Babysitting inter-espèce... [pv=Amy \@/]

Baby sitting inter-espèce

Ame Youshouki | Sheena C. Valente

«Au bout de la rue, sur ta droite, tu trouveras le bar de Dyonisos. Il n’est pas dur à reconnaitre, c’est le seul bar plein dans le coin, et ce peu importe l’heure. Diriges-toi vers le comptoir, et demande à voir un dénommé Scar. Cet homme devrait pouvoir t’aider. Par contre, je ne conseille pas à un gamin de s’aventurer seul dans ce genre de quartier…Mais tu fais comme tu veux… »

Tel était le conseil que m’avait gentiment donné le vieillard à qui je m’étais adressé avec la conviction d’avoir enfin trouvé une personne digne de confiance dans les ruelles sombres de la cité appelée Skyworld. Cela faisait maintenant un mois que Yuki et moi avions débarqué dans ce nouveau monde, et nous avions acquis au cours de plusieurs rencontres quelques connaissances à son propos. Et notamment que nous vivions sur une île où la magie était une chose commune et où tout être vivant était un potentiel danger. J’avais donc appris à me méfier de la moindre créature, si petite soit-elle, puisque mes proies pouvaient à n’importe quel moment se transformer en des prédateurs insoupçonnés.

Et il y a quelques heures à peine, nous étions encore tous les deux dans l’immense forêt qui occupait à elle seule une très grande superficie de l’île. C’est en atteignant l’immense muraille d’une grande cité qui me rappelait un peu l’architecture humaine, et dont je découvrais bien vite le nom de Skyworld que j’eu une idée qui ne me ravit pas moi-même, et qui plaisait encore moins à la louve. J’avais dans l’idée d’entrer sous ma forme humaine dans l’enceinte de ces énormes murs, et de trouver, avec un peu de chance, un moyen de nous assurer une ration de nourriture quotidienne, puisque la chasse était devenue impossible pour des êtres aussi faibles que nous dans un monde aussi hostile. Si Yuki refusa d’abord catégoriquement de me laisser seule dans un endroit aussi dangereux, elle revint sur sa décision, non sans s’inquiéter, mais la vision d’une mort de faim n’avait pas l’air de l’enchanter.

Je me dirigeais donc vers la grande porte en bois, et reprenais ma forme originale, que j’avais toujours eu du mal à supporter, y trouvant moins le sentiment de liberté qui me gagnait quand je courrais sur mes quatre pattes. Les deux gardes semblèrent s’interroger du regard sur les raisons qui avaient pu pousser un enfant comme moi à sortir de la ville, mais me laissèrent passer sans même me poser la question. Et c’est une fois entré que je me mis à rechercher du regard une personne qui me semblait assez honnête et gentil pour guider un enfant cherchant à manger. De passant en passant, mes recherches me menèrent jusqu’à ce dernier vieillard, qui m’avait conseillé d’entrer dans ce qu’il nommait taverne. Je poussais la porte de mes petits bras d’humains, et entrais dans un lieu qui empestait d’une odeur à laquelle les humains donnaient le nom d’alcool, et que plusieurs groupes distincts semblaient s’amuser à savourer bruyamment.

Je prenais directement la direction du comptoir, sans faire plus que ça attention aux quelques regards qui venaient se poser interrogativement sur moi, et après m’être installé difficilement sur l’un des sièges hauts juste en face de l’homme qui semblait maître de ces lieux, et qui passait son temps à servir la même boisson mousseuse et alcoolisée à tous les barbus autour de moi. Son regard finit pas s’arrêter sur le mien, et d’une voix autoritaire, il s’exclama :

« Un enfant comme toi n’a rien à faire dans un endroit comme ça, j’espère que tu as tes raisons où je te fous dehors »

Je ne pus m’empêcher de sourire en imaginant comment pourrait tourner les choses si je ne lui répondais pas quelque chose d’assez convaincant…Malgré sa masse imposante, il n’avait pas l’air dangereux, alors je pourrais sans doute m’amuser avec lui…Mais je repris bien vite mes esprits en pensant à comment Yuki réagirait en apprenant que j’avais encore fait des miennes, et que cette fois elle ne pourrait pas venir me sortir de là. Je tentais donc de rester sérieux, et lui répondais assez fort pour qu’il puisse entendre :

