Show me how you can handle your emotions.

Qu'est-ce qu'un vampire aussi riche que Balthazar vient faire au marché? Que pourrait-il bien y acheter? Ou plutôt, de quoi avait-il besoin, lui qui a tout pour lui? Eh bien, même l'homme d'affaires ne savait pas ce qu'il faisait là. Ou plutôt, si. Il le sait. C'est encore Jordac qui a décidé de faire des siennes. La panthère nébuleuse reflétait parfois très bien l'attitude et le comportement de son maître, mais parfois, il était simplement immature. Comme quand il se jette dans la neige pour y jouer ou qu'il essaie d'attraper des flocons tombant du ciel. Lui, au moins, avait encore un coeur jeune et savait s'amuser. Contrairement à un certain vampire de sang-pur âgé de deux cents ans. Donc l'affilié de Lawrence avait décidé de prendre sa montre-gousset dans sa grande gueule pour ensuite partir avec en dehors du manoir. L'homme savait bien que c'était pour le faire sortir, mais Jordac savait aussi qu'il sortirait s'il prenait sa précieuse montre-gousset léguée par son père avant sa mort.

Donc c'est pourquoi le sang-pur avait lentement enfilé son veston noir, son haut-de-forme et avait empoigné son sceptre avant de sortir de son immense manoir. Habillé de son veston-cravate ultra-chic, Lawrence s'était employé de suivre son affilié dans les rues de skyworld. Aussitôt que Jordac le voyait trop s'approcher de sa démarche assurée, il se mettait à courir en sachant très bien que le vampire ne courait jamais. Pourquoi? C'est simple, le riche homme n'est pas pressé le moindrement du monde. Le temps est éphémère pour lui qui vit depuis deux siècles. C'est donc d'une démarche peu rapide qu'il suivait presque docilement son affilié. ET DONC. C'est comme ça qu'il s'est retrouvé au marché. En soi, il n'avait besoin de rien, puisqu'il avait déjà tout vu sa richesse extrême, il voulait simplement récupérer sa montre-gousset.

Alors que Lawrence se faufilait habilement entre les gens sans les toucher, il respirait un étrange mélange de froideur, de dureté et de grâce. N'importe qui pouvait aisément remarquer sa présence alors qu'il passait près d'eux. Il finit par se faire perdre par Jordac et il laissa échapper un sourire. Le soucis n'était pas de pouvoir se retrouver, - ça, il le faisait aisément, car il avait un très bon sens de l'orientation - mais de retrouver sa panthère qui s'était forcément cachée à travers cette foule beaucoup trop dense au goût du vampire. Il était maintenant exaspéré par le comportement enfantin de son affilié. Qu'avait-il fait pour mériter ça, aujourd'hui? Il aurait très bien pu ne pas le suivre, mais qui sait où il aurait alors caché sa précieuse montre-gousset? Il décida de s'informer auprès d'une personne. Il s'avança alors fièrement vers un homme au visage dur. Tient, il arborait une barbe, ce dont Lawrence n'était plus très souvent témoin. Tous les hommes qu'il a croisé ces derniers temps sur l'île ne portent pas la barbe.

» Excusez-moi, auriez-vous vu une panthère nébuleuse passer par là?

Balthazar se fiche bien que l'autre homme ne sache pas ce qu'est une panthère nébuleuse. Il sait que c'est un animal d'une rareté certaine, car Jordac est la seule panthère nébuleuse que le sang-pur a vu de toute sa vie. Après, l'autre pouvait bien être plus chanceux que lui et en avoir vu une au moins une fois. Il remarqua le regard extrêmement dur de son interlocuteur et il eut envie de sourire. Il se doutait qu'il était du genre à ne pas bien contrôler ses émotions. À l'inverse de Balthazar qui contrôlait la moindre de ses émotions, le moindre de ses mouvements. Rien ne pouvait jamais le trahir dans la façon de se tenir ou d'agir. C'est une maîtrise parfaite de lui-même qu'il a acquis au fil des années. Le vampire continua de le fixer en attendant une réponse et posa son sceptre au sol pour appuyer ses mains dessus. Il était rempli de prestance ainsi positionné, le dos bien droit. Il n'avait pas l'habitude d'aborder les gens de lui-même, mais dans ce cas-ci, il pouvait bien faire une exception.

