••• une pizza n'a pas d'oeil ; Irena

Ça faisait longtemps que tu n'étais pas sortie. Si longtemps, parce que tu n'avais plus rien à faire dehors. Puisque Felix n'avait plus besoin de ta compagnie et que Ciel se refusait encore à ouvrir la serrure de la porte et des fenêtres.. Ce vil avait fini par y mettre des cadenas. Et pourtant, à l'occasion, il avait accepté que tu sortes, enfin. Parce que c'était moins dangereux dans les conditions imposées, avait-il souligné. Que tu ne risquerais alors pas de te faire attaquer. Comme si tu avais risqué quoi que ce soit jusqu'à présent.. Les pas résonnent dans la rue et ton regard vague ici et là dans l'espoir de ne pas te perdre. Ce n'était pourtant pas si loin, le parc.

Lorsque tu y pénètres, on te remet, comme prévu, le bracelet qui te permettrait de retrouver la personne qui t'accompagnerait en cette soirée. Allez savoir pourquoi il fallait spécialement être deux, mais l'idée te plaisait. De toutes façons, tu n'avais jamais aimé être seule et la compagnie de Ciel t'aurait dérangé plus qu'autre chose. C'est que tu ne l'aimais pas vraiment, au fond. Il y avait quelque chose de malsain dans sa manière de se comporter. Comme s'il était obligé de te séquestrer chaque jour un peu plus. L'idée t'était vaguement passée par la tête et puis tu l'avais immédiatement oubliée. Parce que c'était comme ça. Tu étais si bête, Jodie.

Et les pas se faisaient alors plus rapides, au plus ton impatience de rencontrer un même bracelet te titillait. Tu imaginais à quoi ressemblerait ton -ou ta- nouveau -ou nouvelle- ami-e, et tu pensais même pouvoir te retrouver face à Henri, ton chat-en-costume-qui-cuisine-de-la-pizza. Sauf que c'était impossible. Henri était dans ta tête et tu étais la seule à pouvoir le faire apparaître. Tu aurais bien aimé, pourtant, être accompagnée de Henri. Peut-être daignera-t-il se montrer, ce soir ?

Pour l'occasion, tu avais même apporté ton parapluie à tête de canard et l'imperméable assorti. Jaune. Comme pouvait l'être un canard. Comme ton parapluie. C'était joli un canard. Et son bracelet, à la madame, il ressemblait beaucoup au tien. Il était joli aussi, le bracelet de la madame. Et à bien y regarder, ce n'était pas vraiment ce que tu aurais appelé une madame. Mais elle était jolie, elle aussi. Sauf qu'elle n'avait pas l'allure d'Henri, ça non.

Mais c'était pas trop grave. Parce qu'à force d'avancer, tu te retrouvais face à elle, sans dire un mot, un énorme sourire déformant presque ton visage. Tu essayais peut-être de faire bonne impression ? Ciel disait toujours qu'un sourire, ça donnait une bonne image de nous.. Mais là, c'était surtout effrayant.

Elle était jolie, ça oui. Mais elle était bizarre, aussi. Et elle avait pas l'air très drôle. Alors tu allais passer toute ta soirée à t'ennuyer ? Décidément, tu avais de la chance. Plutôt que de compter les secondes avec Ciel à tes côtés, tu passerais des heures à compter les secondes avec une inconnue. Quelle opportunité ! Tu lèves la tête, l'air pensive puis l'observe. Pourquoi est-ce qu'elle avait l'air d'avoir peur de te parler ? Toi, tu n'avais peur à parler qu'à Monsieur, quand tu devais lui demander la permission de sortir. Parce que souvent, Monsieur disait non et alors tu te retrouvais toute seule. Encore. Mais là, tu n'allais rien lui dire, à la madame. Tu n'étais pas une menace, si ? Tu gonfles les joues et commences à trottiner, sans réelle destination, dans l'espoir qu'elle ne reste pas statique. Passive. Tu penches la tête en avant et observe le rythme de tes pas. Caillou. Tu tombes, tête la première dans l'herbe. Quelle douce soirée qui s'annonçait.

« ARGBL »

Tu te relèves d'un coup, fièrement, de la boue plein le visage et l'allure grande. Gardant la tête haute avec honneur. La bonne blague. Tu avais l'air fine, comme ça.. Douce soirée, effectivement.

Ton regard se dirige immédiatement sur ta partenaire qui t'avait questionnée quant à ton nom. Tu craches un peu de boue avant d'essuyer le tour de tes lèvres avec le revers de ta manche d'imperméable. Jaune. C'était important de le préciser. Parce que le jaune c'était une chouette couleur pour un imperméable. Et un parapluie ! Tiens, où était-il d'ailleurs ? LE PARAPLUIE ?! Il avait disparu ! Horreur et damnation ! S'était-il envolé dans ta chute ? Cette garce te l'avait-elle volé ? QUELLE INFAMIE. Oser voler un parapluie ! Tu fronces les sourcils et te retourne vers elle, prête à la menacer.