« On m’a dit qu’un certain Scar était dans le coin… »

L’une des tables proche de l’entrée sembla comme s’éteindre. Plus aucun bruit n’en émanait, à part celui d’une chaise qui se reculait, et d’un homme, assez grand, qui se levait sur ses jambes. Je ne m’étais pas encore retourné, mais je n’eus aucun mal à comprendre que l’homme en question n’était autre que celui que je cherchais, et qu’il semblait être craint par beaucoup puisque les deux hommes assis à mes côtés ainsi que le gérant s’étaient complètement figés. Je me retournais finalement, et croisais le regard d’eu balafré qui guettait dans ma direction depuis l’autre bout de la salle. Je descendis du tabouret, et me mis à marcher dans sa direction même si son odeur me repoussait complètement. Je n’avais pas peur de lui, non, j’avais déjà rencontré des personnes bien plus fortes. Même dans cette salle, je pouvais compter une dizaine de personnes qui pourraient lui botter les fesses sans soucis. Et j’en faisais partie.

« Et pourquoi un gamin comme toi me demande ? Je n’ai pas le temps de jouer à la nounou moi, alors tu ferais mieux de foutre le camp tout de suite, ou sinon… »

« Ou sinon quoi ? Vous comptez vraiment vous battre ici ? Et dans votre état en plus ? Regardez, vous tenez à peine debout… »

Je n’aurais jamais dû venir ici. Ce Scar n’était qu’un abruti d’ivrogne qui n’allait m’apporter que des soucis. Les gens autour de nous commencèrent à s’exciter, comme si ils voulaient vraiment que leur chef en vienne aux mains, et bientôt, je me rendis compte que j’avais encore parlé plus vite que ma pensée et que la situation était sur le point de dégénérer. L’homme fit craquer ses doigts, alors que mes mains glissèrent jusqu’à ma taille, autour des dagues que j’étais prêt à dégainer au moindre mouvement brusque de sa part. Un être inutile comme lui n’avait de toute façon aucune raison de rester en vie…C’est l’idée qui traversa mon esprit au moment où je m’apprêtais à bondir et à lui asséner un coup directe et mortel, en suivant mes méthodes animales. Mais avant que je n’ai le temps de bouger, une jeune femme et un homme plutôt intimidant se positionnèrent entre nous deux, me permettant de retrouver des pensées claires, et de réfléchir à l’erreur que j’avais failli commettre. Trancher la gorge d’un habitant de cette cité était sans doute la pire des façons pour trouver à manger…d’autant que l’homme semblait être assez influent dans le coin et qu’agir ainsi m’aurait sans doute valu le droit d’être exclu à jamais de ces murs.

« Je peux vous aider messieurs ? »

La voix de la jeune femme était apaisante, mais l’odeur qu’elle laissait derrière elle…Elle était dangereuse, c’était certain…mieux valait l’avoir comme alliée.

« Ce ptit morveux m’a cassé les couilles, alors tu te mêles pas à ça connasse, clair ? »

Grave erreur…Et la sentence ne tarda pas à tomber, quand le compagnon de la demoiselle le souleva par le cou, avant de l’envoyer valser par la porte à une vitesse telle que j’eu du mal à le suivre des yeux. Je restais ébahit devant une telle prestation, et alors que le grand gaillard sortis pour vérifier l’état de son adversaire, la jeune femme se retourna vers moi avec un grand sourire avant de commencer à caresser ma tête. C’était le genre de contact que toute bête appréciait, malgré le fait que j’essaye de cacher le plus possible mon côté bête aux yeux des inconnus qui me voyaient en tant qu’humain, je ne pouvais pas lutter contre l’envie de prolonger ces caresses. Ses paroles me sortirent de mon moment d’absence, et mon regard interrogatif plongea dans le sien. Perdu ? Non, bien au contraire, c’était bien la première fois que je me sentais aussi bien depuis mon arrivée ici… J’avais même le sentiment de tout pouvoir raconter à cette personne à l’odeur pourtant si effrayante. Je lisais sur son visage que je pouvais lui faire confiance. Mais au moment où j’allais lui dire ce pourquoi j’étais venue ici, elle reprit la parole pour me parler comme on parlerait à un gamin. Enfin oui, c’est vrai que sous cette forme, j’étais un enfant de treize ans et qu’une personne comme moi n’avait rien à faire dans un tel endroit. Mais chez les loups, treize ans, c’était le moment où l’on devenait adulte, et bien qu’elle ne puisse pas être au courant de ma nature, je haïssais qu’on me traite comme ça. Enfin, elle n’avait surement pas voulu m’être désagréable, nous ne nous connaissions pas. Enfin tout de même, un enfant de treize ans…ce n’était pas comme si j’en avais sept et que j’étais en larme, si ?