Les prunelles foncées de Balthazar scrutent attentivement l'homme qui se tient maintenant devant lui. Un homme d'âge mûr, bien plus âgé physiquement que notre vampire figé dans ses 21 ans. Il a une maturité physique que le riche ne pourra jamais avoir bien qu'il ne paraisse pas si enfantin. De cet homme se dégageait une aura de danger agitée. L'inverse de l'aura de danger calme que Balthazar dégageait. Les deux hommes étaient dangereux à leur façon, mais le calme plat et le sang-froid du vampire pourraient être bien plus menaçant. Avec une personne qui ne se contrôle pas, on est en mesure de deviner ses actes, alors qu'avec quelqu'un qui se contrôle, c'est trop difficile de prédire ses gestes. C'est pourquoi le sang-pur faisait face à une mer agitée où la tempête menaçait de s'abattre à tout moment. Contrairement à lui, il pourrait prédire les prémisses de sa colère alors que l'inconnu face à lui ne pourrait rien voir venir.

» Navré de ne pouvoir vous aider, monsieur ?
» O'Donughue. Lawrence O'Donughue, pour votre plus grand déplaisir.

D'un geste fluide et rempli d'agilité, Lawrence empoigna son haut-de-forme pour le coller contre son torse et faire une révérence. Dès qu,il se releva, il reposa son couvre-chef sur le sommet de son crâne et reprit sa position initiale. Le vampire avait l'habitude de se présenter ainsi, car il savait déjà que sa présence ne serait pas appréciée. Tout comme avec toutes les personnes qu'il avait croisé jusqu'à maintenant. Sauf Diane. Mais cette mordue, c'était différent. Elle appartenait à Balthazar. Corps et âme. L'homme d'affaires ne lâchait pas son interlocuteur du regard. Pas une seconde. En vérité, il avait attiré son attention avec sa colère collée à la surface de sa peau. Il pouvait presque la respirer. Il avait l'impression que s'il prenait une trop grosse inspiration, sa colère l'envahirait. Un être aussi à l'opposé de lui sur ce point ne pouvait qu'attirer son attention. Mais pas pour de bonnes raisons. Car le vampire n'est pas un être que l'on pourrait qualifier de gentil.

Il le sentit avant de le voir. Jordac arrivait dans leur direction, car il avait sentis le danger émanent de cet homme. Balthazar aurait pincé les lèvres d'irritation s'il n'avait pas été face à cet homme. Maintenant qu'il lui avait montré son calme plat, il n'allait pas le gâcher pour lui. Ça, non. L'animal arriva dans son champ de vision et passa tout près de cet homme mystérieux. Il vint se frotter contre les jambes de son lié en arquant le dos et en ronronnant comme le gros chat qu'il est. C'était le signe évident qu'il tentait de se faire pardonner pour avoir dérobé son bien le plus précieux dans le but de le faire sortir de son gros manoir vide de vie. Lawrence le laissa faire et esquissa un léger sourire.

» Et à qui ai-je l'honneur ou le déshonneur?

Son sourire était léger, mais exprimait tout son mépris envers le genre humain. Magiques ou non. Tout ce qui ressemblait à un humain l'irritait au plus haut point. Cependant, rien dans sa façon de se tenir ni dans son expression ne laissait transparaître une telle haine. D'un geste parfaitement normal à ses yeux, le vampire tendit la main pour que sa panthère nébuleuse y dépose sa montre à gousset. Jordac grogna, mais déposa néanmoins l'objet dans la paume de sa main. Les doigts fins et gantés du riche homme se refermèrent autour de l'objet qu'il vint ensuite enfouir dans la poche de son veston datant des années 1850. Sa froideur pouvait se sentir à des lieux à la ronde ainsi que sa dureté naturelle. Il n'exprimait absolument rien, son visage lisse de tout défaut dus aux émotions. Il pouvait par contre lire sur le visage de l'inconnu sa colère et la difficulté qu'il avait à la contenir. Le coin de ses yeux était crispé, ses lèvres pincées par l'irritation, son corps entier sous la tension.

Le sang-pur laissa afficher un sourire mesquin qui ne monta pas tout à fait jusqu'à ses yeux. Jusqu'où irait cet homme si sa colère débordait malencontreusement? Lawrence était curieux qu'une personne ne puisse pas se contrôler. Certes, il avait eu plusieurs dizaines d'années pour perfectionner son masque, mais il n'avait pas fait que ça. Il n'a pas toujours été comme ça. Pourtant, il n'avait jamais été au stade de ne rien contrôler, alors cet homme l'intriguait de par sa colère presque matérielle. Le vampire voulait savoir jusqu'où allait sa colère ainsi que son contrôle sur celle-ci. Une curiosité malsaine qu'il assumait pleinement. Alors il resta là à le regarder sans rien dire de plus.

