✘ Faîtes place, on arrive | Earl&Emma

TIME FOR WAKING UP FROM BAD DREAMS

Les tiroirs de l'armoire étaient ouverts, débordant de vêtements dérangés, de toutes formes et couleurs. Les cintres empilés avaient transformé la chambre en dressing, les vêtements éparpillés en avaient fait une friperie. Assise au centre de la pièce, Emma scrutait l'écran de son téléphone, attendant de recevoir un appel qu'elle avait manqué de quelques secondes. Le message « Un appel manqué de : Papa » demeurait affiché, laissant une Fée perplexe et impatiente qu'il rappelle, curieuse de savoir ce qu'il y avait de si pressant pour qu'il daigne lui prêter de l'attention. Les sentiments d'Emma à l'égard de son géniteur demeuraient troubles depuis le jour où il avait brisé leur famille "parfaite", en tournant le dos à sa mère pour une femme plus jeune et moins talentueuse. La rancune que sa petite princesse avait à son égard n'avait cessé d'accroître au fur et à mesure que le temps passait, et rien ne semblait vouloir s'arranger. Elle ne pouvait pourtant se résoudre à haïr son père, lui qui avait été si doux, si aimant avec elle. Même Emma, aussi persévérante fut-elle, était incapable d'oublier à quel point elle avait aimé cet homme. Son téléphone vibra alors qu'elle se laissait tomber dans des songes épais, la faisant sursauter.
Emma ∞ Allô ?
Edward ∞ Salut Trésor, c'est Papa.
Il savait comment captiver son attention. Emma se détendit, alla jusqu'à fermer les yeux et s'adossa contre le rebord de son lit à baldaquin. On aurait pu apercevoir l'ombre d'un sourire sur ses fines lèvres roses, si seulement la voix de Marilyn n'avait pas été entendue au fond de la pièce, derrière celle de son père. Le timbre de sa voix était insupportable aux oreilles d'Emma ; c'était lui qui, chaque fois, la ramenait de force dans une réalité où sa précieuse famille était brisée par "cette pétasse" – comme elle aimait tant l'appeler – et qui lui rappelait que rien ne marcherait plus comme elle le voulait. Après avoir gentiment demandé à sa catin de le laisser parler à sa fille, Edward reporta son attention sur cette dernière.
Edward ∞ Comment vas-tu ?
Emma ∞ Pas de ça avec moi... qu'est-ce que tu veux ?
Mettre une telle distance entre eux la tuait. Emma aimait sincèrement son père ; il était celui qui lui avait appris que la famille était ce qu'il y avait de plus important, et même s'il était aussi celui qui l'avait détruite, Emma ne pouvait se résoudre à abandonner ses idées. Une grande inspiration fut prise de part et d'autre du fil, et Edward présenta des excuses à sa petite princesse. Elle savait qu'il se sentait terriblement coupable vis-à-vis de ses enfants, et le lui rappeler lui faisait autant de mal à elle qu'à lui... mais il fallait qu'elle le lui fasse comprendre. Earl et Eden eux-même ne se comportaient plus de la même manière avec lui depuis le divorce de leurs parents, mais si c'était la seule chose à faire pour tenter de reconduire leur père sur la voie qu'il n'aurait jamais dû quitter, les enfants étaient prêts à le payer.
Edward ∞ Marilyn et moi organisons une réception au village ce soir... je peux compter sur ta présence ?
Les longs doigts de la Fée se serrèrent autour du combiné. En grande amie des complots, Emma sentait un iceberg arriver tout droit sur son bateau. Rien n'était jamais choisi au hasard, c'était un principe dans leur famille... quelque chose se préparait de l'autre côté de l'île, mais il lui était impossible de savoir quoi. Un frisson lui parcourut l'échine, troublant sa respiration qui se fit plus saccadée. Son mauvais pressentiment lui donna envie de décliner l'invitation, mais en parcourant la pièce du regard, ses yeux se posèrent sur la tiare qui trônait sur le mannequin de bois, offerte par son père lors de son seizième anniversaire, lui rappelant que malgré la séparation de leur famille, Emma restait sa petite princesse.
Emma ∞ Je pourrais m'habiller comme je veux ?
