Autant se servir par soi-même c'est mieux ! [Pv Lyvi]

Il rêvait. Lyvion était perdu dans le monde de son subconscient, là ou son imaginaire devenait temporairement plus pertinent que la réalité ; jusqu'à ce qu'il sorte de là, le ciel pouvait devenir un plancher qu'il trouverait cela normal. Tant qu'il restait endormi, tout était possible.
Assis au sommet d'une butte à l'herbe plus verte que nature, un tout jeune Lyvion - il avait retrouvé le physique de ses dix ans, mais même cela ne le choquait pas - se tenait assis, le nez pointé vers le ciel. Ce dernier avait pris une couleur fraise tagada. Les nuages qui y coulaient des jours tranquilles étaient eux aussi roses, mais leur teinte était plus proche du rose pâle de la barbe à papa. D'ailleurs, de la ou il était, le jeune homme aurait juré qu'ils en avaient aussi la texture collante.
Alors qu'il observait ces formes vaporeuses, qui avançaient dans un tableau dont il savourait le cadre en espérant qu'il ne se mettrait pas à pleuvoir des arlequins, notre sang-mêlé assista à une scène étrange : une soucoupe volante traversa soudainement le ciel,  en semblant venir de nul part. Il observa ce phénomène avec stupeur, déplora la disparition de plusieurs nuages, se leva finalement en réalisant que l'ovni allait s'écraser non loin.

Ni une ni deux, sa curiosité prit le contrôle de ses petites gambettes pour le mener au pas de course vers le point d'impact estimé. Sur le chemin il dut faire attention à ne pas écraser les fleurs-sucettes spirales, champignons dragibus ou autres œufs en chocolat, ni laisser une corde réglisse lui faire un croche-pieds, ou encore à ne pas se prendre une langue volante dans la poire - surtout celles au coca, c'étaient les plus belliqueuses. Cela le ralentit, mais heureusement Easter arriva juste à temps pour assister à l'atterrissage, près d'un grand lac.
Le véhicule extraterrestre ressemblait à un bonbon œuf au plat. Quand à ceux qui en sortirent, c'étaient des bonhommes mikado ; à peine débarqués, ils se mirent à discuter comme de veux amis avec les crocodiles en gélatine géants qui se trouvaient là. Toute la petite assemblée explosa de rire à une réplique d'un des mikado, puis l'un des reptiles - de couleur vert - l'aperçut et signala sa présence aux autres qui se tournèrent vers lui, que cette attention mit mal à l'aise. Que voulaient-ils ? c'est alors qu'un des extraterrestres se tourna vers le vaisseau. A son signal, celui-ci émit soudainement un étrange faisceau qui frappa l'acajou de plein fouet et...

Fin. Plus rien, à part la sensation d'être revenu à lui-même. Lyvion ne se rendit pas tout de suite compte qu'il venait de se réveiller, et mit encore plus de temps à réunir assez de volonté pour ouvrir les yeux. Le plafond de sa caravane lui paraissait bien morne après un rêve si coloré, particulièrement à une heure aussi tardive. La pièce était plongée dans la pénombre, seule une faible lumière parvenait à traverser les rideaux et lui permettait d'y voir quelque chose. Mais quelle heure était-il, pour qu'il fasse aussi sombre ? À gestes lourds, le dompteur se tourna sur son flanc et tendit le bras pour tâtonner sa table de nuit à la recherche de son portable. L'appareil lui annonça vingt-deux heures passé, lorsqu'il déverrouilla l'écran. Aaaah oui, c'est vrai, ce matin il s'était rendormi après avoir pris son petit-déjeuner. Et maintenant c'était l'heure du dîner, à croire qu'il était naturellement réglé sur les heures de repas. Mais la seule chose que notre australien avait envie de manger actuellement, c'étaient des bonbons. Il en avait vu tellement dans son rêve que son addiction à ces friandises s'était manifestée avec force, quand il fut tout à fait tiré de son sommeil ; cet appel avait été tellement fort qu'il l'avait même poussé à sortir de son lit pour chercher de quoi satisfaire son envie pressante.

