( i wanna stay in love with my sorrow ) ♛ scott

i wanna stay in love with my sorrow

Une Lune, une belle Lune à l'éclat faussé par les nuages. Elle marche, elle, frêle, resplendissante – ses crocs brillent comme deux perles, ivoire tranchant caché derrière de délicates lèvres charnues. Quelques pas au milieu des morts, une danse silencieuse sur un rythme qu'elle seule perçoit – un deux trois cercles, un retour en arrière et un sourire éclatant.

Le manche de sa faux au creux des mains, elle taille un nouveau trou, le prépare à accueillir une nouvelle enveloppe charnelle, coquille vide autrefois pleine d'une vie trop courte – si l'existence elle-même est éphémère, qu'est-ce qui vaut le coup de prendre une seconde inspiration ? Les battements de coeur ne sont qu'un mécanisme physique, un cadavre peut être tout aussi conscient qu'un vivant.
Elle en est la preuve, Cersei, avec ses élytres éblouissants et son palpitant éteint depuis de longs siècles. Elle chantonnerait presque, entourée par la mort et les esprits, caressée par les arbres qui gardent ce lieu sacré – oh elle ne danse pas sur les tombes mais tout autour, effleurant les épitaphes gravées sur son passage, dans sa robe de satin blanche.
On dirait un fantôme.

Un doux fantôme qui n'a pas grand-chose à faire, avec sa fleur de lys accrochée au poignet et son arme aiguisée prête à meurtrir la terre elle-même. Un
deux
trois
dix coups dans le sol.
Il se fend et offre asile en son sein – combien de fois a-t-elle rêvé d'être à leur place, prête à serrer la Faucheuse dans ses bras.
Mais comment faire, si on est soi-même cette immonde créature ?

En un soupir las de l'effort, une respiration hachée par les pulsions dans la Terre, elle creuse et violente avec douceur les tréfonds de l'univers. Plus à l'aise avec les morts que les vivants. Un mort ne se plaint pas, n'a pas de problème ; un mort est doux, froid mais pas agressif. Elle jalouse les morts, la mordue aux milliers de soucis. La mordue qui se pousse jusqu'aux limites de la soif, pour ne pas arracher encore une fois le souffle de vie d'un coeur encore battant.

Pourtant elle aime les voir mourir, sentir leur carcasse se refroidir – les bercer jusqu'à leurs derniers soubresauts. C'est horriblement plaisant, comme sensation.
Et c'est envahie par ces pensées alléchantes qu'elle entend finalement une branche craquer, et qu'elle se retourne en rangeant ses crocs derrière la barrière de ses lippes. Elle cherche du regard le responsable – et ses yeux se posent enfin sur toi. Sur ta petite tête blonde, l'air aussi piteux qu'un chiot abandonné. La gamine plante son arme morbide, se faufile entre les édifices de pierre et signale sa présence d'un chuintement enfantin.
Elle te détaille et se plante devant toi, campée sur ses talons et son mètre cinquante.

« C'est pas un bel endroit pour regarder le paysage. Qu'est-qui amène le blondinet ici, pourquoi il veut voir les morts ? »

Le ton doux, la voix cristalline accompagnée d'un léger rire – elle tourne sur elle-même, tellement à l'aise dans ce cimetière comme dans sa robe de satin blanche.
C'est si rare, qu'elle ait de la compagnie pendant les heures de travail, à part les personnes laides en deuil. C'est loin d'être beau, les gens tristes. Mais toi tu l'es, petit blondinet à l'air penaud. Plus beau que toutes ces tombes.

Alors elle sourit, elle bat des ailes en dévoilant ses délicates canines.
Ah, elle a soif.

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i wanna stay in love with my sorrow

Discrète, naïve, elle renifle – oh comme tu sens bon, un mélange de mort, d'hémoglobine et de débauche. Ca réveille la douce lueur dans ses prunelles, anime ses crocs d'un infime frémissement. Congénère ou pas, inconnu ou pas, elle a désespérément soif ; la retenue et, peut-être, un soupçon d'éducation, est la seule chose qui l'empêche de se jeter sur toi. Petit blondinet, tu l'affames.

« Errr… well, je pensais que vois des cercueils me donnerait envie de rester en vie après ce qui vient de m'arriver… c'est vrai quoi, j'aimerais pas passer l'éternité enfermé dans une boîte elle-même enterrée… ! »

M'ah, t'es pas drôle tu sais ? Elle soupire intérieurement, observe ce délicat sourire forcé. Crédibilité oblige, elle hoche la tête d'un air pensif – et finit par hausser les épaules, sa voix fluette brisant le nouveau silence installé.

« T'as un avis bizarre, blondinet. L'éternité, quand t'es vraiment mort, tu la vois pas passer. C'est comme une nuit, mais qui dure super longtemps. Elle inspire, fait une courte pause – et elle croise les bras, détaillant ton faciès un peu trop lisse pour être honnête. Et si tu me disais la vraie raison de ta présence ? »

Sourire – oh non, elle est loin d'être sûre d'elle. Mais certains signes ne trompent pas, et en trois siècles on gagne une certaine expérience.
Le rictus, pas crédible.
La nuque grattée.
La nervosité.
Tout porte à croire que quelque chose de plus profond qu'une simplissime réflexion t'a poussé à venir, petit Blondinet. Elle ronronnerait presque de fierté, à voir ta tronche peut-être un peu déconfite.

Une deux trois secondes passent, elle remue et s'installe en face de toi, calée sur ses talons – l'habitude de la position étrange, toujours les lèvres étirées en une douce grimace presque affectueuse. C'est pas du mal qu'elle te veut, juste un semblant de confiance, ou au moins de la conviction quand tu lui mens.

« Si t'essayes de mentir à quelqu'un, apprends à le regarder dans les yeux, et à faire comme si tu croyais ton propre mensonge. »

Elle susurre, sur un ton presque méchant, vicieux – c'est la haine du monde qui la reprend aux tripes. La haine d'être fourvoyée, d'être insultée par un tel manque de pratique. Oh elle aura beau le prendre mal, ça sera dur pour toi de le voir tu sais, Blondinet. Cersei, en un geste vaguement las, défait la couette qui retient ses mèches brunes, plonge ses miroitantes prunelles au coeur des tiennes et lâche enfin, dans un murmure aussi venimeux que tendre – ces légères paroles qui flottent dans l'air.

« Remarque, t'es pas obligé de me le dire. Mais va-t-en, alors. C'est pas tout public, la nuit. »

Rictus.

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