La question sembla le déstabiliser. Personne n'avait jamais donné de restriction à Emma quant à sa manière de se vêtir, et jusque maintenant, cela lui avait toujours réussi.
Edward ∞ Bien entendu, mais n'en fais pas trop non plus... tu as le bonjour de Marilyn.
Emma ∞ Je m'en fiche. À ce soir Papa, je t'aime.
Sur ces belles paroles, Emma raccrocha, priant pour que sa belle-mère – qui ne l'était pas réellement – ait compris le message. La Fée décroisa les jambes, se leva d'un bond et sautilla jusqu'à la fenêtre, qu'elle ouvrit pour laisser la petite boule de poils pourpre se faufiler jusqu'à l'extérieur.
Zooey ∞ Je ne sais pas quel complot tu prépares mais... je l'attends avec impatience. ♥
Emma ∞ Je compte bien montrer à cette pétasse qui est la princesse de Papa, ce soir.
Longtemps on lui avait répété que sa gaminerie et ses manigances allaient la perdre. Peu de détails avaient changé depuis ses années de lycéenne où elle régnait sur l'école qu'elle fréquentait, et écraser ceux qui se dressaient sur son chemin était quelque chose qu'elle maîtrisait désormais. Le renardeau s'échappa par la fenêtre et rejoignit Eleanor sur le pas de la porte, qui avait demandé la compagnie de l'Affilié de sa fille, pour une campagne publicitaire qui avait bien vite désintéressé Emma.

Le souvenir du dilemme quotidien s'imposa à elle à la minute où la fenêtre fut refermée. Livrée à elle-même face au choix qu'elle avait à faire tous les matins, Emma se sentit horriblement seule. Elle se laissa tomber au milieu de la pile de vêtements qu'elle avait sortis avant d'être interrompue par l'appel de son paternel, les doigts traînant entre les différents tissus, incapable de tomber sur le vêtement qui inspirait sa journée. Tout était sensation, ressenti. Rien n'était jamais laissé au hasard, mais aujourd'hui, rien ne lui venait. Obsédée par l'idée que son père lui prépare une mauvaise surprise, Emma ne pouvait se résoudre à trouver une tenue à son goût, ce qui fit revenir sa mauvaise humeur au pas de course.
Emma ∞ Donna ? DONNAAAAA !
Sa roue de secours était sa fidèle bonne. Elle était le visage le plus familier de la maisonnée, elle qui l'avait servie depuis sa plus tendre enfance, et qui ne l'avait jamais quittée depuis. Emma appréciait cette femme un peu simplette, avec son accent italien très prononcé et ses manières brutes. Les hurlements de détresse de la princesse avaient toujours eu leur effet sur la bonne, mais cette fois ce ne fut pas elle qui débarqua sur le pas de la porte. Au lieu de voir la silhouette bourrue de sa bonne, Emma croisa le regard émeraude du beau jeune homme venu pour elle. N'importe quelle fille aurait rêvé se retrouver en tête-à-tête avec Earl, et sans doute aurait-ce été le cas d'Emma s'il n'avait pas s'agi de son frère aîné. Lorsque sa voix grave s'éleva dans la pièce, le souvenir d'une dispute revint à l'esprit d'Emma.
Emma ∞ ... Et toi ? Tu fais quoi, là ?
Il était sa visite inattendue de la journée. Après la conversation enflammée qu'ils avaient eu la dernière fois qu'ils s'étaient adressés la parole, Emma avait tout à fait le droit de se demander pourquoi il était à Skyworld alors qu'il était sensé se trouver chez son père. Un soupir s'échappa entre les lèvres de la jeune femme, qui retourna à son travail, ignorant la présence de son frère.
Earl ∞ Je venais pour te d’mander pardon d’avoir été aussi méchant avec toi l’autre jour. Désolé, je sais que j’ai fait le con.
Serah s'arrêta un instant, approuvant ses dires d'un hochement de la tête. Elle attrapa une chemise crème à col Claudine ivoire, une jupe assortie et se leva en balançant ses vêtements sur le paravent qui se situait derrière elle. Se glissant derrière, elle ôta son peignoir et changea de tenue.
Emma ∞ Je ne dirais pas mieux : t'as vraiment fait le con.