Ce que le griffon n'avait pas prévu, c'était que ses recherches resteraient infructueuses. Pourtant il n'avait pas fait semblant : chaque placard, chaque tiroir, et même toutes les étagères de sa salle de bains ainsi que sa penderie ont été retournés. Alors pourquoi n'avait-il pas réussi à mettre la main sur le moindre bonbon, alors qu'il faisait toujours attention à en avoir une réserve ? C'en était à devenir fou. Au final, cela l'irrita tellement qu'il s'affala sur son lit en lâchant un grognement de frustration, puis attrapa son oreiller avec l'intention de lui faire traverser la roulotte par la voie des airs.
C'est alors que la lumière se fit dans son esprit : c'était un coup monté. On avait volé tout son stock. Et en ce qui concernait les suspects, seul une personne lui venait à l'esprit. Sans perdre une minute Lyvion enfila un jogging et un t-shirt, chaussa ses baskets, puis se dirigea vers la roulotte de June dans laquelle il fit irruption sans crier gare.
« June, tu veux souffrir ou quoi ? T'as fait quoi de ma réserve ? » Son ton était peu amène à cause de sa mauvaise humeur, mais quand il la vit en train de manger tranquillement ses bonbons, là il explosa littéralement. Il avait beau l'apprécier - énormément -, elle était allé trop loin.
Malheureusement, le forain était arrivé trop tard pour les sauver. Évidemment il avait fait passer un sale quart d'heure à la vampire, avant de décider que le plus important était de répondre à son envie de sucre.

C'est ainsi qu'à vingt-trois heures passé, il se retrouva face à un supermarché. Dans sa précipitation Lyvion avait foncé jusqu'ici, sans penser aux horaires d'ouverture ni prêter attention à quoi que ce soit.
Ce n'est qu'une fois arrivé devant les portes qu'il se rendit compte de son manque de réflexion. Il s'approcha en se demandant comment les ouvrir, puis recula un peu en plaçant les mains sur les hanches : autant se rendre à l'évidence, forcer l'entrée principale était impossible sans provoquer une pagaille qu'il préférait encore éviter. Un soupir lui échappa, puis le Drymärchen entreprit d'explorer les environs à la recherche d'un autre moyen. C'est en se retournant qu'il se rendit compte qu'en fait, depuis le début, quelqu'un d'autre se trouvait dans les parages.
Il le regarda un instant, en se demandant ce que fabriquait ce blondinet ici à cette heure-ci, mais décida que ça n'avait pas d'importance. Il salua l'inconnu d'un geste détendu de la main, tout en prenant la parole sur son habituel ton flegmatique.

« Yo. » Il désigna alors le bâtiment. « Tu connaîtrais pas un autre accès, par hasard ? » Pour quoi faire ? Entrer par effraction, bien sûr. Comme dirait l'autre, on est jamais mieux servi que par soi-même ; Lyvion comptait bien appliquer ce proverbe à la lettre.

Lyvion n'était clairement pas un homme de motivation (même que ça rime /bus/). A vrai dire, il lui en manquait tellement au quotidien que ça en irritait plus d'un – et blasait les autres. Comment faisait-il pour être aussi paresseux ? S'il était encore au lycée, cette question ferait partie des sept mystères de sa génération d'étudiants. Quoi que, de nos jours les jeunes sont devenus flasques, à l'image de leurs pantalons taillés trop larges et portés trop bas pourrait-on dire. Ca n'aurait donc pas été aussi choquant qu'au début du XXème siècle.
En bref, peu de personnes pouvaient se targuer d'avoir déjà vu un Lyvion prêt à y mettre du sien pour atteindre un objectif. Mais pour cela, encore aurait-il fallu qu’il s’en soit un jour fixé un qu’il ne puisse atteindre facilement. Le jeune homme étant du genre à se ménager, il ne se lançait jamais dans quoi que ce soit de compliqué ou fatiguant. Et même quand il se décidait à  bouger ne serait-ce que son petit orteil, notre Drymärchen faisait toujours en sorte d’y mettre le moins de force possible, parce qu’en faire plus que demandé n’est qu’un gâchis d’énergie. Tous ses faits et gestes étaient régis par la loi du moindre effort.

Pourtant, cette nuit-là, le Mr. Paresseux de Sanctuary semblait étrangement pressé d’atteindre le supermarché. Qu’est-ce qui pourrait bien le pousser à faire preuve d’autant de ferveur ? Non, pour commencer, il avait donc vraiment une quelconque motivation dans sa vie ? Parce que je vous assure que même moi, sa joueuse, je n’y croyais presque plus… Hahem.
Pourtant, quand on y réfléchit, c’est assez logique. Lyvion n’avait pas énormément de centre d’intérêt : les gens l’emmerdaient plus qu’autre chose, le boulot le fatiguait, et il n’était pas vraiment du genre à faire la fête jusqu’au petit matin dans des endroits bien trop bruyants – les migraines dès le réveil non merci très peu pour lui, il détestait tout ce qui était inconvénient ou inconfortable. On pouvait d’ores et déjà rayer énormément de possibilités, rien qu’en s’intéressant un peu au personnage. Et au final, on se rendait même compte que faire une liste de ce qu’il appréciait dans la vie était bien plus rapide que d’en dresser une de ce qu’il n’appréciait pas. Oui c’était un véritable casse-pieds. En même temps pas pour rien que peu de personnes arrivaient à voir ses bons côtés, ils étaient très rares.