« Sheena...Je m’en souviendrais, merci de m’avoir aidé. Je m’appelle Ame, et… non, je ne suis pas perdu. Je crois que j’ai justement enfin trouvé un endroit qui me plait sur cette île. Je… n’ai jamais eu de mère, et je suis orphelin depuis un mois. Et la seule famille qu’il me reste est ma sœur que j’ai du mal à nourrir…»
*Donc j’ai une vie assez dure pour qu’on ne me traite pas comme un simple gamin, compris ?*

Je gardais ma dernière phrase pour moi, même si elle me brûlait les lèvres. De toute façon, elle avait surement déjà noté le comportement d’adulte que j’essayais d’avoir en parlant, et j’espérais qu’elle comprendrait sans que je n’aie besoin de lui crier dessus que je n’appréciais pas du tout d’être traité ainsi. Et je sentais que si elle insistait, j’allais commencer à moins l’apprécier. Je m’attardais un peu plus sur son odeur, et je finis par comprendre pourquoi sa présence ne me rassurait pas : elle sentait le félin à plein nez.

« Dis…Tu as un chat chez toi ? Et ça doit être un gros chat, vu l’odeur qu’il laisse…J’aime pas les chats… »

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Ame Youshouki | Sheena C. Valente

    Alors que je lui racontais le tragique résumé de ce qu’était devenu ma vie depuis peu, elle sembla me plaindre d’un regard plein de compassion, comme si elle essayait de comprendre ce que toutes ces misères avaient bien pu me faire ressentir, sans vraiment le pouvoir puisqu’elle n’avait sans doute jamais rien vécu de tel. C’était l’une des premières fois que je ressentais un tel sentiment, celui d’être au centre des préoccupations d’une personne qui ne me voulait que du bien…C’était agréable…A ce moment-là, j’étais prêt à accorder toute ma confiance à cette femme, qui semblait faire tout son possible pour essayer de trouver une solution à notre problème alimentaire. Mais sa réaction à ma réflexion sur l’odeur féline qui émanait d’elle me laissa perplexe quant à la façon dont elle réagirait en n’entendant rien que la partie de mon histoire où je vivais sur quatre pattes. Si d’abord elle eut un petit rire que dont j’avais du mal à comprendre les raisons, j’eu bien vite fait de saisir, alors qu’elle prenait le commentaire pour elle-même, et libérait deux petites oreilles noires du ruban qui m’avait empêché de les apercevoir plus tôt.

« Je suis contente de savoir que je pue autant que ça, Ame, mais je ne pensais pas qu’on me le dirait aussi franchement un jour ! »

J’eu un petit mouvement de recul, sous l’effet de la surprise, alors qu’elle me montrait le dessus de sa tête, et les deux petites oreilles poilues qu’elle faisait frémir pour me montrer qu’elles étaient vraies. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que je n’avais aucun mal à croire qu’elles lui appartenaient, car j’étais bien placé pour savoir ce qu’étaient les hybrides…Elle me donna une explication que je n’écoutais qu’à moitié, pour les bonnes raisons que, premièrement, je les connaissais déjà, et deuxièmement, j’étais bien de trop occupé à penser à comment elle prendrait le fait que nos deux races étaient…comment dire…non compatibles d’après les lois de la nature. Elle était pourtant si attentionnée et douce, pourquoi les choses devaient toujours tourner ainsi… Une panthère donc, pas le plus inoffensif des félins en plus.