Remuer le couteau dans la plaie suffisamment ouverte était la spécialité de la cadette des Hottenberg. Terminant d'enfiler son haut, elle sortit la tête de derrière la surface du paravent et plongea son regard azur dans celui émeraude de son frère aîné.
Emma ∞ C'est pourquoi tu vas m'accompagner me trouver une robe pour ce soir.
Sa jupe mise en place, elle sortit de sa cachette et fouilla dans son armoire à la recherche de collants et chaussures susceptibles d'aller avec sa tenue. La mine perplexe d'Earl la fit froncer des sourcils, tandis qu'elle enfilait ses bas sans grande pudeur ; après tout ils avaient fait bien pire ensemble. S'asseyant sur son lit, elle enfila ses collants et trouva des bottines en cuir qui se mariaient à la perfection avec le sac qu'elle s'était laissé de côté et qu'elle avait acheté la semaine passée.
Emma ∞ T'es pas au courant ? Papa et sa pétasse organisent une réception à la maison.
Ce n'était pas la première fois que son père omettait Earl. Après tout l'aîné avait mis une certaine distance entre eux, d'après ce qu'elle avait pu comprendre... Earl était tellement attaché à Eleanor – leur mère – que personne ne pouvait le blâmer de prendre sa défense face à l'adultère de leur père.

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Emma était bornée, et Earl le savait. C'était la raison pour laquelle l'aîné de la fratrie fit part de son consentement sans broncher, indiquant toutefois qu'il était tout de même conscient que le refus n'était pas en option. Un sourire étira les lèvres d'Emma tandis qu'elle se levait pour choisir un manteau.
Emma ∞ Oh Earl, pourquoi crois-tu toujours que je prépare des mauvais coups ?
Il n'avait pas tort quant à ce qui motivait Emma à assister à la réception organisée par son père. Emma était toujours en train de comploter. Que ce soit par méchanceté ou par ennui, la Fée ne pouvait s'empêcher de manigancer de mauvais coups dans le but de se mettre en valeur ou, au contraire, dénigrer autrui. Ce soir, sa "belle-mère" allait prendre cher, elle qui se croyait à l'abri parce que la garce n'était pas là. Soutenue par ses frères, Emma était persuadée de ne faire qu'une bouchée de cette femme ce soir. Emma regarda son frère s'éloigner après un échange de regards complices et enfila un caban beige, trop léger peut-être pour le temps qu'il faisait  l'extérieur. Elle tourna sur elle-même puis, une fois satisfaite, sortit de la maison où l'on referma derrière elle. Earl était déjà installé et lui tendait son casque blanc, qu'elle mit sur sa tête en prenant soin de ne pas abimer sa coiffure, puis pris place sur l'engin. Elle avait toujours aimé les balades en moto, encore plus quand son frère conduisait. Agrippée à lui, elle regarda les rues défiler à toute vitesse jusqu'à ce qu'ils parviennent aux galeries marchandes, lesquelles ne vendaient que des articles hors de prix mais Ô combien travaillés. Son frère l'aida à descendre et rangea les casques pendant qu'elle réarrangeait les détails de sa coiffure. Ce n'était jamais qu'un serre-tête rose, mais Emma avait toujours été une grande partisane de la perfection.
Emma ∞ Très bien, dans ce cas, suis-moi !
Elle s'avança, et il la suivit. Malgré le fait que la température ait chuté depuis la semaine passée, les sanctuariens appréciaient toujours autant l'air extérieur et ne pouvaient résister à l'envie de sortir au lieu de rester tranquilles chez eux. Avec l'anniversaire de l'île qui approchait, tous avaient choisi de faire leurs achats de cadeaux au même moment, animant les rues d'une présence qui n'était pas rare en cette période de l'année. Empa entra dans le premier magasin qu'elle vit en entraînant son frère derrière elle. Malgré le monde, peu de gens se risquaient à entrer dans ces boutiques luxueuses pleines de robes que les filles de mettent qu'une fois dans leur vie, pour des soirées, des cocktails et autres réceptions habillées auxquelles les Hottenberg avaient pris l'habitude de participer de gré ou de force. Elle tira deux robes après un coup d'œil expert, l'une rose et l'autre bleue. En les tendant devant elle, Emma eut un regard très critique, en proie à une longue hésitation.