« Où il est ? MON PARAPLUIE ! je te dirai pas mon nom tant que mon paraplu- euh. »

Tu lèves la tête. Le vent l'avait emporté dans un arbre. Une mine boudeuse se dessine sur ton visage alors devenu si triste. C'était inacceptable. Ton parapluie était plus important que quoi que ce soit d'autre sur terre ! Peut-être même plus important que Felix ! Sauf que si Felix n'était pas là, il n'y aurait personne pour te dire que tu avais un joli parapluie.. Disons qu'ils étaient au même niveau d'importance, dans ce cas. Mais quand-même !

Tu te tournes dans un élan de détresse vers la jolie madame bizarre à tes côtés et fais ta mine des plus suppliantes, le regard alors brillant de rose. C'était mal, d'utiliser tes dons pour ça, mais tu voulais ce parapluie ! Et tu étais bien incapable d'aller le récupérer, ça oui.

« Jodie ! C'est mon prénom ! Et le parapluie là, bah il est à moi, et il est très important, et je peux pas aller le récupérer toute seule ! »

Un s'il te plait ne t'aurait probablement pas écorché la langue et tu ne l'avais pas prononcé non pas par manque de politesse mais parce que tu étais plus préoccupée par le parapluie que par tes manières. Quelle tragédie ce serait.. s'il s'envolait. Et avec ce vent, tu craignais le pire.

Un large sourire se dessine sur tes lèvres lorsqu'elle accepte. Ce n'était pas bien, d'être comme ça, tu le savais. Ciel, lui, il n'aurait pas aimé que tu sois comme ça. Parce que c'était immoral, qu'il disait. Mais toi, tu n'avais pas de morale. Parce que cette frontière entre le bien et le mal t'échappait. Parce que tu imaginais que si ça pouvait être bénéfique pour une personne au moins, ça ne pouvait pas être mauvais. C'était si facile, d'être toi, de voir au travers de tes yeux et penser au travers de tes mots. Tu étais si bête, Jodie. Si bête que tu n'y avais même pas pensé. Tu n'avais pas imaginé que ça pouvait se faire comme ça. Tu avais pensé qu'elle irait chercher le parapluie toute seule et que tu la regarderais se débrouiller pour te servir. Sauf qu'elle avait été plus futée et toi, ravie.

Tu t'empresses alors de monter sur l'escabeau qu'elle faisait avec son corps et te levant le plus haut que tu pouvais, t'accrochais à la première branche que tu parvenais à attraper. Tu te hisses de branches en branches et, le regard vers le sol, un nouveau sourire s'illumine sur ton visage. Ce que c'était rigolo, de grimper aux arbres ! Ciel ne t'avait jamais laissé faire, lui. Et pourtant, tu t'amusais tellement. Pourquoi fallait-il que tout ce qui était drôle te soit interdit ? Il était toujours la fausse note de ton bonheur. Monsieur, il t'aurait laissé, lui, c'était certain. Parce qu'il est irresponsable, vieux et sénile, qu'il aurait dit l'autre. De toutes façons ça n'avait jamais été dans tes habitudes de l'écouter.

Arrivée à rien qu'une hauteur en dessous du parapluie, tu te dresses sur la branche, dans l'espoir d'attraper ton aimé du bout des doigts. Sauf que tu glisses et un cri de surprise, très bref, t'échappe. Tu t'accroches à la branche de toutes tes forces et te remets dessus, plus prudente cette fois. Tu finis par attraper ton parapluie, le fermant le temps de descendre, dans la plus grande lenteur, dans l'espoir de ne pas glisser à nouveau. Tu avais eu peur, ça oui. Mais tu t'étais bien amusée, aussi. Tu te retrouves alors au sol, face à Irena. Tu lui fais ton plus beau sourire. Tu espères qu'elle y verra alors ta reconnaissance. Ciel disait que c'était toujours mieux de remercier avec le sourire.

« Merci beaucoup madame ! »

Elle était pas très vieille, pourtant. Alors tu te mets à réfléchir un peu et tu ravises ton madame en un mademoiselle, casant cette information dans un endroit de ton esprit restreint. Tu papillonnes des yeux. Tu avais très envie de t'amuser encore ! Tant que Ciel n'était pas là, c'était peut-être l'occasion.

« C'est la première fois que je vais à ce genre d'endroits ! Est-ce que tu crois qu'il y a une pêche aux canards ? »

Plein de paillettes dans les yeux à l'idée de pouvoir attraper des canards, tu avances d'un pas décidé et t'arrêtes un moment, te retournes. Tu tends la main à la mademoiselle parce que tu étais presque sûre que tu allais te perdre, si elle ne te guidait pas. D'ailleurs, tu partais déjà dans la mauvaise direction.