" Je suis désolée pour toi mais tu ne trouveras pas grand chose à manger ici, à part peut-être des cacahuètes et des chips. Par contre, si tu le souhaites, on peut s'asseoir et boire quelque chose, puis tu me parleras un peu de ta soeur et si tu es sage, je t'emmènerai faire les courses. Ca te va ? "

J’entendais déjà la voix de Yuki qui me criais de fuir, qu’elle avait déjà découvert mon secret et qu’elle voulait me piéger, et ma conscience animale était complètement d’accord… Mais au fond de moi, et pour la première fois, j’avais envie d’écouter mon côté humain, et de rester aux côtés de cette femme qui m’invitait à sa table pour lui parler, d’autant plus que rester à ses côtés semblait une bonne alternative pour arriver à mes fins initiales, c’est-à-dire trouver de la nourriture. J’avais pourtant toujours écouté mon instinct sauvage, et cela m’avait sauvé à plusieurs reprises de nombreuses impasses. Mais là, tout de suite, je pris la décision de refuser d’écouter cet instinct. Après tout, j’étais sous ma forme humaine, et elle n’était pas encore au courant du fait que j’étais aussi un hybride. Je lui souris en m’asseyant à côté d’elle, avant de commencer à lui répondre :
« Oui, je me suis douté en entrant que je ne trouverais rien de nourrissant ici… Mais au moins, j’ai eu la chance de tomber sur une personne très gentille ! » Je lui fis un grand sourire, avant de reprendre, une pointe de mélancolie dans la voix. « J’aimerais un verre de lait chaud, si c’est possible…Je n’ai jamais gouté au lait, mais Yuki m’a dit que sa mère lui en donnait quand elle était petite, et qu’elle adorait ça... »

Je détournais le visage quelques instants, le temps de faire passer les quelques souvenirs douloureux du manque maternel auquel je me surprenais de penser dans une telle situation, dans un lieu où tout le monde semblait s’amuser et rire en cœur. Cette ambiance me rappelait un peu celle de la meute, il en ressortait un air chaleureux, et on s’y sentait en sécurité. Je ne mis pas plus de quelques secondes avant de retrouver un visage lumineux, et à retrouver le regard intéressé de Sheena, qui m’encouragea à lui en dire plus sur cette sœur dont je lui parlais depuis un moment.

« Yuki…Elle n’est pas vraiment ma sœur…Elle a perdu ses deux parents assez jeune, et mon père a promis de la protéger comme son propre enfant. Maintenant qu’il…qu’il est parti, et même si elle est plus vieille que moi, j’ai le sentiment que le devoir de la protéger me revient. Elle a un sale caractère, et n’est pas meilleure que moi pour la chasse, mais par contre elle est beaucoup plus sage que moi, je ne peux pas le nier. Je ne pense pas que je serais encore vivant si elle n’avait pas été à mes côtés sur cette île… Ah oui, c’est vrai que je ne t’ai pas encore dit… Je ne viens pas d’ici, j’ai vécu toute ma vie sur Terre, jusqu’à récemment… »

J’hésitais encore à lui parler de ma nature. Je savais que maintenant que j’avais commencé à sympathiser, elle allait sans doute devenir de plus en plus curieuse, et me poser des questions, à propos des raisons qui m’ont amenées sur cette île. Je finirais bien par ne plus pouvoir lui cacher cette réalité qui faisait que notre nature faisait que nous n’étions pas faits pour nous entendre. J’espérais juste qu’au moment où elle l’apprendrait, elle serait capable de voir que malgré cela, nous étions tous deux assis côte à côte, en train de discuter comme le feraient des amis.

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Ame Youshouki | Sheena C. Valente

Sheena était toujours très attentive à la moindre de mes paroles, elle n’était pas inintéressée, comme c’était le cas de beaucoup d’adultes écoutant les histoires que leur racontaient les enfants. Elle sembla réagir au moment où elle m’entendit dire que nous avions du mal pour la chasse, ce que je pouvais comprendre, puisqu’elle ne savait encore rien de mes griffes et de mes crocs. Pour elle, ça devait lui paraître normal que deux jeunes gens comme nous n’aient pas d’expérience et d’instinct pour attraper un simple morceau de viande en forêt. Mais pour un loup, aussi jeune soit-il, il y avait une certaine honte à avoir en disant cela, mais depuis que nous avions débarqué dans cette forêt, nos talents moyens de chasseur sur Terre s’étaient révélés inutiles ici. Elle sembla très satisfaite d’apprendre que je venais de la planète bleue, et ne tarda pas à me dire qu’elle aussi en était originaire.

