only a girl knows how a girl feels. ❞ (emmaelicya)

Emma avait une liste des "hommes de sa vie" qui tenait dans ses deux mains, à une époque pas si lointaine.
Aujourd'hui, on pouvait dire qu'elle s'était allongée et elle n'était pas sûre de ce qu'elle ressentait à ce sujet.
Ce qu'elle savait en revanche c'était qu'elle ne pouvait appeler absolument aucun d'eux pour parler de ses états d'âme et il n'y avait rien de plus frustrant que de ne pas pouvoir compter sur les êtres les plus chers à sa vie au moment où elle avait le plus besoin d'eux.

Elle était rentrée relativement tôt et s'était immédiatement plongée dans son travail, faute de n'avoir trouvé aucune autre alternative pour se changer les esprits. Et quand elle était comme ça, elle se sentait en sécurité, dans sa petite bulle impénétrable dans laquelle elle était seule, et que par conséquent rien n'échappait à son contrôle.

Mais ces moments-là ne duraient jamais bien longtemps. La preuve car on sonna à la porte dès l'instant où elle prenait conscience qu'elle se sentait bien, dans le déni.
Elle ne s'était pas changée en rentrant des cours, et s'était directement enfermée dans son bureau pour ne pas se risquer à faire autre chose qu'elle finirait par regretter.
Comme rendre une visite impromptue à quelqu'un, par exemple.
Maintenant il était trop tard, parce que

— Bonsoir Emma. »

Ce n'était pas tout à fait elle qu'Emma s'attendait à voir.
En réalité, elle ne pensait plus jamais revoir cette femme. Elle ne put s'empêcher de la regarder de haut en bas, en stoppant son regard à divers endroits -sur son maquillage, parfait mais pas approprié pour un rendez-vous galant, ou sur le sac qu'elle portait dans les mains, qui témoignaient d'un arrêt au marché.
Aelicya était réellement venue pour elle.

— Je peux t'aider ? »

Il y avait bien des mois qu'il était de notoriété publique qu'Emma-Serah vivait à nouveau seule. Ce n'était pas paru dans les tabloïds -il n'y avait plus rien chez elle qui les intéressait maintenant qu'elle s'était retirée des réseaux sociaux- mais les gens de la haute parlaient, parfois un peu trop.

Elle ne savait pas bien ce qu'elle avait fait de si exceptionnel ce jour-là pour mériter une bouteille de vin et une boîte de chocolat, aussi Emma resta un peu sceptique en premier lieu. Après tout elles ne se connaissaient pas au-delà des altercations qu'elles avaient eues dans le passé -et dont Emma n'était pas spécialement fière, rétrospectivement- alors pourquoi se montrer maintenant, pour revenir en plus sur un épisode qui était si anecdotique ?

Et petit à petit, les choses s'éclairèrent pour Emma. Aelicya avait besoin de parler à quelqu'un qui comprendrait ce que cela signifiait de se retrouver au milieu de tout ce beau monde. Elle n'avait pas fait exprès de s'attacher aux hommes qui faisaient la vie d'Emma, mais si tout cela les avait amenées l'une vers l'autre alors il était temps qu'elles se présentent en bonne et due forme.

— Si tu raisonnes comme ça alors tu aurais dû venir avec les fleurs. »

Bien sûr elle ne pouvait pas blâmer Aelicya pour penser comme cela -après tout n'avait-elle pas été élevée avec cette mentalité ? Seulement elle s'était détachée des dictas et autres règles issues de conventions idiotes, et si beaucoup le lui avaient reproché, elle ne s'était jamais sentie mieux depuis.

— Viens, entre. »

Elle accepta les présents qu'elle porta dans la cuisine, et sortit deux verres de ses placards qu'elle disposa sur la table du bar. Puis elle grimpa sur le comptoir -sale réflexe qu'elle n'allait sûrement jamais perdre- et servit les deux verres à un peu moins de la moitié.

— Je suppose que tu es venue pour discuter de quelque chose en particulier ? »

Oh, elle avait une petite idée en tête, c'était pourquoi elle ne s'était pas embarrassée à rendre le moment plus gênant.

