Pour la première fois depuis un bon moment, Thomas était allé au travail cette semaine là.
Depuis l’accident de Stelian, il avait posé presque tous ses jours de congé par pure paranoïa ; juste histoire d’être certain d’être disponible si jamais on avait besoin de lui dans le coin. C’était un peu stupide dans un sens car il n’avait pas spécialement dédié tout ce temps libre pour être présent auprès de son frère –c’était encore difficile de le côtoyer, et il avait beau s’efforcer de passer le voir le plus possible à l’hôpital il avait fallu un peu de temps pour qu’il s’habitue à voir régulièrement son jumeau.
Stelian était ensuite venu habiter chez lui –il devait encore y être à l’heure actuelle, quand bien même il ne savait pas trop ce qu’il faisait de ses journées– et cette fois il avait fallu qu’ils réapprennent à vivre ensemble comme avant.
Comme avant.
Ça lui faisait aussi peur que plaisir s’il était assez honnête envers lui-même pour se l’avouer.
Et c’estparce qu’il avait senti que le moment était le bon, que tout le monde avait repris ses marques à la maison, qu’il se décida à reprendre du service. Il avait besoin d’un break, et étrangement le travail l’empêchait de trop se focaliser sur les problèmes familiaux du moment –on lui aurait dit quelques années plus tôt qu’il trouverait un jour une distraction à son quotidien dans le travail qu’il en aurait fait une syncope.
En entrant dans le commissariat, il salua tous ses collègues avec son habituelle nonchalance, comme une façon de leur demander de ne pas poser de questions. On lui donna alors la charge, avec trois autres lieutenants, d’un dossier tout récent datant de la veille. Incendie suspect, une famille d’hybrides retrouvée morte au milieu des restes calcinés d’une petite boulangerie apparemment sans histoire ; ça sentait le coup monté à plein nez, et bientôt les rapports du légiste confirmèrent son pressentiment –on avait retrouvé une balle de plomb coulée d’argent dans le crâne du cadavre qu’on avait identifié comme étant le père de famille.
On décida de se rendre sur place pour commencer le boulot.
×××××
Assis dans un coin de la boutique, les bras croisés sur le dossier et le menton logé en leurs creux, Thomas observait minutieusement le sinistre tableau. Il imprimait chaque détail des lieux dans un coin de son cerveau et s’affairait déjà à brainstormer toutes les éventualités et mettre de côté les hypothèses vaseuses, tandis que ses collègues discutaient à côté de lui avec le spécialiste de la scientifique qui avait été envoyé sur les lieux à la première heure.
Ce furent les bruits de talons qui claquent sur le sol qui le tirèrent de ses élucubrations, puis une voix de femme qui ne lui sembla absolument pas familière.
«
Je cherche le lieutenant Law… Phoenix.—
Law, c’est pour toi, fit l’un des lieutenants et lui assénant un léger coup dans l’épaule pour le tirer de ses pensées –ce qui eu le don de l’agacer car aux dernières nouvelles il avait des sens plus accrus que toutes les autres personnes de cette pièce et n’avait pas besoin qu’on le rappelle à l’ordre à tout bout de champ. »
Thomas leva les yeux vers la jeune femme sans se lever de son siège pour autant –il voulait svoir pourquoi on le dérangeait avant de couper court à sa gymnastique criminologique mentale.
La jeune femme était certes impressionnante, de part sa taille comme son allure, mais ce ne fut pas son physique qui laissa l’ange déchu perplexe mais plutôt la drôle de façon qu’elle avait de le dévisager –avant de se reprendre en vitesse.
«
Emma Hottenberg. Je suis consultante dans votre service, et j'ai été assignée à cette enquête par Vanessa Scholl.—
Oh, c’était ça le truc important qu’elle voulait me dire ce matin, il réalisa à voix haute avant de se reprendre à son tour et se lever pour serrer la main de la nouvelle venue.
Lieutenant Phoenix, se présenta-t-il après une brève poignée de main,
si vous êtes d’accord, on peut commencer à se tutoyer et s’appeler par nos prénoms dès maintenant, ça m’arrangerait. »
Thomas détestait les conventions sociales bien huilées, et devoir vouvoyer des gens de son âge –voire des gens plus jeunes, ça lui donnait de l’urticaire. Et s’il faisait beaucoup d’efforts, avec ses collègues, pendant ses enquêtes, il ne s’en donnait pas la peine car il était sur son terrain ; de toute façon même s’il le faisait il finirait par gaffer tôt ou tard.
«
T’as pas autre chose à foutre Letscher ? fit-il d’un ton à la fois ferme et nonchalant en direction d’un de ses collègues qui venait de lâcher tout bas une remarque sur sa nouvelle coéquipière –manque de bol, il l’avait entendu.
Tu devais pas aller interroger le voisinage avec Rhodes ? »
Si sur le papier, ils avaient tous le même titre, dans les faits, Thomas bénéficiait sur certains collègues d’une forme d’autorité qu’il ne comprenait pas tout à fait lui-même –peut-être due au fait qu’à ses début il avait été le poulain du lieutenant chef de l’époque, aujourd’hui capitaine ; il n’en savait trop rien, mais s’en réjouissait. Les deux lieutenants évacuèrent les lieux, le troisième retourna continua son échange avec le type de la scientifique, et Thomas se retrouva seul avec Emma.
«
On t’as déjà briefée ou faut que je m’en charge ? il lui demanda en fourrant une main dans sa poche. »
Si ses mots pouvaient parfois paraître hautains voire dédaigneux, il avait le don de le dire avec une désinvolture déstabilisante qui ne prouvait qu’une chose : peu importe qui il pouvait avoir devant lui, il ne prenait jamais de pincettes et ne changeait pas de comportement selon les gens –contrairement à d’autres.