Emma ∞ Je vais essayer les deux.
C'était la réponse au dilemme. Elle s'enfonça au fond de la boutique et donna son sac à son frère prié de l'attendre à l'extérieur de la cabine. Elle commença par la rose, toute faite de mousseline, tenue par deux bretelles. La robe était d'une simplicité enfantine, renforçant le côté petite fille d'Emma, parfaite pour amadouer son père. Elle sortit et défila devant Earl, tournoyant pour lui montrer sous tous les angles.
Emma ∞ On dirait que j'ai quinze ans... tu trouves pas que je porte trop de rose ?
À y songer avec un peu de recul, il était vrai que le rose était, avec le bleu, les teintes les plus assorties au teint d'Emma. Son armoire était remplie de vêtements de tous les dérivés du rose, mais personne ne semblait le remarquer. Elle réfléchit un instant, écouta les remarques de son frère et entra à nouveau dans la cabine pour essayer la seconde robe. Cette robe était également faite pour rajeunir, mais avait un caractère plus "lycéenne pour le bal de fin d'année" étant donné que la ruche était plus longue que la précédente. Sortant de nouveau pour la montrer à Earl, elle tourna plus lentement et s'arrêta face à lui.
Emma ∞ Et celle-là ? J'en avais une dans le même style au bal de fin d'année, après tout ils ont divorcé quand j'étais encore au lycée...

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Emma eut un sourire radieux, ravie d'entendre les compliments de la part de son frère. Cela changeait d'Eden qui, depuis leur plus tendre enfance, répétait sans cesse « T'es moche. T'es moche. T'es moche. » chaque fois qu'elle hurlait sur tous les toits qu'elle était la plus belle. Elle tourna sur elle-même, regarda à nouveau la tenue turquoise qu'elle avait choisie avec plus d'attention qu'elle ne l'avait laissé croire et garda cet air critique même lorsqu'il s'agissait d'elle-même. Elle vit son frère à travers le miroir, qui la fixait avec le même air qui accentua leur ressemblance, bien que leurs visages soient très différents.
« Vous en savez des choses, Monsieur Earl-Sky... »
Elle gloussa et le regarda à travers le miroir. Depuis quand connaissait-il aussi bien ce qui allait aux femmes ? Emma avait toujours cru qu'il n'y connaissait rien, et s'était parfois demandée s'il n'était pas homosexuel... quelle tristesse pour la gent féminine si cela avait été le cas ! En balayant la petite boutique du regard, Emma n'avait eu que très peu de difficultés à remarquer lesquelles d'entre les clientes s'étaient permises de reluquer son frère. Elle entra à nouveau dans la cabine pour changer une nouvelle fois de tenue et en ressortit avec les deux robes, qu'elle fourra dans les bras de la première vendeuse venue lui demander si ses achats se déroulaient comme elle le voulait.
« Je ne prendrai aucune des deux. Earl, changeons de magasin, celui-ci n'est pas pour moi... »
Emma avait cette facheuse tendance à changer d'avis comme de chemise, au plus grand désespoir de son frère qui était forcé de supporter tous les caprices de son embêtante cadette. Elle le prit par le bras et l'entraîna jusqu'à la sortie, déterminée à ne pas se limiter au premier magasin et surtout se trouver la robe qui ferait la différence. Ils traversèrent l'allée marchande, et elle ne put s'empêcher de relever toutes les fautes du goût qui traînaient sur son passage, avec le moins de tact possible et sans aucune gêne apparente. Se promener avec Emma devenait très vite insupportable, mais Earl était son grand-frère, et il savait à quoi s'en tenir avec sa capricieuse cadette. Ils firent le tour de trois boutiques supplémentaires, et chaque fois Serah jouait la même comédie que dans leur première trouvaille, et sortait plus désespérée que jamais. Même si, tout à fait entre nous, le plus à plaindre était ce pauvre Earl-Sky forcé de la suivre sans broncher puisque son but premier était de se faire pardonner. Et il était mal vu de faire la tête quand on avait quelque chose à se reprocher.