« La Terre, hein ? Je suis Italienne, c'est en Europe. Je ne sais pas si tu connais ? »

Comment lui dire à ce moment-là ? Je n’avais aucune idée de comment les humains géographiaient la planète, le seul endroit dont je m’étais préoccupé sur ma planète était l’immense forêt où j’avais toujours vécu, et qua nous avions séparé en secteurs que nous nommions simplement par le nom du loup qui en était chargé. L’Europe… ça me rappelait quelque chose. Je crois que mon père avait dû m’en parler, le jour où il m’avait raconté l’histoire de ma venue au monde. C’était là-bas que j’étais né, dans un hôpital dans un pays qui se nommait… Oui, les souvenirs revenaient, progressivement, je pouvais peut être tout simplement lui répondre cela…

« Je ne connais pas…Mais je suis né dans une clinique en Allemagne d’après ce que disait mon père… Mais je ne sais plus très bien où j’ai vécu ensuite… dans les bois, c’est ce que je peux assurer »

Je ne comptais pas lui mentir, ou m’inventer une autre vie que celle que j’avais vécue. Je laissais des indices depuis un moment, et quand elle apprendrait ce que j’étais, elle ferait sans doute des liens qui lui auraient paru évidents si elle avait ne serait-ce que pensé à cette éventualité. Mais pour l’instant, elle n’avait toujours pas l’air de soupçonner quoi que ce soit à ce propos, ou alors si elle avait compris, elle n’avait pas l’air d’y faire du tout attention. Ses yeux semblèrent perdu un instant, comme si le fait de parler de la Terre avait réveillé des souvenirs lointains et si intenses en elle qu’elle resta figée à y penser pendant quelques secondes. Puis une fois de retour à notre table, dans cette taverne toujours aussi bruyante, elle me questionna à propos de ce qui l’avait interpellée plus tôt :

« Tu as dit que tu chassais, n'est-ce pas ? Si tu veux je pourrais t'apprendre un peu. Un gros félin vaut mieux que deux ptits chats ! »

L’idée me fit avoir un pouffement de rire que je ne réussis pas à contenir. Non pas que je n’avais pas envie de passer du temps à apprendre les rudiments de la chasse sur cette île, surtout si c’était avec une personne comme elle, à qui je savais que je pouvais faire confiance, mais l’idée de voir un félin instruire deux louveteaux était assez perturbante, et je me demandais si elle me l’aurait proposé en sachant à propos de nous. « Deux ptits chats » hein ? J’en gardais le sourire aux lèvres. L’envie de la mettre au courant était de plus en plus présente, si je ne lui disais pas, bientôt elle déciderait de nous adopter sans savoir que nous n’étions pas faits pour cohabiter, bien au contraire.

C’est à ce moment qu’une serveuse se décida à débarquer à notre table, pour nous demander notre commande. Je pouvais sentir dans son ton qu’elle avait juste envie que sa journée de travail se termine. Sans doute en avait-elle marre de servir à tous ces messieurs barbus cette même boisson mousseuse et pétillante dont ils semblaient raffoler. Je la vis faire un petit sourire quand elle entendit Sheena commander un verre de lait pour moi. Elle ne devait pas être habituée à servir ce genre de boisson, et sortir un peu de sa routine ne pouvait que lui faire du bien. La jeune femme nota aussi la boisson qu’avait demandée la panthère sur son post-it, et repartit vers l’arrière salle pour préparer les deux verres. Et notre discussion pu reprendre de plus belle, l’hybride se faisant un peu plus curieuse comme j’avais pu l’imaginer, mais je lui répondis sans hésiter :

« Depuis quand chasses-tu, Ame ? »

« Eh bien, depuis que mes pattes sont assez grandes pour supporter la course dans les bois. Et à vrai dire, j’étais bon chasseur sur Terre… J’arrivais à attraper la plupart de mes cibles. Mais ici, c’est très différent, plus… hostile. Le nombre de proies potentielles à beaucoup diminué, et donc les chances d’en trouver sont très faibles pour de jeunes êtres comme nous »

J’avais dit « pattes » … Cette fois, je la rapprochais vraiment beaucoup de la vérité, mais de toute façon, je savais qu’il n’y aurait pas d’autre moment qu’aujourd’hui pour le lui annoncer. Et puis de toute façon, si je voulais en apprendre plus sur cette île, puisque je n’en savais que peu à son propos, elle était sans doute la personne la plus à même de me renseigner pour le moment. Mais je savais que pour qu’une confiance s’installe entre deux personnes, il fallait être capable de se parler sans rien se cacher…et surtout pas un secret aussi gros…