Le regard perçant du vampire détaille l'homme en face de lui. Il analyse ses moindres réactions et il le voit même sourire. Un sourire de connivence. Cependant, Balthazar ne lui répond pas. Parce qu'il ne le juge as digne de cette entente silencieuse. Il garde son visage impassible alors que son regard scrute cette expression. Une expression qui ne rendait pas son propriétaire plus amical. Quoique le sang-pur ne l'est pas lui-même. Pas du tout. Il voit bien que ce sourire n'est pas désiré par l'autre homme. Il n'avait pas envie de sourire à cet homme riche dans des habits extrêmement coûteux tout droit sortit des années 1850. Et celui-ci comprenait cette aversion. Il la comprenait trop bien. Lorsque son sourire disparaît, Lawrence voit dans le regard de ce personnage qu'il a envie de faire quelque chose de regrettable. Cependant, il se retint. Et de justesse. Laissant échapper un soupir, il prend enfin la parole.

» Paladino. Iskandar Paladino. Et... Nous verrons bien.

Un sourire peu rassurant étire les lèvres du vampire, alors que cet Iskandar le détaille. Lawrence voit bien la colère et la frustration sur son visage et dans ses yeux. Une retenue qui manquait de quelque chose. D'expérience peut-être. Le riche homme d'affaires ne comprenait pas que son interlocuteur ait tant de difficultés à contenir sa colère. C'était sûrement dû à sa maîtrise plus que parfaite sur ses propres émotions qu'il pensait cela. Quoi qu'il en soit, montrer ainsi sa colère aux autres est digne des plus faibles. Surtout lorsque les flammes léchèrent les bras d'Iskandar. Balthazar jubilait de voir le corps crispé de cet homme céder à ses pouvoirs. Il venait d'annoncer au vampire qu'il était incapable de se contrôler. Et qu'il ne le sera probablement jamais. Sauf, peut-être, s'il a un bon maître en la matière. Mais le joaillier n'était pas assez gentil pour lui offrir son aide. Non. Et même si l'autre le lui demandait à genoux sur le sol, il ne le ferait pas. À moins qu'il lui donne quelque chose en retour. Et quelque chose qui en valait la peine. Encore fallait-il qu'Iskandar trouve quoi.

Le vampire voyait les flammes disparaître et la frustration qu'il dirigeait contre lui-même à cette démonstration de faiblesse. Il voyait aussi les interrogations dans son regard. Peut-être avait-il des questions à poser au vampire deux fois centenaires? Peu lui importe, il ne répondrait probablement pas. Oui, Balthazar est ce genre de personne qui ne pense qu'à lui-même et qui n'aide personne sans que ça lui soit profitable. Jordac vint encore se frotter contre ses jambes comme le gros chat qu'il est avant de s'approcher d'Iskandar et de le frôler en passant à côté de lui. C'était la façon de la panthère de jauger les personnes et leurs réactions. Il s'était presque fait tirer dessus à bout portant pour avoir fait semblant d'attaquer une personne. C'était à se demander si son affilié n'était pas du genre suicidaire.

» Je crois que vous avez besoin de contrôler votre colère, monsieur Paladino. Vous prouvez ainsi votre faiblesse aux autres.

Ses paroles étaient remplies de son ton habituellement hautain. Balthazar le provoquait intentionnellement par des paroles calmes, mais venimeuses. Ça a toujours été sa spécialité de faire chier les autres avec son calme maintenant naturel et ses piques détournées. Pour lui, Iskandar représentait la faiblesse même. Il était au niveau le plus bas dans son estime. Rien à voir avec Lyvion, son éternel rival. Lui, au moins, il savait lui tenir tête sans laisser ses émotions prendre le dessus sur lui. C'est ce qui le faisait le respecter sans pour autant l'apprécier. Même si ça serait facile vu leur comportement respectifs. Les pensées de Lawrence revinrent sur son interlocuteur et il lui fit une nouvelle fois la révérence.

» Je vous souhaite une bonne journée à tenter de devenir moins faible, monsieur Paladino. Puisse l'entraînement vous porter fruit.

Il remit ensuite son haut-de-forme avec un sourire tout ce qu'il y a de plus arrogant avant de continuer son chemin. Oh, il ne doutait pas un instant qu'Iskandar l'arrêterait, ne serait-ce que pour ses paroles vexantes. C'est donc à l'affût que le vampire s'éloignait lentement de sa rencontre de la journée, Jordac sur les talons.