« Oh tiens, Maman m'a parlé de cette boutique l'autre jour... »
Sans attendre une quelconque réaction de la part de son frère, Emma poussa la porte du magasin et traversa l'unique pièce qui présentait des robes plus magnifiques les unes que les autres. Les prix explosaient dans ce genre de petites boutiques, mais l'argent n'était pas ce qui manquait aux Hottenberg, qui faisaient partie de la jeunesse dorée de Skyworld seulement grâce à ces drachmes que rapportaient leurs parents. Mais c'était le principe de « l'élite » dans laquelle on ne pouvait entrer qu'à condition de gagner le poids de sa maison en or. Ce magasin ne vendait que des pièces uniques, ce qui signifiait que des ajustements étaient nécessaires, et donc qui revenait à une forme dérivée du sur-mesure.
« Earl, j'en ai une à essayer ! »
Sans lui laisser le temps ne serait-ce que d'entrevoir le tissu, Emma s'engouffra dans les cabines d'essayage et se changea en moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire. Elle se regarda longuement, puis tira enfin le rideau pour montrer le chef d'œuvre à qui voulait le voir.
« Tu te rappelles quand j'ai dit que plus tard, je me marierai avec toi ? »
C'était le premier souvenir qui lui était revenu à l'esprit en se voyant dans cette longue robe blanche. Elle lui avait paru un peu simple quand elle l'avait vue sur le présentoir, mais tout compte fait cette robe bustier faisait partie des plus belles qui lui avait été donné de porter. Elle tourna sur elle-même et eut ce même sourire que lorsqu'elle était encore une fillette. En fouillant dans ses souvenirs, c'est vrai qu'elle avait eu plusieurs « phases » dans sa relation avec Earl. Mais dès le moment où elle avait appris à parler jusqu'à ses huit ans au moins, elle avait été la fan numéro un de son très beau grand frère.
« Même que Papa disait qu'il était jaloux... »
Il n'y avait qu'avec ses frères qu'Emma-Serah se permettait de parler librement. Il y avait toujours eu une grand retenue quand il s'agissait de parler au sujet de son histoire ; raison pour laquelle on connaissait Emma comme focalisée sur l'avenir et l'instant présent. Or ses souvenirs, à l'époque où sa famille était une « vraie famille », avaient bien plus de valeur que toutes les choses superficielles qu'elle donnait l'impression d'aduler. Elle s'approcha d'Earl, assis sur le canapé mis à disposition, puis le regarda droit dans les yeux.
« Elle est bien ? Sois franc, parce que si elle est bien, je la prends. »
Peut-être prenait-elle cette affaire trop au sérieux. Raviver des souvenirs alors que son père essayait de tourner la page risquait peut-être de l'irriter plus qu'autre chose ? Elle voulait prendre le risque, ne serait-ce que pour voir le visage de sa pseudo belle-mère se décomposer... mais quoiqu'elle ait pu dire au sujet de son paternel, le faire souffrir n'était pas son but. Elle l'aimait trop pour ça, car après tout il faisait partie du cercle très restreint des « hommes de sa vie » qui s'étendait, entre autres, à Earl et Eden.

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Earl ∞ C’est parfait.
Il finissait toujours par lui dire tout ce qu'elle voulait entendre. Emma l'avait écouté vanter les mérites qu'aurait la robe à être portée ce soir plus qu'un autre, tout en tournant sur elle-même à la recherche de la moindre imperfection susceptible de lui faire changer d'avis. Le tulle avait un tombé sublime, pailleté comme il le fallait et cousu au bustier de la robe de la même manière que l'étaient les robes qu'elle portait pour danser. C'était son père qui l'avait accompagnée à son premier cours de danse, et qui avait ensuite assisté à chacune de ses représentations sans aucune exception. Jusqu'au jour où Madame Marilyn était entrée dans sa vie et lui avait fait comprendre que l'art et elle étaient incompatibles. Serah lui en avait voulu le soir où elle n'avait pas vu son visage dans les loges du théâtre de Chloris, et depuis il n'avait plus osé se représenter à aucun ballet. Et lorsque son frère la prit par les épaules pour l'obliger à faire face au miroir, Emma ne put s'empêcher de se dire qu'ils étaient terriblement bien assortis. Quand bien même il était son frère et jamais rien d'autre pour elle. C'était une question physiologique à laquelle elle répondait intérieurement, et de façon très objective comme le lui avait si bien appris sa mère.