« Dis, je sais ce que tu es…mais moi ? En me regardant comme ça, que penses-tu qu’il y ait de magique en moi ? »

Je la laissais réfléchir un peu à la question, alors que la serveuse, plus souriante que la première fois, revenait rapidement pour déposer sur la table les deux verres que nous avions commandés. Elle n’avait pas encore essayé de comprendre ce que j’étais, alors peut être qu’en lui demandant d’y réfléchir, elle le découvrirait d’elle-même… ou alors je me chargerais de le lui faire comprendre…

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Ame Youshouki | Sheena C. Valente

Je commençais à devenir un petit peu nerveux à l’idée qu’elle découvre la vérité rien qu’en repensant à tout ce que je lui avais dit jusque-là, et qu’elle le prenne mal, au point de partir rejoindre ses amis et me laisser seul à cette table, avec mon verre de lait qui arrivait. Elle avait même proposé de nous aider, et j’en avais été plus que ravis, même si j’avais un peu fichu l’idée en l’air en lui répondant comme je l’avais fait. Mais comme on dit, c’était l’intention qui comptait, et je savais grâce à cela que ça ne l’aurait pas embêté de venir en aide à deux enfants en peine. Le truc, c’est que nous n’étions pas des enfants ordinaires, et en l’apprenant, elle pourrait revoir son point de vu à notre propos.

Contrairement à ce que je pensais, la réponse de Sheena ne mit pas plus de quelques secondes à arriver à mon oreille, et elle remit un peu en question tout ce pourquoi je m’étais inquiété jusqu’à présent.

« Je ne sais pas forcément, mais ce n'est pas si important que ça, si ? Tu penses que je m'en soucie ? »

Oui, après tout, pourquoi aurait-elle du s’interroger sur ma nature ? Elle voyait en moi un jeune enfant affamé, et c’était tout ce qui l’avait poussée à m’inviter à sa table, et à me réconforter un peu du manque d’affection flagrant que j’avais pu montrer. Que pouvait elle en avoir à faire du fait que je sois un hybride ou un ange ? La peine d’un enfant ayant vécu ce que j’avais pu vivre était la même qu’il soit d’une race ou d’une autre… Je baissais les yeux en me sentant bête aux vues de la faute que j’avais faite depuis que j’avais appris qu’elle avait ce côté félin, de tout de suite penser qu’elle suivrait les lois de la nature. Après tout, tous les hybrides n’étaient pas comme moi, plus attachés à leurs gênes animales. Je l’entendis rire quand elle vit ma réaction, ce qui me fit soudain rougir, et je ne pus retenir une moue boudeuse en recroisant son regard. Elle reprit la parole, m’expliquant de plus belle que je n’avais pas à craindre quoi que ce soit, et même si je restais un peu réticent, j’avais de plus en plus envie de lui avouer.

« Tu n'as pas à avoir peur ou honte de ta nature, ici. L'île n'est pas qu'un lieu où arrivent les personnes dotés de pouvoirs, c'est un refuge où ta différence n'est plus une faiblesse mais une force. Maintenant, dis-moi. De quoi as-tu peur, Ame ? »

Elle avait raison, depuis que j’étais ici, je n’avais vu personne tenter de cacher sa véritable nature. Même si tous ne le criaient pas haut et fort –j’avais eu l’occasion de rencontrer un elfe qui ne cherchait qu’à faire la promotion de sa race plus tôt dans la rue- aucun d’entre eux n’auraient été jusqu’à craindre de la donner à quelqu’un qui le lui demandait. D’autant plus que la plupart des êtres magiques, et c’était mon cas, étaient capable de ressentir l’aura des autres, et d’en déduire leur nature. Ses paroles étaient très sages et censées, puisque j’avais appris d’expériences personnelles que sur Terre, les êtres différents étaient toujours ceux qui étaient rejetés en premier. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’au sein de la meute, je n’avais jamais été autorisé à parler à quiconque de ce pouvoir dont j’avais hérité. Depuis que j’étais sur l’île, même si je ne ressentais toujours pas une joie immense à me transformer en humain, je savais au moins que personne ne m’exclurait si je le faisais, et le moment présent en était la preuve. Je lui répondis sur un ton calme, légèrement hésitant :