C’est donc clairement un coup de chance si un parfait inconnu a pu voir un acajou d’ordinaire flemmard mais à l’air exceptionnellement décidé, devant le rideau de fer du magasin. D’autant plus à l’heure où il est plutôt en train de dormir profondément. Allons Lyrnaël, sens-toi honoré de rencontrer Lyvion dans un moment pareil ! Tu ne t’en rends pas compte, mais à ta place j’aurais trouvé ça si étonnant que je serais direct allée jouer au loto. Juste pour donner un véritable test à ma chance du jour. Mais passons, parce par définition, un garçon ne le connaissant pas n’aurait aucun moyen de savoir à quel point ce qui se produisait ce soir était énorme.
Les voilà donc tous les deux comme deux crétins, plantés devant la grande surface fermée. Quoi de plus logique, seuls les asiatiques étaient assez timbrés pour garder des magasins ouverts toute la nuit. Et le griffon était bien mal placé pour critiquer, parce que s’il tenait une boutique, ce n’est pas garanti que celle-ci reste ouverte plus de six heures par jour – et maximum cinq jours par semaine bien sûr, durant les semaines où monsieur serait motivé, parce que souvent il n’aurait juste pas la motivation de quitter son lit. Ses jours et horaires d’ouverture seraient très approximatifs.

Cela dit, Lyvion avait une envie pressante. Or n’étant pas du genre à se freiner ou à bien prendre qu’on lui mette des bâtons dans les roues dans ces moments, ainsi il ressentit un puissant sentiment de frustration mêlée à de la rage en arrivant devant le rideau de fer. Oui parce que lui aurait le droit de laisser des clients dans la merde, mais ce magasin lui devait d’être ouvert lorsqu’il en avait besoin. Mais c’était quoi ce bordel ? Ils étaient pas capables de rester ouvert jusqu’à minuit, ces incapables ? Et ceux qui avaient des urgences mais s’étaient fait piquer toutes leurs réserves, ils y pensaient ? En gros ils lui demandaient d’aller se faire voir, c’est ça ? De se débrouiller ? Eh bien ils avaient gagné. Mais qu’ils ne viennent pas se plaindre après de la méthode que notre Drymärchen aura utilisée. Parce qu’il ne comptait pas se gêner.
Au moins, il n’était de toute évidence pas seul dans sa misère. Ce n’était sans doute pas un hasard, si ce blond se trouvait aussi devant le supermarché – surtout qu’il n’y avait rien de plus intéressant dans les parages, et que sa réponse laissait clairement comprendre que lui aussi voudrait s’introduire dans le bâtiment. Le souci, c’était que ni l’un ni l’autre ne connaissait d’accès secondaire.

Il devait bien y en avoir, ne serait-ce que pour la marchandise ou le personnel, mais devoir faire le tour du bâtiment était casse-pieds. En plus, les chances étaient fortes qu'elle soit aussi barricadée. Oui, à cet instant, sa paresse refaisait soudainement surface ; à croire qu’elle était toujours là pour l’empêcher d’aller au bout de ses projets. Plutôt que de marcher, le métis envisagea d'essayer de défoncer la barricade avec de la glace.
Heureusement, l’inconnu avait une idée qui n’était pas hors de sa portée. Pas besoin de Superman ou de Spiderman pour s'envoler, quand on est griffon.
Son regard bleu clair, en suivant la direction indiquée par l’inconnu, vit la fenêtre que ce dernier visait. Et son attention fut tout de suite retenue. C’était effectivement une entrée secondaire en soi, si on avait l’état d’esprit d’un mec prêt à s’infiltrer illégalement quelque part.

« Y’a moyen d’y accéder. »

Répondit l’australien. Puis sans que son vis-à-vis n’ait le temps de se poser de questions, il fit apparaître ses ailes. Elles, tout comme lui, étaient largement assez solides pour supporter le poids d’une seconde personne durant un vol. Cependant, il ne faisait pas dans la charité, son aide ne s’obtenait pas si facilement que ça. Surtout pour de parfaits inconnus. Ce fait fut rapidement établi, quand Lyvion baissa les yeux vers le blond.

« Je t’emmènerai pas gratuitement. T’auras qu’à rester en bas comme un con. »

Parce que ce n’était certainement pas Lyvion qui se retrouvait embêté, là. Lui, il pouvait s’infiltrer facilement. Puis profiter du fait que les autres auraient potentiellement besoin d’un coup de main pour obtenir quelque chose, c’est plus rentable que de jouer les bons samaritains. C’est cool, Lyv, on l’a compris. Mais t’aurais peut-être pu trouver une manière plus sympathique de le dire.