir sortir, et elle se plongeait jours et nuits dans son atelier, penchée sur ses machines et leurs rouages rouillés pour s’occuper l’esprit et ne pas penser. À quoi ? À Clyde ? Un rictus un peu amer tordit le coin de sa bouche alors que la silhouette du phénix s’esquissa dans son esprit. Au fond quand bien même le fait d’avoir très probablement perdu un ami la peinait, ce qui la rongeait le plus, c’était ce sentiment d’abandon qu’il avait laissé derrière lui et qui avait ébranlé sa confiance déjà bancale. Sans parler de son espèce de dispute avec Ethan, qui n'avait qu'empirer les choses. Elle n’était sûre de rien, avait peur de tout, et coincée dans cet espèce d’entre-deux léthargique, elle ne savait plus quoi faire. Mais plus maintenant. Parce qu’elle s’était infligée une bonne claque mentale pour se réveiller, parce qu’elle était fatiguée de déprimer dans son coin comme une idiote et parce que putain, si elle n’était pas foutue de se relever après une pauvre petite déception comme celle-là, alors elle n’était pas sortie de l’auberge –et puis concernant Ethan, ce ne serait pas en déprimant toute seule dans son coin qu'elle parviendrait à se faire pardonner pour sa bourde ; elle n'était pas encore bien certaine de la nature de celle-ci d'ailleurs, mais si cela avait suffit à heurter son ami, elle était prête à demander pardon dans tous les cas.

Ses pas la guidèrent machinalement jusqu’à l’épicerie du quartier, non loin de la grande place d’Athéna –elle avait bien deux trois babioles à acheter mais ça pouvait largement attendre ; néanmoins elle pénétra tout de même dans la boutique, puisqu’elle n’avait rien de mieux à faire pour le moment, et que ce qui était fait n’était plus à faire. Nonchalamment elle attrapa un panier qu’elle cala au creux de son bras et commença à lister intérieurement ce dont elle avait besoin quand du coin de l’oeil, elle remarqua quelque chose d’inhabituel ; un jeune homme, cloué dans un fauteuil roulant –pourri le fauteuil, elle pouvait le dire d’un regard– en train d’essayer d’atteindre un de ces plats presque tout faits qui demandent juste à être cuits pour être consommés. Durant quelques secondes, elle l’observa silencieusement, curieuse de voir s’il allait finalement l’atteindre ou pas –elle eut sa réponse quelques instants plus tard ; non.
Elle aurait bien voulu avoir l’assurance suffisante pour se placer à ses côtés et lui tendre le pot de nouilles avec un grand sourire chaleureux, mais elle ne pouvait s’empêcher de trop penser ; et s’il la trouvait trop intrusive ? Qu’il lui disait de ne pas se mêler de ce qui ne la regardait pas ? Elle avait connaissance d’une certaine façon de penser chez certaines personnes handicapées, qui refusaient toute aide extérieure pour ne pas entailler un peu plus leur fierté, pour ne pas passer pour d’indécrottables assistés, et trop soucieuse d’embarrasser ou de mettre en colère le jeune homme face à elle, elle hésita.
T’hésite toujours ma pauvre. T’es pathétique.

Nouvelle inspiration, et elle s’avance à pas feutrés, feignant de chercher quelque chose sur l’étagère avant de faire tomber « bien malencontreusement » la boîte de nouilles qui tombe « accidentellement » entre les mains du jeune homme. Timidement, elle baissa le regard vers lui, et quand il lui répondit d’un mince sourire –un sourire assez semblable au sien à bien y regarder– ce fut un drôle de poids qui s’envola de ses épaules et dessina un sourire qu’elle voulait chaleureux sur ses lèvres ; jusqu’à ce que son regard ne dérive vers le fauteuil et lui fit froncer les sourcils. Il était vraiment pourri, ce fauteuil, à se demander comment il arrivait à se déplacer avec.