« Ce dont j’ai peur…Et bien, de la réaction que tu pourrais avoir en l’apprenant. Tu as été si gentille avec moi jusqu’à maintenant, et je ne veux pas que tu me laisses… C’est tout… »

J’avais un peu honte de parler de cette façon à une femme que je venais à peine de rencontrer, mais c’était la vérité, elle était la première à qui j’avais confié mon histoire, à qui j’avais accordé ma confiance. Je ne voulais pas que ce soit en vain. Elle posa doucement sa main sur les miennes, et le regard plein d’affection me dévisageant, elle finit par trouver un semblant de réponse à ma question

« Je sais que tu es un hybride, je le... sens. Et c'est normal que tu craignes les autres, c'est dans ta nature. Mais peut-être que ton instinct pourra te souffler que tu peux me croire. »

En réalité, c’était tout le contraire. Mon instinct animal, à ce moment-là, j’essayais de l’ignorer au maximum, puisque si je l’avais écouté plus tôt, je serais déjà de retour dans la forêt, et j’aurais manqué cette discussion. Non, je préférais écouter ce que me disais mon cœur, qui lui, était bel et bien humain. Et il ne me fallut qu’un instant pour prendre ma décision. Sans geste brusque, ma main droite vint rapidement saisir l’une des dagues qui ornaient ma ceinture, pour revenir se positionner au-dessus de la table. Je fermais les yeux l’espace d’un instant, et en un souffle, l’arme s’évapora, enveloppant ma main d’une vapeur sombre, et quand celle-ci se dissipa, une légère fourrure la recouvrait jusqu’au niveau du poignet, comme un gant, et mes doigts étaient ornés de griffes aussi aiguisées que la dague qui les composait. Je relevais le visage vers la jeune femme, pour guetter à mon tour sa réaction, avant de lui révéler on ne peut plus clairement :

« Je suis un homme loup… et ma sœur… Yuki est une louve aussi. »

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Ame Youshouki | Sheena C. Valente

Sheena ne sembla aucunement paniquée devant le spectacle que je pouvais lui présenter. On pouvait plutôt lire une légère incompréhension, sur son visage au moment où j’avais empoignée mon arme sans lui expliquer, et de l’étonnement, ensuite, face à ce membre transformé que la fumée dissipée avait révélée. Elle n’avait pas manquée une seule scène de ma transformation partielle, et avait donc parfaitement compris ce qui venait de se passer, mais il est vrai que cette façon de se métamorphoser seulement en partie, je l’avais acquise à force de gros effort pour contrôler ce pouvoir au maximum, et ne pas me retrouver sous forme humain au milieu de la forêt et de tous les loups qui l’auraient sans doute très mal prit. J’avais donc finit par maîtriser cette faculté mieux que mon père, même si sa force physique et son expérience pallient largement cette légère faiblesse. J’imaginais donc en voyant la réaction de l’hybride en face de moi que ce genre de transformation ne devait pas être très répandue, ou du moins assez rare pour qu’elle en soit étonnée.

La serveuse interrompit mes révélations en déposant sur la table les deux verres que nous lui avions commandé quelques minutes avant, et sembla simplement jeter un œil à mon bras, sans plus s’y attarder que ça, sans doute habituée à ce genre de chose dans une taverne aussi fréquentée, ou alors peut être qu’elle voulait tout simplement éviter les soucis en évitant de se mêler à ce qui ne la regardait pas. Elle nous tourna le dos après nous avoir remercié d’avoir commandé, et repartis rapidement vers la porte derrière le comptoir. Sheena jeta un coup d’œil au morceau de papier qu’elle nous avait laissé et sur lequel devait être indiquée la somme que nous devions payer. J’eu un petit sourire en pensant à la tête que ferait la panthère en apprenant qu’elle devrait payer les deux parts, mais je le noyais dans mon verre de lait pour ne rien laisser paraître. Et puis après tout, elle s’y attendait sans doute puisque je ne connaissais la civilisation que depuis…très peu de temps.