Earl ∞ Ca te dit d’avoir un prince charmant pour ce soir là ? Et si Ed’ est d’humeur, on pourrait même s’arranger pour que tu en aies deux…
Il y eut un éclair de surprise dans le regard d'Emma. Le regard bleu qu'elle tenait de son père, et dont elle était la seule détentrice puisque ses deux frères avaient hérité des magnifiques yeux verts de leur mère. Cette surprise laissa bien vite place à cette lueur mesquine qui caractérisait Emma-Serah lorsque le mauvais coup qu'elle préparait se déroulait comme elle l'avait planifié. Sa main passa dans sa chevelure chocolat, repassant les larges boucles avec un air satisfait, puis son visage s'illumina d'un sourire qui n'avait rien de rassurant.
Emma ∞ Dis-moi, c'est à force de me cotôyer que tu es devenu si vicieux ou c'est naturel chez nous ?
Elle se retourna, se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur la joue de son frère. Puis elle s'éclipsa dans la cabine pour remettre la tenue qu'elle avait préparée deux heures plus tôt. La vendeuse lui prépara sa robe et elle quitta le magasin après avoir payé les six cents drachmes que valait son dû. Son sac accroché au coude, elle s'empressa de saisir le numéro du dernier enfant de la famille, qui devait sûrement être resté dans leur demeure dans les montagnes. Eden, lui, avait sans doute eu vent de la soirée organisée par leur paternel, mais le contraire n'aurait étonné personne. Il y eut un grand nombre de tonalités avant qu'Emma ne tombe sur le répondeur de son frère, ce qui eut l'effet de lui faire lever les yeux au ciel.
Emma ∞ Eddy ? J'espère que t'es levé, parce que Papa organise une soirée ce soir... tu dois le savoir, après tout t'es resté à la maison. Enfin bref, prépare toi, j'arrive avec Earl et on s'est mis d'accord pour emmerder Marilyn.
Emma jeta un coup d'œil vers Earl, qui bien qu'il n'ait pas formulé l'idée à haute voix, l'avait pensé suffisamment fort pour le faire comprendre à sa petite sœur.
Emma ∞ Trouve toi une tenue avant vingt heures, on arrivera dans ces eaux-là... Oh et non, oublie. Je me charge de te trouver une tenue.
Et Emma raccrocha. Elle avait toujours eu l'habitude de donner des ordres, et continuait de le faire à Eden bien qu'elle savait qu'il ne le supportait pas. Lui avait bien compris que considérer sa sœur aînée comme la princesse qu'elle était ne lui attirerait que des problèmes, raison pour laquelle ils étaient en perpétuel conflit... mais il fallait les comprendre, après tout ils étaient encore frères et sœurs. Cela ne voulait pas dire qu'il ne serait pas de la partie... quand il y avait Earl dans le coup, il était difficile de marcher à contre sens. L'aîné des Hottenberg pouvait se montrer terriblement persuasif, quand il le voulait...
Emma ∞ Est-ce qu'il te faut une nouvelle tenue, à toi aussi... ?
Question rhétorique. Emma attendait rarement les réponses lorsqu'il lui arrivait de se questionner sur tout ce qui touchait de près ou de loin aux vêtements. En s'accrochant au bras de son aîné, la demoiselle traversa la rue pour s'enfoncer dans un magasin qui habillait les hommes, dans lequel elle se détacha rapidement de son frère pour faire des tours et des tours, pendant pas loin de dix minutes. Elle eut le temps de prendre trois ensembles, deux noirs – dont un cravate et l'autre nœud papillon – et un blanc. En donnant les cintres à son frère, elle fit volte-face et tout en commençant à déambuler entre les différentes allées de la boutique, lança à Earl :
Emma ∞ Essaye ça, je vais chercher quelque chose pour Eden... la coupe est superbe, tu ne trouves pas ?
Sans attendre une quelconque réponse, Emma-Serah s'enfonça dans le magasin et son frère la perdit très rapidement de vue. Elle était dans son élément, il ne fallait pas la couper dans son élan.

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