▬ Dites euh, souffla-t-elle après s’être raclé la gorge un peu maladroitement, il a l’air assez vieux votre fauteuil, là, c’est pas trop compliqué pour vous de vous déplacer avec ? Enfin j’veux dire, les roues sont trop serrées sur leurs axes, et euh – elle précisa vite de peur d’avoir dit une boulette ; évidemment que c’est chiant de se déplacer en fauteuil, débile– ça ralenti beaucoup le mouvement…

Nerveusement elle entortilla le bout de sa tresse de feu autour de son index et se mordilla l’intérieur de la joue.

▬ J’pourrais y jeter un oeil si vous voulez, ça me prendrait pas vingt minutes. Promis je ne vous demanderais rien en retour, elle ajouta en osant un ricanement un peu maladroit, aussi léger qu’un souffle.

C’était aussi en se confrontant aux gens qu’on se confrontait au monde n’est-ce pas ?

acidbrain

❥ FALLING

Il eut une espèce de ricanement, le genre qui se voulait probablement cynique mais qui sonnait amer, dépité. Elle se mordit la lèvre inférieure –elle aurait peut-être du s’abstenir tous comptes faits. Un haussement d’épaule, un regard indéchiffrable, et puis une voix écorchée qui la fit frissonner. Elle ne le connaissait pas ce monsieur, et pourtant, elle pouvait deviner qu’il avait du dérouiller dans la vie, et pas seulement parce qu’il était immobilisé dans une vieille carcasse d’acier à roues. Elle se sentit si bête d’un seul coup, d’avoir autant déprimé pour un coup d’un soir qu’elle aurait du éviter. Elle se sentit si illégitime d’avoir eu mal pour quelque chose de si futile.
T’es vraiment qu’une pauvre cruche ma pauvre Maxime.

▬ Il serait mal venu que je refuse ce service, pas vrai ?

Elle haussa un peu les sourcils, surprise de cette remarque à laquelle elle ne s’attendait pas –elle redoutait plus un non catégorique et tranchant à vrai dire. Puis elle haussa les épaules à son tour.

▬ Pas vraiment non. Je peux comprendre que vous n’ayez pas envie.

Elle pouvait comprendre qu’il ne veuille pas de son aide.

▬ Mais vous devriez penser à le changer dans ce cas. Ça ne m’étonnerait pas qu’il vous lâche avant la fin du mois, elle ajouta, osant malgré tout une pointe d’humour, une esquisse de sourire, seul témoin de toute la bonne volonté dont elle voulait faire preuve.

Mais si ça se trouve, il en a marre de la bonne volonté des autres aussi.
À sa place, t’en aurais pas marre toi Maxime ? –Blackjack lui dirait d’arrêter de se poser tant de questions stupides s’il avait été là.

▬ Ceci dit si j'étais vous je me risquerais pas à bidouiller cette vieillerie…

Cette fois elle eu un sourire un peu plus franc et affirmé –ce terrain là, elle le connaissait comme sa poche.

▬ Haha, disons que dans ce domaine là je me débrouille un peu mieux que tout le monde il faut dire…. Oh, pas pour me vanter hein ! elle s’empressa de préciser en agitant les mains comme pour s’excuser, c’est mon métier, je suis mécanicienne !

Un regard un peu plus long sur la carcasse de fer, et déjà les idées fusaient dans sa tête –déprimée ou non, dès qu’il fallait bricoler, elle ne manquait jamais d’inspiration.

▬ Je pourrais simplement le remettre à neuf et changer les pièces abîmées su vous voulez… mais je pourrais aussi ajouter quelques…commodités ? Si vous êtes sceptique, mon atelier est à deux pas d’ici, je pourrais vous montrer ce que je fais éventuellement… –tu  t’emballerais pas un peu trop là Maxime ?– enfin c’est comme vous voulez, je ne veux pas vous forcer si vous n’avez pas envie…

C’était pas facile, avoir envie d’être utile tous les jours et ne pas savoir aider ceux qui ne le voulaient pas mais en avait besoin.

acidbrain