Elle releva les yeux sur moi, et me souris alors qu’elle semblait apprécier sa boisson, et m’interrogea sur la mienne, et comment je trouvais le goût du lait, tout en racontant une anecdote de son enfance qui me fit pouffer de rire sur le moment, rien qu’à imaginer la scène d’une Sheena miniature à quatre pattes lapant dans une gamelle. Je profitais d’une nouvelle gorgée de ce délicieux breuvage, avant de lui répondre :

« Je comprends pourquoi Yuki aimait ça… C’est vraiment bon, bien meilleur que de l’eau. D’ailleurs, toi aussi vu ta tête tu as l’air d’aimer la tegui…temi…Heu… la boisson qui pue l’alcool… »

Je rougis légèrement en ne trouvant plus le nom qu’elle avait prononcé quelques minutes auparavant, mais elle ne sembla pas y faire plus attention que ça, et commença à parler d’elle comme si elle voulait me rendre les informations que j’avais pu lui donner plus tôt. Durant un instant, je me demandais si sa boisson n’était pas la cause de cette soudaine envie de se livrer, mais je me rendis bien vite compte que ce dont elle parlait était bien de trop important pour qu’une simple gorgée de n’importe quel sérum ne la force à le révéler. Elle fit quelques poses tout au long de son récit, comme pour calmer les émotions qui auraient pu la dépasser à tout moment, ce que je pouvais comprendre. Après tout, j’avais moi-même été traumatisé par la perte de plusieurs proches, et je comprendrais parfaitement si quelques larmes venaient à couler de ses yeux dorés dans les prochains instants.

« J'ai eu de la chance dans ma vie. Mes parents sont vivants, quelque part, et il paraît qu'il est possible d'aller les revoir, mais je ne saurais pas quoi leur dire, car... Ma sœur a été blessée gravement le jour de ma venue ici. Elle était dans mes bras et, la seconde d'après, j'étais ici. Je ne sais pas si l'île m'a récupérée pour ne pas voir ma sœur se mourir, ou si elle est là, quelque part. Je n'ai jamais su si elle s'en était sortie ou non, alors je ne peux pas faire mon deuil. Au fond de moi, j'espère encore la voir réapparaître mais je serais aussi soulagée de la savoir morte. »

Son histoire me fit comprendre que, même si mon récit pouvait paraître plus sanglant que le sien, elle était quand même quotidiennement en proie à des questionnements qui devaient la torturer, sur la vie de sa sœur… mais aussi à de images aussi sombres que celles qui me restaient de ce jour maudit… voir un proche aux portes de la mort juste avant d’être amené sur cette île… J’eu un pincement au cœur en la voyant résister au flot d’émotions qui ne demandait qu’à s’échapper, mais elle balaya rapidement toute son histoire avec quelques mots qui remontèrent autant mon moral que le sien :

« Je n'ai jamais regretté d'avoir été emmenée ici. J'ai pu commencer quelque chose de nouveau, avec des gens sympathique et une vie agréable. Mais les débuts de beaucoup de monde ici sont difficiles. Je t'aiderai à trouver du gibier, d'accord ? Si ta sœur n'a pas peur des panthères, au moins. »

Oui, depuis que j’avais débarqué, rien de très malheureux ne m’était arrivé, j’avais fait quelques rencontres formidables, et la constante découverte d’une Terre inconnue était quelque chose que je trouvais très excitant. D’autant que la féline me proposait de m’aider à trouver de quoi me nourrir, et cela rendait les choses encore plus attrayantes. J’eu une petite pensée pour ce que pourrait bien penser Yuki en me voyant en si charmante compagnie quand je la retrouverais, puis je fis une petite grimace gênée à la jeune femme en lui répondant :

« Moi, je serais ravie de partager plus de temps avec toi… Mais il faut que tu sois prête à supporter pendant au moins une heure ou deux sa méfiance à ton égard. Comme je la connais, ce ne sera pas de la peur, plus de l’hostilité pour une race dont nous n’avions pas trop à nous préoccuper dans l’autre monde, et nous ne nous en portions que très bien… »

Je repris une gorgée de lait, avant de lui demander, curieux d’en savoir plus à ce propos, puisque je n’oublierais jamais les derniers mots, le dernier ordre que mon père nous avait laissé avant que nous ne fuyions :

« Tu as dit tout à l’heure… Qu’il y avait un moyen de retourner sur Terre… Non pas que je veuille y repartir pour y vivre, loin de là. Je dirais même que la vie ici est très prometteuse et à l’air riche en aventure, mais… J’ai quelque chose, un travail à y accomplir… »