Elle eut un sourire un peu crispé à l'évocation de leur point commun le plus évident. Elle non plus n'avait plus envie de ressasser le passé. Si elle l'avait laissé délibérément derrière elle, c'était pour ne plus avoir à se retourner ni à devoir ne serait-ce que l'évoquer. Le retour d'Aelicya lui permettrait certainement de tirer un trait définitif sur cette partie de sa vie.

— La différence cette fois, c'est que je ne couche pas avec Dante. »

Non, ça c'était moi. Emma leva les yeux vers Aelicya et battit des cils, l'air de rien, tandis qu'elle sentait une forme de gêne -qui n'en était pas réellement- s'installer de son côté. Aelicya ne sembla pas lui en tenir compte et Emma se contenta de hocher la tête, avant de porter le verre à ses lèvres pour éviter de s'embarrasser plus que cela. Elle avait été témoin de la tension qui régnait entre Dante et Aelicya, et s'il avait refusé de répondre à ses questions les jours suivants alors c'était qu'il y avait bien plus qu'il ne le prétendait. Alors comme ça ils n'avaient pas couché ensemble ? Ça, c'était inhabituel.

— J'ai arrêté de fréquenter Dante dans ce sens-là, si tu veux savoir. »

Bien sûr ils étaient restés en bons termes, car de toute manière ils se l'étaient dit lorsqu'ils avaient commencé à se fréquenter : ils pourraient arrêter de coucher ensemble mais rester en contact, c'était à cela que servaient les amis après tout.

— Et si tu veux mon avis tu devrais faire pareil. »

Elle appréciait sincèrement Dante malgré ses innombrables défauts. Il était charmant, intelligent, cultivé et attentionné -à sa manière- mais elle en avait trop vu pour rester muette à son sujet.
Et elle supposait que c'était pour cette raison qu'Aelicya était venue, pour quoi d'autre sinon ? Prendre de ses nouvelles, à elle ?

— Je suppose que tu sais déjà pourquoi. »

La bienveillance qu'elle réservait à ses proches avait été étendue à un peu plus loin que son cercle, depuis peu. Et il incluait maintenant les femmes qui avaient des problèmes avec les hommes.

La situation était étrange, et pourtant Emma y trouvait une forme de naturel qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir adopter en étant face à cette femme. Même quand elle amena sur la table un sujet sensible. Emma crut bon de se servir un verre et le finir avant de continuer la conversation ; chose qu'elle n'aurait jamais imaginé faire auparavant. Les derniers mois lui avaient appri à boire, mais pas à tenir l'alcool malheureusement.

— Ça va aller. Il est plutôt résistant. » Il l'était à une époque, mais ce n'était plus vraiment le cas. « James va s'en sortir, il le fait toujours. »

Elle ne savait plus bien qui elle essayait de rassurer. James avait été admis une nouvelle fois à l'hôpital, peut-être pour quelque chose de plus grave que d'habitude. Elle n'était pas parvenue à soutirer plus d'informations à son médecin -depuis qu'elle avait forçé le changement- mais n'abandonnait pas pour autant.

— J'essaye de lui rendre visite le plus souvent possible. On tourne avec son frère et notre meilleur ami, pour qu'il ne soit jamais seul. »

Emma avait d'autres préoccupations -comme son nouveau poste au sein de la police, et sa vie sentimentale qui était de plus en plus active désormais- mais n'oubliait jamais de passer à l'hôpital tous les week-ends, et dès qu'elle le pouvait en semaine. Parfois, elle y croisait Klaus, ou Rodrick -parfois même les deux en même temps. Et les réunions comme celles-là étaient les seules qu'ils avaient, et d'une certaine manière cela leur allait.

— ... tu vas dîner souvent au resto avec Thomas Phoenix ou je deviens aveugle ? »

La fée réalisa que son esprit était ailleurs lorsque le nom qu'Aelicya évoqua la ramena à la réalité. Elle ne put s'empêcher de froncer les sourcils, comme chaque fois qu'un problème se posait et que son cerveau se mettait en marche pour essayer d'en comprendre les dénouements.

— Est-ce que tu m'observes ? Ou mes faits et gestes sont-ils encore épiés en permanence ? » Elle soupira. « Moi qui pensait que ma mère avait arrêté de surveiller mes fréquentations... »

Elle ne serait pas surprise que sa mère et ses amies aient continué à commérer. Après tout, ces femmes avaient toujours été les premières à s'intéresser à la génération future portée par tous ceux qui venaient de passer la vingtaine, et si elles n'avaient eu aucun scrupule à commenter les fréquentations d'hommes comme Matthew Harrington -il suffisait de voir quel scandale il avait provoqué lorsque sa compagne actuelle s'était installée chez lui- alors sans doute n'était-il pas étonnant qu'Emma soit passée sur la table à son tour.

— Thomas… enfin Law, c'est comme ça qu'on l'appelle, est simplement mon coéquipier au travail. C'est son frère qui m'emmène au restaurant. »

Elle prit son verre entre ses mains et réalisa qu'elle avait déjà la tête qui tournait. C'est pour cela qu'elle décida que de toute manière, au point où elles en étaient, un verre de plus ou de moins ne changeait pas grand chose.

— Je connaissais Stelian avant de rencontrer Law, tu n'imagines pas ma surprise quand j'ai découvert qu'il avait un frère jumeau. » Elle se mit à rire. «Enfin... j'ai supposé qu'ils étaient jumeaux, aucun des deux ne me l'a confirmé parce qu'ils ne savent pas que je connais l'existence de l'autre. »

Il y avait quelque chose de confortable à discuter ainsi avec Aelicya. Ce n'était pas dans les habitudes d'Emma de se confier sur sa vie personnelle et sentimentale, mais elle manquait terriblement d'oreilles attentives récemment -Nate avec encore une fois disparu des radars et elle n'était pas certaine de vouloir entendre Klaus lui faire la morale sur les mauvaises fréquentations qu'elle pouvait avoir. À chaque phrase qu'Aelicya prononçait, le sourire d'Emma ne cessait de s'allonger, signe que l'alcool faisait déjà son effet.

— Je vais voir ce que j'ai en réserve. »

Elle avait pour principe de toujours garder une unique bouteille, au cas où des invités impromptus se présenteraient, mais n'étant pas une grande buveuse il n'y avait malheureusement pas plus que cela dans ses placards. Emma descendit du comptoir, eut une légère perte d'équilibre avant de traverser dignement la cuisine et sortit une bouteille de vin rouge qu'elle ramena sagement à sa nouvelle copine.

— Tu sais que j'ai quitté Matthew Harrington parce qu'il m'a trompée. »

Emma se débattit avec son tire-bouchon pour ouvrir la nouvelle bouteille alors que l'autre n'était pas terminée.

— Tout le monde raconte que c'était l'affaire d'une nuit, mais j'ai beau être une tarée -comme ils disent- je ne suis pas aussi folle qu'on le prétend. » Elle se servit un nouveau verre. « Ça faisait un moment qu'il voyait cette fille. »

Si elle avait longtemps fait comme si les remarques qu'elle avait reçues dans le passé ne l'atteignait pas, ce n'était pas tout à fait vrai. Elle avait écouté et épluché tout ce qu'on avait dit sur elle, mais n'avait rien appris de nouveau.

— Donc tu comprendras qu'après un traumatisme comme celui-là, à dix-huit ans, ça te marque à vie. » Elle eut un haut le coeur en sentant l'odeur du vin mais prit quand même une gorgée. « C'est moralement impossible pour moi d'envisager voir plus d'un homme à la fois. »

Non, ce n'était pas totalement à cause de Stelian qu'elle avait cessé de voir Dante. C'était aussi une décision qu'elle avait prise pour elle. Elle aimait beaucoup Dante -plus qu'elle ne l'aurait pensé lors de leur rencontre- mais il avait été clair avec elle dès le début, et elle avait été claire avec lui. Ils ne pouvaient rien s'apporter de plus mutuellement, alors le jour où l'un déciderait d'arrêter alors il en serait ainsi.

— Disons que c'est compliqué sans l'être. J'ai l'impression de comprendre ce qu'il veut avec moi mais... il ne veut pas me le dire explicitement, alors une partie de moi me dit que je me fait peut-être des idées. »

Elle leva les yeux au ciel, l'air de se demander si elle croyait vraiment à ce qu'elle venait de dire.

— C'est très clair pour moi, pour lui en revanche... ça l'est un peu moins. »